Pépinières d’entreprises : Un vrai moteur pour l’économie locale !

Emmanuel Bégou, le directeur de la pépinière d'entreprises Flex de Sète Agglopôle. Ph. Olivier SCHLAMA

L’Agglopôle de Sète présentait ce mardi sa pépinière d’entreprises qui trouvera sa place dans un écosystème complet d’accompagnement de créateurs. C’est l’une des 50 d’Occitanie et des 500 de l’Hexagone. Dorothée Lépine de l’agence de développement économique AD’OCC insiste : “Les pépinières sont un lieu central du développement économique. Pour le pionnier René Silvestre, “la solution marche mais on pourrait l’améliorer”, plaidant pour que les privés bénéficient d’un avoir fiscal pour investir.

Les peintures ne sont pas encore toutes sèches. Le parking n’est pas encore totalement bitumé. Les locaux ne sont pas encore complètement aménagés. Mais tous brûlent de présenter ce nouvel outil pour l’économie locale. Pourtant difficile de rêver dans ces locaux, coincés entre un garage Mercedes et Toques & Sens, la cuisine centrale de Sète, qui n’ont aucune vue sur le bleu de la mer mais qui ne veulent pas voir de la couleur de l’amer. “Mais on est à cinq minutes à peine de la gare et du futur pôle multimodal et de l’autoroute…”, plaide Jean-Guy Majourel, vice-président de l’Agglopôle de Sète chargé de l’économie. Où, à partir de 150 € par mois, on peut  abriter sa jeune société ici pour trois ans maximum ; bénéficier de services adaptés et d’un réseau de partenaires économiques.

Un projet à 1,7 M€ cofinancé par l’Agglopôle, la Région et l’Etat

La présentation de Flex, ce mardi matin. Ph. O.SC.

Bienvenue chez Flex, la toute nouvelle pépinière d’entreprises de l’Agglopôle de Sète qui lance, d’ailleurs, dès aujourd’hui et jusqu’au 30 juin, un appel à candidatures pour la remplir dès septembre (1). Flex, un nom en forme de résilience : empruntant la racine des mots flexible ou réflexe et celle de l’ancien occupant des lieux, Flexsys, qui produisait du soufre insoluble pour la production de pneus. Quand les services volent au secours de l’industrie. Et quand l’innovation crée de l’emploi. Le projet a coûté 1,7 M€, dont 64 % payés par l’Agglopôle et 46 % par la Région Occitanie et l’État.

“Pourquoi les collectivités investissent dans ces accompagnements ? Les entreprises qui s’y installent ont neuf chances sur dix d’avoir une pérennité d’au moins trois ans…”

Ce mardi, la présentation en forme de “visite de chantier”, a noté Emmanuel Bégou, le directeur de la structure qui va “travailler en partenariat” avec tout un écosystème dont, notamment, une agence de développement économique, Blue Invest, qui rayonne sur le Bassin de Thau et l’Agathois et un hôtel d’entreprises sur deux sites, Gigamed, à Saint-Thibéry et Bessan, qui vient, lui, selon son responsable Julien Machado, de boucler son appel à projets. Nous avons retenu cinq entreprises, dont trois dans le numérique, sur neuf qui avaient candidaté”, indique Julien Machado, le responsable. Il ajoute : “Pourquoi les collectivités investissent dans ces accompagnements ? Les entreprises qui s’y installent ont neuf chances sur dix d’avoir une pérennité d’au moins trois ans…”

Déjà trois incubateurs à Sète

Inauguration pour Gigamed Explore, à Saint-Thibéry, en mars 2019. Photo O.-SC.

À Sète, où l’antique et maigre tissu industriel, (dont Total) a laissé un grand vide, on tente de donner un nouveau souffle à l’économie locale. Il existe déjà trois incubateurs en Ile Si Singulière, dont celui de l’Ifremer (mer), celui de l’association la Palanquée (ESS) et Blue Thau Lab du syndicat mixte de l’Agglo. Il était temps de donner pleinement sa chance aux start-up de “l’économie bleue”, c’est-à-dire tout ce qui touche aux ressources halieutiques. Mais aussi à l’économie sociale et solidaire et aux espérées pépites non encore révélées qui pourraient devenir, demain, des “satellites” de la florissante industrie culturelle, de Demain nous Appartient et autres futurs Candice Renoir qui font florès dans la région. Le numérique et les start-up dans le tourisme sont les bienvenues également.

+ 10 % de créations d’entreprises en un an en Occitanie

À l’heure où, selon l’Insee, l’institut de la statistique, le nombre de créations croît fortement en Occitanie (+ 10 % en un an), de 88 458 en mars 2021 à 97 716 en décembre 2021 et même déjà à 97 375 (dont 23 887 dans l’Hérault) en mars 2022 (un peu plus d’un million pour la France entière en mars 2022), il est important de faire fructifier économiquement ceux qui ont des “idées“. C’est pour cela que ce genre de pépinières n’est “qu’une brique dans l’écosystème économique local“, précise Jean-Guy Majourel.

Un hôtel d’entreprises dans deux ans

Emmanuel Bégou, directeur pépinière d’entreprises Flex de Sète Agglopôle. Ph. Olivier SCHLAMA

Cette pépinière Flex de vingt-deux places prendra toute la sienne entre couveuses (incubateurs) déjà présents sur le territoire ; un hôtel d’entreprise d’ici deux ans censé poursuivre l’aide aux entreprises qui sortiront de Flex et viendront ensuite garnir des zones économiques dédiées. L’idée c’est aussi de profiter du dynamisme de l’emploi. “Dans l’Agglo de Sète, le taux de chômage est de 10,8 % ; nous avons enregistré une baisse de 8,5 % sur un an. Contre un taux de 10,3 % pour l’Hérault, 8,8 % pour la région Occitanie et enfin 7,2 % en moyenne dans l’Hexagone. Sur le chômage des jeunes nous étions, dans l’agglo de Sète, à presque 30 %, nous sommes tombés à 20 %.”

“C’est une bonne idée d’accompagner les créateurs”

Cofondateur du réseau national des pépinières d’entreprises qui compte quelque 500 structures d’accompagnement des jeunes pousses, René Silvestre, originaire du Vaucluse, n’est pas un inconnu. Il est le fondateur du groupe l’Etudiant, créateur de la pépinière 27 dans le 11e à Paris et de celle de la Boétie (8e) avec le Crédit agricole, toutes premières privées en France.

Il dit : “Même si le phénomène pépinière est ancien, c’est un moteur de l’économie, évidemment. Les pépinières en France créent chaque année au moins 10 000 emplois, c’est beaucoup. C’est de l’emploi et de la richesse créés à partir de pas grand-chose. Les pépinières, il ne faut pas l’oublier, ont 50 ans en France”, rappelle René Silvestre. Les collectivités se sont emparées de cette formule “parce qu’elle marche et que ça crée des boîtes”, juge-t-il. “Et c’est une réussite, bien sûr ! C’est une bonne idée d’accompagner les créateurs.”

“Des gouffres financiers que l’on pourrait éviter…”

René Silvestre. DR.

Numa, Station F… Les grosses pépinières en France accueillent, elles, au moins 50 start-up à la fois. Mais, en France, généralement, il y a beaucoup de “petits machins avec quatre ou cinq jeunes pousses…”, ajoute René Silvestre Beaucoup ont été créés et gérés par des collectivités qui y mettent certes “beaucoup de bonne volonté… Les créer, c’est une bonne idée, pas les gérer. Ce n’est pas leur métier. Souvent, elles ne mettent pas un spécialiste à leur tête. Ce sont des gouffres. La plupart sont déficitaires. Ce que l’on pourrait éviter. Pour la collectivité, c’est devenu une mode comme on a son musée ; c’est une bonne mode. Mais on pourrait améliorer le système.”

“Je n’accuse pas les collectivités mais elles devraient pourvoir juste s’occuper des locaux…”

On accuse les collectivités de ne rien faire. Et quand elles font, on les critique…! “Je ne les accuse pas. Elles ont raison de le faire, précise René Silvestre. Elles devraient simplement mettre des locaux à disposition et que des privés s’en occupent. Aujourd’hui, elles font tout : la construction, la gestion, le ménage… C’est quand même fou que la création d’entreprise, un truc privé, pourquoi serait-ce une structure publique qui s’en chargerait et dont ce n’est pas le métier ? Il faut faire en sorte qu’il y ait des gens un peu comme moi qui ont trois ronds ; j’aurais pu jouer au golf ou aller à la pêche ; eh bien, j’ai créé la “27” pour transmettre.”

Avoir fiscal demandé, en vain, pour les investisseurs

A contrario, il y a très peu de structures privées sui gèrent des pépinières. Pourquoi ? “Le point essentiel, ce sont les locaux qui ne sont pas loués au prix du marché, souvent à la moitié de ce prix. Avec une gestion qui n’est pas parfaite, pas besoin d’avoir fait Saint-Cyr pour comprendre la perte d’argent pour la collectivité. J’avais demandé à Macron de faire voter un amendement pour que tous les investisseurs privés qui veulent créer une pépinière bénéficient d’un avoir fiscal, d’une déduction sur leurs revenus foncier. Ça ne coûte presque rien à l’Etat et il n’y a pas d’usine à gaz à monter. Ça changerait tout : au lieu d’une rentabilité de 0 % ou de 1 % avec une pépinière, grâce à cet avoir il va passer à 3 % à 4 % par an. Et là ça vaudrait le coup. Ça déciderait des investisseurs et des banques. Cela déchargerait les collectivités.”

Les collectivités s’y sont mises, les régions, aussi

Le fils de René Silvestre, Victor, cofondateur, entre autres, de la pépinière 27, l’une des plus grosses concentration de start-up avec 150 jeunes pousses, créée en 2012, complète en parlant de “bulle spéculative permettant aux investisseurs de parier sur quelques potentielles licornes. On s’est aperçus, depuis BlaBlaCar et autres, que certains créateurs ont de bonnes idées… Alors que tout le monde les prenaient pour des fous. Les collectivités s’y sont mises. Les régions, aussi. Aujourd’hui, il n’y a que 3 % des entrepreneurs qui sont hébergés dans une structure”.

Pour les stagiaires et les alternants, c’est beaucoup plus éducatif que de travailler chez Sodexo à la machine à café…

Pour Victor Silvestre, à l’origine du réseau Synintra, il y a de belles structures de ce type “à Toulouse” notamment autour d’EADS. “En 2014, nous avions montré que les pépinières étaient à l’origine de 25 000 emplois par an. Le CAC 40, lui, est à moins 4 000… Alors, oui, c’est un moteur de l’économie locale qui a un effet d’entrainement, y compris sur les jeunes. Il y a énormément de stagiaires, d’alternants dans ces structures. C’est beaucoup plus éducatif que de travailler chez Sodexo à la machine à café… Dans notre pépinière, j’ai, par exemple, quatre personnes qui font, avec leur boîte Les Petits culottés, 12 M€ de chiffre d’affaires en vendant des couches-culottes et prévoient d’en faire 40 M€ en 2023… On avait une promeneuse pour chiens qui a vendu sa boîte avec des carnets de correspondance comme pour les gosses, eh bien des Américains lui ont racheté sa boîte 3,5 M€ ! On a eu Black Market aussi.”

L’état d’esprit d’origine dévoyé par la financiarisation

Mais il faut faire attention “à ce que le contenu soit plus important que le contenant et la communication qui va avec… Dans un secteur où les prises de participation sont très organisées avec des investisseurs, des fonds d’investissement français et étrangers et parient sur du un pour dix : on investit sur dix pour un qui marche…” Ce monde des start-up se transforme. L’état d’esprit d’origine est quelque peu dévoyé par la financiarisation.

“Tout est ordonné depuis les bancs des écoles de commerce…”

“Il y a dix ans, on avait des gens qui créaient des… balades pour chiens ; un nouveau fromager ; des idées, aussi, très techno… Aujourd’hui, des gens se présentent au comité de sélection qui parlent de faire un lancement ; d’un premier tour de table ; la subvention PIA ; puis, un second tour de table auprès d’investisseurs. Sans évoquer ni le contenu ni la vente de leur produit.Tout est ordonné depuis les bancs des écoles de commerce…”

Nous avons, au contraire, de plus en plus d’étudiants avec des projets qui ont du sens, porteurs de valeurs, qui affirment un besoin d’écologie et même d’éthique”

Dorothée Lépine, d’AD’OCC

Chargée de mission à Ad’Occ, l’agence de développement économique de la Région Occitanie, Dorothée Lépine, elle, constate l’effet inverse : “Nous avons, au contraire, de plus en plus d’étudiants avec des projets qui ont du sens, porteurs de valeurs, qui affirment un besoin d’écologie et même d’éthique.” Celle qui anime le réseau régional de 50 incubateurs et de pépinières d’Occitanie, adossés aux collectivités, donne l’exemple de “deux jeunes femmes de l’école d’ingénieurs EPF qui ont créé l’année dernière PimpUp, qui commercialise des paniers avec des légumes moches, une solution antigaspi”, à Montpellier et Toulouse.

“Les investisseurs sont peu attentifs aux territoires…”

Chaque année, ce réseau régional accompagne quelque 1 200 porteurs de projets. Quant à savoir si les collectivités sont bien légitimes à gérer ces structures d’accompagnement, Dorothée Lépine répond : “Il peut y avoir débat sur ce sujet mais il y a des territoires en Occitanie, comme à Decazeville (Aveyron) où aucun investisseur privé ne viendra, surtout lors des premières années de la création d’entreprise.” L’idéal serait de bénéficier d’une solution hybride, complémentaire de ce qui existe, comme le fait à Paris le Crédit Agricole, avec le Village by CA. Ce serait formidable. Or, les investisseurs sont peu attentifs aux territoires, même si on espère que cela va changer…”

Servir la politique économique d’un territoire

Elle l’affirme : “Les pépinières d’entreprises sont un vrai moteur de l’économie locale. C’est le lieu central du développement économique et de tout un écosystème fait de partenaires comme les chambres consulaires, les différentes plates-formes, le réseau entreprendre et les experts comme les avocats, les banques, etc. L’ensemble est un outil qui sert la politique économique d’un territoire.C’est aussi une façon d’implanter les porteurs d’idées dans les territoires.

Olivier SCHLAMA