Reconversion : “La chance” d’une championne en CDI à Pôle emploi

“J’ai déjà 28 ans et les jeunes poussent derrière…” Cindy Peyrot a été embauchée par Pôle emploi suivant des horaires aménagés pour pouvoir poursuivre “avec stabilité” sa carrière de championne de pétanque. En France, ils ne sont que 30 sportifs à être aidés par ce service public et quelque 500 dans l’ensemble des institutions, selon Laura Flessel, l’ex-ministre des Sports.

“J’ai déjà 28 ans en mars… Un sportif de haut niveau comme moi peut se blesser… Notre carrière n’est pas très longue… Les jeunes poussent derrière et il faudra bientôt leur céder la place… C’est pour cela que je prépare ma vie professionnelle… Entrer à Pôle emploi est une chance.” Beaucoup d’humilité, de lucidité et une pointe d’angoisse dans les propos de Cindy Peyrot. La championne de pétanque, sport très populaire où elle affiche déjà un beau palmarès, notamment vice-championne du monde ; trois fois championne de France par équipe et quatre fois championne d’Europe, elle recherchait “de la stabilité” dans sa vie. Un revenu constant lui permettra de “me consacrer pleinement à la pétanque” où le “mental joue un rôle majeur” et d’avoir un vrai métier à exercer après sa carrière sportive.

“C’est une chance d’intégrer Pôle emploi et cela ne pourra que renforcer le challenge de me dépasser dans ma discipline”

Cindy Peyrot

C’est lors d’une soirée partenaires, en marge du Mondial à Pétanque Montpellier 3 M, un célèbre tournoi, en juillet dernier à Montpellier que Cindy a rencontré le directeur départemental de Pôle Emploi, Joseph San Filippo. La discussion a notamment porté sur l’avenir de la championne. De journée d’immersion en entretiens avec les ressources humaines, “ça a matché”, qualifie aujourd’hui Joseph San Filippo.

Cindy Peyrot. DR

La championne signe alors un CIP, contrat d’insertion professionnelle, après l’aval du correspondant national de Pôle emploi en charge des sportifs de haut niveau, Jean-Michel Lucenay, lui-même ex-champion, ancien “médaillé d’or aux JO de Rio”Sa désormais chef de service, Elisabeth Frindel, loue l’arrivée de Cindy Peyrot : “Quand on a commencé à discuter, il y avait de la lumière dans ses yeux…” “C’est une chance d’intégrer Pôle emploi et cela ne pourra que renforcer le challenge de me dépasser dans ma discipline”, a commenté l’intéressée.

Le Montpelliérain Mamadou Kasse Hann aussi

Une trentaine de sportifs de haut niveau ont ainsi été intégrés à ce jour dans divers services de Pôle emploi en France dont au moins trois en Occitanie. Un autre athlète a ainsi été embauché par Pôle emploi, à son agence de Saint-Jean-de-Védas, Mas de Grille : le Montpelliérain Mamadou Kasse Hann, spécialiste du 400 mètres haies, qui, “malheureusement blessé, ne participera pas aux JO dans sa discipline”, a ajouté Joseph San Filippo. Et un autre sportif de haut niveau dans les P.-O. Un short trackeur.

80 % des sportifs manquent d’énergie et de confiance

Cindy Peyrot n’a donc plus besoin de se soucier de la recherche d’un travail qui lui servira, en fin de carrière, de reconversion. En pente douce : son temps de travail tournera pour l’instant à hauteur “sans doute d’une cinquantaine d’heures par an à l’agence Pôle emploi de Castelnau-le-Lez”. Celle qui est née à Saint-Etienne (Loire) et qui habite Palavas-les-Flots en étant licenciée au club de Cazères (Haute-Garonne) avoue que la reconversion occupe l’esprit de pas mal de sportifs de haut niveau. “Qui plus est, pour une femme qui vit en couple depuis cinq ans comme moi et qui a un désir d’enfant…”, confie-t-elle. Cette sécurité est importante. Le comité Ethique et Sport a réalisé une enquête menée fin 2020, pour évaluer la santé mentale de plus de 1 200 sportifs. Résultat : plus de 80 % des personnes interrogées ont déjà ressenti un manque d’énergie, de la tristesse, ou un manque de confiance. Ce qui nuit notamment à leurs performances.

“La pétanque est une discipline exemplaire, avec un état d’esprit et une volonté incroyables.”

Directeur régional de Pôle emploi, Thierry Lemerle a rappelé que ce genre d’embauche favorisant l’insertion de sportifs de haut niveau entre dans la politique RSE de Pôle Emploi. Et que cela revêt pour lui un caractère particulier puisque, “quand Pôle Emploi a été créée en 2008, j’avais comme mission d’y installer la politique RSE”, a-t-il révélé. Une politique qui lutte contre les discriminations et qui développe des actions citoyennes comme participer à des campagnes de don du sang auprès de ses 5 500 salariés. Thierry Lemerle a noté : “La pétanque est une discipline exemplaire, avec un état d’esprit et une volonté incroyables.”

Un ex-champion “révolutionne” l’ambiance

Thierry Lemerle, directeur régional Pôle Emploi. DR

Quand, simples citoyens, “vous rentrez chez vous après votre journée de travail, le champion la poursuit, lui, avec plusieurs heures d’entrainement”. Quand ce n’est pas avant la journée de travail, comme cet ancien champion olympique d’aviron qui “révolutionne l’ambiance de l’agence Pôle emploi” à Nancy, où il travaille désormais. “L’agence ouvre au public à 8h30 ; lui a déjà fait 3 000 mètres d’aviron avec une température de zéro degrés dehors”, souligne Thierry Lemerle. “Pour nous, c’est du tout gagnant en terme de valeurs et d’engagement collectif. Tout en restant simple, ne se mettant pas en avant”, saluant sa “résilience, son goût de la performance et son humilité…” 

Plus de 7 000 sportifs arrêtent chaque année et ne savent pas vers qui se tourner…”

Laura Flessel, ex-ministre des Sports

L’ancienne ministre des Sports, spécialiste de l’épée, quintuple médaillée olympique, Laura Flessel participait à cette présentation. À 50 ans, a créé Sport Excellence Reconversion, une école pour la reconversion des sportifs qui accueillera ses premiers élèves en ce début d’année dans différents campus partenaires en France, comme Sport Business school, à Montpellier, “pour les accompagner à l’avant-veille des JO de 2024 et surtout après”. Elle martèle : “Plus de 7 000 sportifs arrêtent chaque année et ne savent pas vers qui se tourner.”

Quand voit voit un énorme champion comme Teddy Riner, il faut tenir compte des sparring-partners, managers…”

L’ancienne ministre des Sports, remplacée par Roxana Maracineanu en 2018, a ajouté qu’entre “les contrats d’image, les CIP, etc., on peut estimer à plus de 500 le nombre de sportifs de l’élite française, dans des disciplines olympiques ou non, qui sont ainsi accompagnés” en signant dans l’un des grands services publics, de l’armée à la gendarmerie, en passant par la police et Pôle emploi. Mais, dit-elle en substance, ce n’est pas suffisant : “Quand on regarde un énorme champion comme Teddy Riner, il faut tenir compte de ses sparring-partners ; de ses managers qui ont beaucoup donné à la France, aux régions qui sont les invisibles de la performance…” Et qu’il faut aider à s’intégrer professionnellement.

La tradition des rugbymens d’Occitanie

Car on ne compte plus les sportifs de haut niveau qui, n’ayant pas su ou pu assurer leurs arrières, tombent dans le désoeuvrement suite à une carrière avortée par une blessure ou à la retraite. Le conseil, admis par tous, c’est de ne rien faire, si possible, dans l’urgence. Les programmes de soutien fleurissent et c’est tant mieux, lançant des ponts entre les champions et le monde de l’entreprise.

Le rugby entre dans l’ère du recrutement mondialisé… grâce à une application conçue par un Toulousain, ancien joueur… Photo D.-R.

Renault, partenaire du XV de France, vient par exemple de lancer Provale, un programme proposant aux ex-joueurs pro d’intégrer son groupe. Mais il y a des sports-phares, médiatiques et très bien payés comme le foot où des jeunes un peu doués empochent dès leur majorité un beau salaire… Famille Spanghero ; Vincent Clerc ; Clément Poitrenaud ; Patrick Soula, en pionnier, d’une tradition : plus près de chez nous, en Occitanie, de nombreux anciens rugbymens sont passés du stade à la table. Achetant, exploitant bars, restaurants ou hôtels.

Cindy : “De quoi arrondir les fins de mois”

Dans les sports moins charpentés et davantage “cacahouettes”, ou disons moins populaires et moins argentés, la reconversion se pense très en amont. Et pour cause : ces sportifs-là n’ont pas le temps de mettre suffisamment d’argent de côté. Selon l’Equipe, un joueur de première division de handball touche un salaire moyen mensuel de 4 521 € contre dix fois plus (45 321 €)  pour son homologue en Ligue 1 de football… Un joueur de Top 14, en rugby, toucherait plus de 13 000 € par mois en moyenne ; un basketteur pro 10 000 € et un volleyeur de Ligue A 3196 €. Cindy Peyrot, elle, révèle que la pétanque lui rapporte “500 € par mois. Ça peut nous arrondir nos fins de mois”…

Olivier SCHLAMA