Pénurie de masques : Ces entreprises de confection dans l’effort de guerre

Les ateliers Tuffery, à Florac (Lozère, confectionnent des masques en jean's... Photo : DR.

(Avec vidéos). Pour la première fois, les préfectures lancent un appel au don tous azimuts. Aux particuliers comme aux entreprises. Au même moment, certaines entreprises de la région stoppent leur production pour confectionner en urgence des masques. Exemples avec Eminence dans le Gard et Tuffery en Lozère.

Du jamais-vu. La pénurie de masques est telle dans tout le pays que préfectures et agences régionales de santé (ARS) lancent ce vendredi soir un appel massif aux dons ! “Les entreprises et les particuliers disposant d’un stock significatif de masques (plus de 500) sont invités à se faire connaître auprès de la préfecture de leur département. Les stocks détenus depuis la grippe H1N1 peuvent également être donnés dès lors qu’ils sont en bon état”, disent-elles.  Même l’Institut du cancer de Montpellier demande sur sa page Facebook : “Nous avons besoin de vous”, s’adressant à “toutes les personnes qui savent coudre pour confectionner des masques pour le personnel non soignant”… Alors qu’un stock de 2 500 masques a été volé hier à Lapeyronie…

Nos masques en jean’s protègent des postillons…”

Julien Tuffery

Avant cet appel inédit – parce que la France n’a pas assez de masques ni de tests, la doctrine ayant malheureusement changé il y a quelques années -, au moins deux entreprises de la région se sont mises sur le pied de guerre. La première s’appelle Tuffery. Son gérant, Julien, a relancé une production de jean’s d’antan, de la belle ouvrage, à Florac (Lozère). Il vient de stopper net sa production pour fabriquer des masques en toile de jean’s et du même polycoton, ce polyester dont sont faits habituellement les doublures de poche de ces pantalons.

Alors, oui, ce ne sont pas des masques homologués pour personnels soignants dans des services de réanimation. Encore moins équivalents aux très recherchés et précieux FFP2. “Mais ils protègent au moins des dangereux postillons”, commente le jeune patron débordé par les coups de fil incessants. Il ajoute, sidéré comme tous : “Face à ce constat alarmant de pénurie massive, nous nous sommes décidés à fabriquer ces masques. Ce n’est en rien de l’opportunisme commercial : nous les offrons tous ! C’est une protection simple qui nous est actuellement demandée par beaucoup de professionnels de santé qui n’ont rien pour aller se battre en première ligne. Nous sommes en trains d’en confectionner 1 000. Nous les donnons autour de nous, localement. Ils sont adaptables. On ne demande rien, ni de carte professionnelle ; mais nous venons d’en donner 300 directement aux Chambres de commerce et chambre de métiers de Lozère. On a comme une gueule de bois…”

Eminence lance la production de quelque 7 000 masques pour les pompiers et le CHU de Montpellier

Autre exemple : entreprise de sous-vêtements et pyjamas masculins, féminins et enfants à Bellegarde (Gard), Eminence vient de lancer la production de 7 000 masques pour les pompiers de l’Hérault (SDIS 34) et le CHU de Montpellier. “Nous avons une responsabilité civique”, souligne Dominique Seau, directeur général d’Eminence depuis 2007. “L’épidémie est une cause nationale, ajoute-t-il. Il y a une vraie solidarité qui naît dans le secteur du textile pour faire ce que nous pouvons pour qu’il y ait un minimum de personnes contaminées et pour protéger en particulier nos soignants.” Eminence n’a pas reçu l’autorisation de vendre au grand public, les masques étant sous la responsabilité des autorités qui les ont commandés. Pour répondre à l’appel d’offres national du gouvernement, l’entreprise réfléchit à ouvrir son autre usine à Sauve, où 85 personnes sont spécialisées dans la confection de textiles.

Les masques FFP2 demandent une technique et des homologations qu’Eminence ne possède pas. Dominique Seau précise : “Nous n’avons pas de compétence sanitaire ou médicale. Nous avons réalisé un prototype à leur demande et selon leur cahier des charges. Ils l’ont validé.” Les masques n’ont pas la particularité de filtrer les virus comme ceux labellisées FFP2.“Nos masques éviteront la contagion si quelqu’un tousse ou éternue à proximité, clarifie le patron de l’entreprise. Ils permettront surtout de ne pas s’infecter lorsqu’un soignant ou pompier se touche le visage ou le nez par réflexe.”

Eminence a lancé la production de 7 000 masques. Photo : DR.

Les 7 000 masques devraient être prêts d’ici le milieu de la semaine prochaine. Une cinquantaine de personnels étaient présents vendredi 20 mars aux ateliers de coupe de tissu. “Habituellement, nous sommes au moins 300 employés directement ou indirectement, en production, en informatique, en logistique, en soutien ou en transport”, précise le chef d’entreprise. Pour choisir le tissu, il a fallu estimer le stock disponible dans l’entrepôt et s’il pouvait répondre au cahier des charges du SDIS34. “Il a fallu travailler avec ce que nous avons”, a ajouté le patron. Fabriqués en triple épaisseur de coton élasthanne, ils seront cousu avec un élastique pour être maintenu sur la tête. Lavables à hautes températures, ils seront donc réutilisables.

Médecins, infirmiers et pompiers sont en première ligne face à l’épidémie qui touche le pays. Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, avait déclaré le 26 janvier : “Nous avons des dizaines de millions de masques en stock. En cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées.” Pourtant, la pénurie de masques ne fait que s’accélérer dans les hôpitaux, les pharmacies, les casernes de pompiers, etc. Pour pallier une partie de cette pénurie, la Chine a fait parvenir un million de masques à la France cette semaine. Une goutte d’eau. La Direction générale de l’armement a lancé un appel d’offres national pour fabriquer 100 000 masques par jour.

Olivier SCHLAMA & Marie-Amélie MASSON

Vidéos de la production de masques chez Tuffery, ICI & ICI

Le coup de sang des infirmiers libéraux

“À la guerre comme à la guerre”, disent-il…

“Les livraisons de masques, hier et aujourd’hui dans les officines de ville à destination des professionnels de santé libéraux, ne sont pas à la hauteur de nos attentes et sans rapport avec les besoins permettant de garantir un niveau minimum de sécurité pour les soignants qu’on envoie au front…Nous sommes en guerre !” Ainsi débute le coup de sang des infirmiers libéraux de la région Occitanie .

Ces professionnels de santé ajoutent : “Si l’on en croit l’Agence régionale de santé, rien de prévu au-delà de la livraison hebdomadaire de 18 masques chirurgicaux par professionnel et encore pas tous ! Certaines professions (orthophonistes, pédicures) se sont vues contraintes de fermer les cabinets, d’autres (kinés, chirurgiens-dentistes) n’exercent plus que partiellement. Même les volontaires pour assurer les consultations en binômes médecin / IDE dans les centres d’accueil dédiés COVID-19 ne sont pas assurés d’avoir les équipements nécessaires à leur sécurité (…) 

“Alors à la guerre comme à la guerre !  On va faire appel à tous : maires, directeurs d’écoles, professionnels de santé au repos forcé, mais aussi à toutes les professions (agriculteurs, bouchers, professions agroalimentaires…) qui peuvent utiliser au quotidien ou occasionnellement tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à des équipements de sécurité ou de protection… On saura faire le tri !  

“Aujourd’hui c’est priorité absolue à la santé, nous allons devoir faire preuve d’ingéniosité et d’inventivité pour relever en ville, le défi que nous lance ce virus, sans compter pour l’instant sur des tutelles qui s’avouent impuissantes. Des maires ont déjà anticipé et ont fait parvenir dans les cabinets des masques FFP2, légèrement périmés, mais nous ne sommes mêmes plus à çà près. Il y’en a partout ! Sollicitez vos édiles, faites leurs fouiller leurs placards ! Certaines municipalités ont déjà fait le choix de confier ces stocks aux hôpitaux ?? Maintenant ça suffit ! On ne pourra dans un premier temps, ne compter essentiellement que… Sur nous !”

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