Mobilités : Les auto-écoles solidaires réparent les “assignés à résidence”

Chargée de mission au réseau Mob'In Occitanie, Josy Saelen confie "qu'un quart environ de personnes sont empêchées dans leurs déplacements, sans aucune solution". Elle ajoute qu'en Occitanie, on compte peu d'auto-écoles solidaires : à Nîmes, Bagnols-sur-Cèze, à Toulouse (ci-dessous), Montpellier, Castres et désormais à Perpignan. Photo : Olivier SCHLAMA

En Occitanie, à peine six d’entre-elles sont dédiées à des publics en difficulté, dont une vient d’ouvrir à Perpignan et une 7e est envisagée à Béziers. Grâce à une pédagogie adaptée, le permis y est synonyme d’inclusion alors que, plus largement, un quart des Français sont sans solution de déplacement. Thomas Chevillard, président de Mob’In France, dit : “Cela peut n’être que le dernier étage d’une fusée pédagogique.” Docteur en mobilités, Gérard Hernja renchérit : “C’est le chemin parcouru qui est important.” Et les besoins sont importants.

Oublié de la route. Faute de permis de conduire, Nicolas, 26 ans, parle d’une “barrière invisible” à la sortie de son quartier. Il se dit “assigné à résidence”. Entre deux et trois français sur dix, on ne sait pas bien n’ont pas (pu) décrocher le sésame, un avantage évident à la mobilité et à l’embauche. Il marche, Nicolas. Beaucoup. User les semelles, ça a ses limites. Le bus, aussi. Le taxi ? Il “rigole” ! Et puis se déplacer implique de maîtriser le français, déchiffrer les panneaux, savoir lire un plan, savoir utiliser un ordi…

Une auto-école solidaire ouvre à Perpignan

Une auto-école solidaire répond depuis moins d’une semaine à ces “besoins évidents” dans la capitale catalane pour décrocher un emploi, surtout pour les publics en difficultés. Jeudi 20 octobre, l’Association pour la formation et d’éducation routière (Afer 66), pourtant créée il y a bientôt 30 ans (1985), lance à Perpignan sa propre auto-école solidaire avec trois salariés.

“Couvrir aussi les territoires ruraux qui en ont bien besoin”

Largement soutenue par l’État et le département, à hauteur de 150 000 €, elle vient d’être inaugurée en grandes pompes, dans le quartier de la gare, en présence du préfet qui s’est refusé à tout commentaire (sic). Du côté du département des P.-O., où l’on a financé une partie du fonctionnement (20 000 €) et aidé à l’achat d’un simulateur de conduite pour 27 380 €, on explique avoir demandé à l’Afer 66 de “couvrir aussi les territoires ruraux qui en ont bien besoin”, dit-on au conseil départemental qui doit officialiser la mise en route d’une “plate-forme mobilité” en lien avec la start-up WeMouv, dont Dis-Leur vous a déjà parlée ICI.

“Des difficultés d’insertion dans la vie active…”

La force de ce genre d’auto-école, c’est qu’elle s’adapte aux profils. “Selon l’étude des besoins de l’État et du département, beaucoup de gens en situation difficile ne vont pas jusqu’au bout de leur permis. Nous les accompagnons justement pour qu’ils y arrivent. On s’est désormais lancés dans l’apprentissage et le passage, solidaire, du permis de conduire”, exprime Elisabeth Marcilly qui dirige la structure. “Nous ne nous adressons pas seulement à des personnes qui ont peu de moyens ; mais aussi et surtout à celles qui ont des difficultés d’insertion dans la vie active, marginalisées, qui ont des problèmes “dys” ou qui souffrent d’une perte de confiance en soi importante, etc.” Certains candidats parlent mal le français. Toutes ces difficultés vont souvent de pair avec de faibles revenus.

Travailleurs et organismes sociaux prescripteurs

Comment s’inscrire dans une auto-école solidaire ? On ne peut y prétendre qu’en étant envoyé par des prescripteurs : travailleurs sociaux, organismes comme Pôle emploi, un conseiller d’insertion, mission locale jeunes (MLJ)… Et, contrairement à certaines idées reçues, ce permis-là ne coûte pas forcément moins cher. “D’abord, il ne s’agit pas de faire concurrence aux auto-écoles classiques. Ensuite, le prix payé peut être très variable en fonction du profil du candidat, s’il touche le RSA, s’il est indemnisé ou non par Pôle emploi ; ou s’il bénéficie de l’Aide au retour à l’emploi ; certains, peuvent mobiliser leur compte CPF (formation professionnelle). À l’arrivée de chaque candidat, nous faisons une évaluation pour bien cerner ses difficultés. Et notre force, redit-elle, c’est de l’accompagner jusqu’au bout de sa démarche”, même si le nombre d’heures de cours venait à exploser.

Certains candidats n’auront rien à payer, d’autres devront débourser quelques centaines d’euros. “On ne sait pas encore et c’est du cas par cas.” Les locaux disposent par ailleurs d’un simulateur transportable, “qui n’est pas payant pour les élèves”, pour le déplacer dans tout le département. Les premiers dossiers sont à l’étude. Au-delà du permis B (voiture), l’auto-école Afer 66 permet aussi de passer un permis “solidaire” pour piloter un cyclo.

Avec de légères déficiences, des difficultés de compréhension, problèmes de santé, sortant de prison, ou qui ont une motivation faible”

Ce genre d’auto-école a peu d’équivalent en Occitanie. L’une des rares,  Clés de Route, à Montpellier, est expérimentée dans la formation de publics en difficultés, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Portée par une grosse association, Passerelles Synergie, cette auto-école associative a une vocation sociale, proposant une pédagogie adaptée. Dans ses locaux, par exemple, 16 stagiaires handicapés des Compagnons de Maguelone y passent Code de la route et prennent des cours de conduite. Cette belle initiative qui n’est pas isolée.

“Nous favorisons l’insertion des travailleurs éloignés de l’emploi, notamment, pour des questions de mobilité ; des personnes qui peuvent avoir de légères déficiences, des difficultés de compréhension, problèmes de santé, sortant de prison, ou qui ont une motivation faible”, explique Michelle Lornier, responsable pédagogique de Clés de Route. Là aussi, seuls des travailleurs sociaux, et des organismes spécialisés peuvent y orienter les stagiaires. Ce n’est pas moins cher, là non plus que pour un permis classique, mais c’est là aussi moins onéreux pour le stagiaire qui peut obtenir, du fait de son statut, des aides.

Un parcours d’au moins un ou deux ans

C’est comme cela que le département de l’Hérault finance, avec l’État, vingt permis pour autant de personnes au RSA qui ne paient de leur poche que maximum 200 €. “En général, le parcours chez nous est d’au moins un ou deux ans” pour décrocher le papier rose. Mais il n’est pas rare que ce soit davantage. “Nous avons encore quelques cas de gens qui se sont inscrits en 2018 ou 2019, en rupture de parcours, qui ont eu de sévères problèmes de santé voire qui ont fait de la prison…”

Le permis, c’est aussi un sourire intérieur qui éclate au grand jour. Originaire de Sauvian (Hérault), Jérémie (prénom changé) est atteint d’une déficience intellectuelle légère, salarié aux espaces verts aux Compagnons de Maguelone, association qui accompagne les handicapés, près de Montpellier, il vient d’obtenir, via son CPF (compte personnel de formation) de quoi financer le permis de conduire au tarif “normal”, comme tous les autres aspirants au “papier rose”.

Deux à trois Français sur dix n’ont pas leur permis

Il n’existe pas de dénombrement rigoureux de cette population, handicapée ou simplement précarisée qui n’a pas son permis, mais deux à trois Français sur dix (soit 14 à 19 millions) seraient concernés, selon les estimations du sociologue Eric le Breton, qui englobe une diversité de situations : habitants de territoires ruraux, périurbains, d’une zone prioritaire de la politique de la ville, allocataires de minima sociaux, personnes en insertion, personnes âgées dépendantes, personnes en situation de handicap, migrants…

Nîmes, Bagnols, Toulouse, Montpellier, Castres

Chargée de mission au réseau Mob’In Occitanie, Josy Saelen préfère dire que “un quart environ de personnes sont empêchées dans leurs déplacements, sans aucune solution”. Elle ajoute qu’en Occitanie, on compte peu d’auto-écoles solidaires : à Nîmes, Bagnols-sur-Cèze, à Toulouse (ci-dessous), Montpellier, Castres et désormais à Perpignan.Il en manque au moins cinq dans la région. Il y a un réel besoin et les places sont chères ; il y a plusieurs mois d’attente, par exemple, à Montpellier. On y enseigne avec une pédagogie adaptée qui n’a rien à voir avec une auto-école classique. De plus, on y apprend souvent aussi les gestes d’écomobilité, pour économiser le carburant. Elles ont la double casquette : inclusives et durables. Il y a une demande de création d’école associative à Béziers, ce qui peut, certes, entrer en contradiction avec la hausse actuelle du prix de l’essence mais elle rayonnera sur les territoires ruraux là où il n’y a pas forcément un maillage de transports en commun comme à Montpellier…”

Une histoire d’égalité entre les citoyens

La mobilité est un acmé dans notre société. C’est ce qui, à notre époque, nous définit, désormais, dans notre rapport aux autres. Un super-droit, en quelque sorte, qui gouverne tous les autres droits : pour travailler, pour aller au ciné, aller voir son toubib, etc., encore faut-il pouvoir se déplacer ! C’est une histoire d’égalité entre citoyens. Une problématique prise en compte dans la loi d’orientation des mobilités (LOM), adoptée en novembre.

Une centaine d’auto-écoles solidaires en France

Thomas Chevillard. DR

Président d’une association départementale spécialisée dans les mobilités, Afodil, dans le Maine-et-Loire, Thomas Chevillard est aussi le président national de Mob’In France, un réseau qui réunit de nombreux acteurs de la mobilité.

Spécialiste des auto-écoles solidaires, il dit : “Dans cette loi, il y a un volet mobilités inclusives qui autorise beaucoup de leviers pour cofinancer ces permis par le biais du RSA, par exemple, mais aussi par le Compte professionnel de formation (CPF) depuis cinq ans. Cette solution existe dans la loi depuis un arrêté ministériel du 8 janvier 2001. Il en existe plus ou moins une centaine sur le territoire hexagonal mais elles ne sont pas réparties de façon égale.”

Mêmes examens, pas de passe-droit

Déjà, pour une raison économique : il faut un minimum de candidats pour équilibrer leurs finances. Or, dans certaines zones rurales ou de montagne, ce n’est pas forcément le cas. Ces auto-écoles sont nées dans le cadre de la politique de la ville, pour “attirer par ce biais des jeunes des quartiers difficiles et les faire entrer dans un parcours de formation.” Elles s’adressaient aussi à des publics de migrants, de gens proches de l’illettrisme, souffrant de handicaps légers ou bénéficiaires du RSA.

Sur le taux de réussite, là aussi, rien de comparable avec les auto-écoles “classiques”. Thomas Chevillard précise : “On a l’habitude de dire qu’un élève sur deux réussit du premier coup. C’est vrai, globalement. C’est pareil pour un candidat dans une auto-école solidaire mais celui-ci aura eu besoin de nettement plus d’heures de cours. Car, quelle que soit l’auto-école, ce sont les mêmes inspecteurs qui font passer l’examen et il n’y a aucun passe-droit.”

Passer le permis pour certains publics, cela peut n’être que le dernier étage d’une fusée pédagogique ; il faut souvent, avant, passer par beaucoup d’étapes, comme apprendre le français…”

Thomas Chevillard, président de Mob’In France

Un candidat retenu dans une école solidaire a un parcours nettement plus long, de l’ordre de 12 mois à 18 mois en moyenne. “Passer le permis pour certains publics, cela peut n’être que le dernier étage d’une fusée pédagogique ; il faut souvent, avant, passer par beaucoup d’étapes, comme apprendre le français. Et tous les candidats n’auront pas le permis mais on pourra quand même leur trouver une solution : un vélo à assistance électrique, par exemple, qui peut, dans certains cas, être un formidable outil pour se déplacer.” Et d’ajouter : “Mob’In France mène un travail avec le Fonds d’action sociale. On s’adresse à tous les intérimaires qui le souhaitent. Certains peuvent, eux aussi, avoir des difficultés à passer leur permis, voire galérer, ce qui les maintient dans une situation précaire. Eh bien nous, on peut les accompagner vers la réussite, sous une forme de coaching dans ces écoles.”

C’est le chemin parcouru qui est le plus important, leur but était d’inscrire le candidat dans un parcours de formation”

Gérard Hernja, docteur en mobilités

Docteur en sciences de l’éducation et en mobilités, Gérard Hernja a beaucoup travaillé sur ces auto-écoles solidaires et sur les mobilités durables et inclusives. “Il y a une grosse différence d’objectifs entre les auto-écoles classiques commerciales et les solidaires : les premières préparent clairement à l’obtention du permis de conduire ; pour les secondes, c’est le chemin parcouru qui est le plus important, leur but était d’inscrire le candidat dans un parcours de formation. C’était, à l’origine, un outil pour inscrire la personne dans la société.”

Il en est de même pour le profil des enseignants : “C’étaient souvent des éducateurs qui se formaient ensuite à l’enseignement de la conduite ; aujourd’hui, ils viennent du secteur traditionnel. Ces écoles solidaires ne sont pas très nombreuses mais elles sont importantes ; elles s’occupent de personnes qui ne trouveraient pas de place ailleurs dans une auto-école classique pour deux raisons : soit parce qu’elles n’ont pas l’argent pour passer le permis soit parce qu’elles ont des problèmes pédagogiques, d’origine cognitifs, culturels, etc. Si on compare, les jeunes de milieux favorisés obtiennent davantage le permis que d’autres…” 

Les ZFE ? Quand vous êtes pauvre avec une voiture de pauvre, vous êtes sous le coup de la double peine : vous n’avez pas l’argent et en plus on va vous interdire certains endroits…”

Et demain, avec le changement de paradigme dû à l’avènement des zones à faibles émissions (au 1er janvier 2023 à Montpellier, par exemple) qui vont interdire, sans que personne ne s’en émeuve, les centres-villes et de nombreuses communes alentour aux voitures les plus polluantes et à la chère voiture électrique que l’on nous vend à prix d’or, le permis aura-t-il toujours un sens pour ceux qui n’ont déjà pas forcément l’argent pour se payer le permis…?

“Les ZFE, répond Gérard Hernja, remettent, en effet, en cause l’équité des chances pour tous, formule Gérard Hernja. Quand vous êtes pauvre avec une voiture de pauvre, vous êtes sous le coup de la double peine : déjà, vous n’avez pas l’argent et en plus on va vous interdire de circuler dans certains endroits. Quand au passage du permis de conduire, cela ne va rien engendrer pour ces auto-écoles associatives, pas avant une dizaine d’années. Ceux qui vont être plus rapidement touchés sont les garages associatifs qui fournissent et réparent justement des véhicules anciens qui seront bientôt interdits…”

Olivier SCHLAMA

Toulouse : Être mobile, c’est permis !

C’est un travail colossal d’accompagnement vers l’autonomie. Le déclic de créer une auto-école solidaire a été collectif. “Les responsables du  Cidff (Centre d’information des droits des femmes), la régie de quartier Bagatelle, Alliances et Cultures qui gère sept centres sociaux à toulouse et l’association Tremplin se sont rendu compte qu’il y avait énormément de freins à la mobilité l’embauche”, explique Grégoire Husson, directeur de EMCP (Être Mobile C’est Permis).

Entre 200 € et 500 € à la charge du candidat

L’assemblée générale de l’EMCP. DR.

L’association propose, elle aussi, à Toulouse, et dans le nord de la Haute-Garonne (entre Auterive et Muret) à des publics en difficulté de suivre une formation au permis de conduire. La formation très complète, à un prix estimé entre 1 800 € et à 3 500 euros, en fonction du nombre d’heures. Toutefois, le candidat – obligatoirement envoyé par un organisme comme la CAF, Pôle emploi, le Plie, un CCAS… –  ne paye de reste à charge, déductions faites de différentes aides, que quelques centaines d’euros au maximum, de 200 € à 500 €. Cela va des personnes qui ont des difficultés en langue, un handicap léger jusqu’à une mère isolée.

Un taux de réussite au permis de 71 %

Et ce n’est pas un gadget : “En 2021, par exemple, explique encore Grégoire Husson, nous avons accueilli 750 personnes sur notre plateforme mobilités que nous avons créée il y a huit ans. Nous avons accompagné 125 candidats au passage du code et du permis de conduire avec un taux de réussite de 71 %.” Grâce à cette plateforme dont la formule essaime un peu partout dans les départements, on peut proposer des solutions de mobilité innovantes. “Certes, la voiture individuelle, mais cela peut être aussi un vélo à assistance électrique et bien sûr les transports en commun.” Ou un apprentissage vers de “l’intermodalité” : un mélange de plusieurs modes de transports, à commencer par la marche, puis du métro et/ou du bus. “Nous faisons aussi de la sensibilisation au covoiturage”, ajoute le directeur. Il y a aussi des mises à disposition de voitures au Garage pour Tous, un garage associatif qui “facilite aussi l’achat ou la location de voitures pour les plus démunis”.

Plus largement, l’association intervient dans les agences Pôle Emploi, dans les centres de formations, les maisons départementales de solidarité. “Notre information est collective et notre accompagnement est personnalisé. On prend les gens littéralement par la main, jusqu’à, parfois, leur apprendre à acheter un titre de transport…”

O.SC.

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