Portrait : Sorti du pétrin, le boulanger qui fait craquer la Cerdagne

Sélectionné plusieurs fois au championnat du monde de la boulangerie, participant au concours de Meilleur ouvrier de France en 2013, Gilbert Roux expérimente inlassablement de nouvelles formules dans son fournil qui jouxte sa boutique. Photos : Olivier SCHLAMA

Jadis SDF, Gilbert Roux est un magicien. Sa “Paillasse” est une institution en Cerdagne qu’il vend par brassées. Le boulanger de Font-Romeu projette d’obtenir le label Montagne pour sa production future 100 % locale élaborée avec des farines anciennes produites sur place. De quoi redynamiser la filière céréalière dans ces montagnes des Pyrénées Catalanes.

Ne pas se fier à l’agressive enseigne rouge criard. C’est dans la sempiternelle file d’attente, où personne ne laisse sa part au chien, que l’on constate l’addiction : une place est une place… On vient dans cette boulangerie de Font-Romeu, dès potron-minet, en gourmet ; en fin de journée, hagard, après une harassante journée de ski. En sportif qui sait l’importance de cet aliment que tout le monde s’arrache… Conformément à la tendance des Français, comme Dis-Leur vous l’avait relaté dans un dossier complet.

Petit, trapu, l’oeil rieur, Gilbert Roux, le boulanger tout sourire, est un résilient. SDF, il saisit sa chance quand, jeune adulte, la patronne d’une boulangerie d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) lui tend la main et accepte de le former à la boulange. Jadis affâmé, Gilbert Roux, désormais sorti du pétrin, nourrit les autres. Par milliers. On vient chez lui, à Font-Romeu (P.-O.) de toute la Cerdagne pour sa production. Un pain unique et toujours réinventé. Une belle histoire.

Un pain unique qui peut rester frais durant trois jours ! Ph. : O.SC.

Nous avons l’intention de remettre au goût du jour des farines issues d’anciennes variétés de seigle, comme le petkus. Le seigle était une céréale traditionnellement plantée en Cerdagne-Capcir. “L’idée, c’est aussi de redynamiser la filière, par ces farines de pays.”

Raymond Vilalta, paysan.

En ce mitan du mois de mars, Gilbert Roux, 59 ans, dernier boulanger de la station climatique, lâche, en pleine cuisson d’une fournée de dizaines de pains dorés dont il a déjà vendu… 1600 unités ce jour-là (!) : “Je vais créer un pain qui aura l’appellation “Montagne”. Ce sera le pain d’ici, de Cerdagne et du Capcir.” Entendez par là, qu’il sera conçu avec des farines locales et un savoir-faire dont lui seul, en vrai démiurge, connaît la formule. Pour ce faire, il s’est associé à Raymond Vilalta, un paysan basé dans le village voisin de Formiguères.

“Je produis mes propres farines de blé et de seigle sur le plateau du Capcir, indique-t-il. Et je possède mon propre moulin. Nous avons l’intention de remettre au goût du jour des farines issues d’anciennes variétés de seigle, comme le petkus.” Le seigle était une céréale traditionnellement plantée en Cerdagne-Capcir. “L’idée, c’est aussi de redynamiser la filière, par ces farines de pays.”

Il faut pétrir le seigle sur un pétrin dit corse, parce que le pétrissage y est plus lent et le résultat est meilleur !”

Gilbert Roux, boulanger à Font-Romeu

Ce futur pain 100 % local promet de faire saliver encore davantage. Déjà que s’arrache son pain actuel, la Paillasse, devenu star, avec sa forme d’épi. Déjà qu’il a une qualité unique. Parce qu’il est le fruit de toute une carrière. Gilbert Roux a fait le tour du monde. Globe-trotter de la spécialité, expert en farine et autres recettes secrètes : un pain pauvre en levures, en sel et en gluten… Son savoir-faire est un atout pour la santé et le goût !

Sélectionné plusieurs fois au championnat du monde de la boulangerie, participant au concours de Meilleur ouvrier de France en 2013, Gilbert Roux expérimente inlassablement de nouvelles formules dans son fournil qui jouxte sa boutique.  Seigle, eau, cuisson à 60 degrés… La chimie boulangère n’a pas de secret pour lui. Sa paillasse, c’est le pétrus du pain ! L’as de la formule dit : “Il faut pétrir le seigle sur un pétrin dit corse, parce que le pétrissage y est plus lent et que le résultat est meilleur !” Gilbert Roux pétrit son pain-star une heure durant au lieu des vingt minutes traditionnelles dans une boulangerie classique. Goût incomparable et “on peut le garder trois jours !”

Très régulièrement, je modifie les pourcentages des ingrédients pour que le palais des clients ne s’habituent pas trop. Et finissent par s’en détourner, accoutumance oblige !”

Farines toastées, farines toréfiées… C’est de l’art ! Ph. O.SC.

Malin, Gilbert Roux éprouve une technique secrète dont les manitous du marketing devraient s’inspirer : “Très régulièrement, je modifie les pourcentages des ingrédients pour que le palais des clients ne s’habituent pas trop.” Et finissent par s’en détourner, accoutumance oblige ! “J’ai compris cela lors d’une dégustation de fois gras aux Etats-Unis”, confie Gilbert Roux qui commercialise déjà huit pains spéciaux : énergétique, protéiné, aux graine de chia, à la spiruline… Avec des farines de riz, de pomme de terre, etc.

Farines toastées (légèrement cuites), farines de type 65 toréfiées (cuites)… Au léger goût de miel, de pop corn ! De maïs ! L’inventif boulanger teste tout. En permanence. “J’ai fait le tour du monde de la boulangerie, sac à dos, résume-t-il. Aux USA, par exemple, j’ai vécu avec les indiens des Éverglades et travaillé dans l’élevage de crocodiles durant deux ans…” Chasse, pêche. Certes, ce n’était pas de la boulangerie mais la vie lui a apporté une philosophie : l’authenticité.

Des barres énergétiques en projet

“Ce que j’ai appris, je le mets dans mon pain.”. Gilbert Roux, à l’oeuvre. Ph. O.SC.

“Ce que j’ai appris autour du monde, je le mets dans mon pain. Ici, on ne fait pas une baguette lambda avec cinq coups de lame… “Nous suivons le flux de demande la clientèle.” Grâce à ces formules magiques, le pain patiente au frais et il peut l’enfourner par dizaines quand la file d’attente s’aggrandit au fil de la journée.

Simple, prolixe, amoureux de son métier, Gilbert Roux élabore sans cesse. L’as de la boulangerie est sur le point de mettre au point de véritables barres énergétiques, avec l’aide de nutritionnistes et de sportifs.

Olivier SCHLAMA