P.-O. : Boire l’eau de mer dessalée comme à Barcelone ? “D’abord faisons une étude poussée…”

Vu le contexte d’urgence – de nouvelles mesures de crise sont attendues – une délégation d’élus a visité la plus grande usine de dessalement d’eau de mer d’Europe. À l’instar des maires de Elne et de Sainte-Marie-la-Mer, c’est l’une des solutions d’avenir mais avec des pré-requis : des études environnementales poussées et la création d’un organisme public de gestion de toutes les sources d’eau potables. Une réflexion pionnière en France.

Et si l’on buvait de l’eau de mer…? En ces temps de crise, historique, de l’or bleu, l’idée de dessaler la Méditerranée fait doucement son chemin. D’autres l’ont fait bien avant ce département, entre Méditerranée et montagnes, pourtant jusque-là béni des dieux. Israël, de l’autre côté de la Méditerranée, a sans doute la plus grande expérience dans le domaine. Qui n’est pas sans questions sur l’environnement – ils rejettent des quantités astronomiques de saumure traitées dans des fosses de 5 000 mètres – et les défis écologiques et financiers qu’il engendre.

Sans doute bientôt une visite en Sardaigne

“Il y a des pays, comme Israël, où l’on a déjà plus le choix, où l’on est obligés de choisir la vie…”, souffle Nicolas Garcia. Le premier vice-président du département des Pyrénées-Orientales et du Syndicat des nappes du Roussillon a visité le 3 mai l’usine de dessalement d’eau de mer de Llobregat, à Barcelone, avec, notamment, l’Association départementale des maires. Mais, ils iront sans doute en Sardaigne où, grâce à une usine de dessalination, l’île est “autosuffisante en eau”, confie Edmond Jorda, son président et maire de Sainte-Marie-la-Mer.

Pyrénées-Orientales : nouvelles mesures d’urgence

Barrage de Caramany dans les Pyrénées-Orientales. Photo : Direction eau et environnement département des Pyrénées-Orientales.

Le contexte d’un département à l’agonie a dicté cette visite en urgence. Alors que le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a déjà annoncé l’interdiction de la vente de toutes les piscines hors-sol aux particuliers des Pyrénées-Orientales et peut-être la fermeture des golfs et des mesures drastiques pour les piscines de camping, alors que la sécheresse n’a jamais été aussi catastrophique, et que des “mesures de crise” doivent être prises dans ce département dans deux jours, le 10 mai. Et peut-être dans d’autres départements d’Occitanie, comme l’Hérault et surtout le Gard.

La Catalogne mise sur les usines de dessalement

Cette usine barcelonaise, El Prat del Llobregat, la plus grande d’Europe a vu se créer une soeur jumelle, à Tordera, près de Gérone (dont la Generalitat veut quadrupler la capacité), et une troisième usine s’annoncer à l’embouchure du Foix, d’ici 2030. Elle avait été décidée quand, en 2008, la Catalogne faisait face, déjà, à une violente sécheresse et qu’elle avait dû faire venir de l’eau potable par… tankers ! Frêche, en son temps, avait imaginé fournir l’eau du Bas-Rhône à la Catalogne via un énorme adducteur d’eau qui, depuis, a émergé mais ne traversera jamais la frontière : Aqua Domitia, dont Dis-Leur vous a déjà parlé ICI. Les Catalans ont préféré préserver leur souveraineté. Et Frêche la sienne.

L’usine de Llobrégat a coûté 230 M€

Le coût de l’usine de Llobrégat ? 230 M€, assumé par l’Union européenne à hauteur de 65 % et à 35 % par l’Espagne et la Catalogne. Cette unité est devenue partie intégrante indispensable à l’alimentation en eau de la capitale catalane en abreuvant jusqu’à 20 % des besoins de la population, soit 60 millions de mètres cubes pour un million d’habitants. Tentant. Ce ne sera sans doute pas la solution mais l’une des solutions à l’avenir.

Sur 100 litres d’eau, 55 litres de saumure

D’ici là, il va falloir relever des défis. Entre l’aéroport et le port de Barcelone surgit un gros tuyau qui aspire l’eau de la Méditerranée à plus de deux kilomètres au large et à trente mètres de profondeur. L’eau est ensuite longuement filtrée et traitée pour en extraire pollutions et impuretés (déchets, plastiques…) notamment avec le procédé bien connu d’osmose inverse pour séparer le sel de l’eau, très coûteux en énergie (trois kilowatt le mètre cube) et donc en finances publiques. La saumure sera, elle, ensuite rejetée à 500 mètres de profondeur.

Nous sommes très circonspects sur la pollution engendrée. Les Barcelonais disent que tout ça est bien contrôlé… Les scientifiques de chez nous nous disent que c’est plus compliqué…”

Nicolas Garcia, maire d’Elne et président du syndicat des nappes du Roussillon
Le maire d’Elne, Nicolas Garcia, au centre. Ph. Mairie d’Elne.

Nicolas Garcia poursuit : “L’eau de mer subit aussi des traitements chimiques importants, notamment à base d’acide sulfurique. Au final, sur 100 litres d’eau de mer, l’usine en rejette 55 litres de saumure en mer. Il ne reste que 45 litres pour la consommation d’eau potable humaine.” Et : “Nous sommes très circonspects sur la pollution engendrée. Les Barcelonais disent que tout ça est bien contrôlé… Les scientifiques de chez nous nous disent que c’est plus compliqué… Cela dépend aussi de la constitution du fond marin. Avec de grandes fosses comme en Israël où s’accumulent les couches de sel avec donc moins d’impact sur la biodiversité, ou un grand plateau continental, ce n’est pas pareil. Je sors rassuré du process, pas de la problématique de la pollution. À moment donné, une représentante de l’usine nous a dit : “En plus, nous avons trouvé un endroit sans faune ni flore pour rejeter la saumure.” Difficile à croire…”

Coût d’une usine dans les Pyrénées-Orientales ? 100 M€

Est-ce une solution pour les P.-O. ? “Si je fais un rapide calcul, en proportion, il faudrait compter 100 M€ pour une population de 230 000 habitants pour produire quelque 10 à 15 millions de mètres cubes sur les 50 millions consommés chaque année dans ce département. Mais, avant toutes choses, il faut faire des études d’impacts poussées pour la pollution et le rendement économique”, insiste Nicolas Garcia.

Ce qui est intéressant, plaide encore l’élu, au-delà du process qui est discutable, c’est que cette eau est produite par un grand service public. Cela valide totalement mon idée de syndicat de l’eau potable dans les P.-O., un projet que je porte depuis cinq ans, un Sydeton de l’eau. À Barcelone, cette idée ne marche que parce qu’ils ont aussi la gestion des rivières. Ils gèrent la production de l’eau pour cinq millions d’habitants. L’eau est en fait mélangée ; qu’elle provienne du dessalement ou des rivières.”

Le modèle de gestion et un prix moyen

“Cela fait évidemment monter un peu le prix de l’eau. Mais il faut bien distinguer l’eau produite (par un syndicat public par exemple), l’eau assainie et l’eau distribuée qui est un acte technique et qui peut se faire en public ou privé. Si c’est un syndicat public qui produit l’eau, il poursuit un intérêt public. Avec les seuls 20 % d’eau du dessalement, il y aurait un coût de production tellement élevé que ce serait inabordable : cette eau-là sort à 76 centimes le mètre cube contre 0,16 ou 0,17 centime le mètre cube pour l’eau classique. Mais cela peut aller bien plus haut quand l’eau à acheminer emprunte des chemins complexes, comme en montagne. Ils peuvent proposer un prix de l’eau moyen intéressant parce que l’eau des barrages et des rivières sort, elles, à 3 centimes. Et ils peuvent le faire d’autant plus que grâce à un syndicat spécialisé, ils ont la main sur toute l’eau potable dans cette zone : ils gèrent les cinq barrages, en lien avec l’Agence catalane de l’eau ; deux fleuves, Ter et Llobregat.”

Nous allons porter avec l’association des maires une idée au préfet : la création d’une mission de personnalités locales qualifiées qui fera le tour de tous les acteurs agissant dans le domaine de l’eau et qui fera un ensemble de propositions”

Edmond Jorda, président des maires des Pyrénées-Orientales

Donc un prix moyen avec l’eau de mer des usines de dessalement comme complément. “76 centimes : c’est le prix payé par le distributeur (un distributeur privé à Barcelone) qui, ensuite, applique sa marge qui comprend l’assainissement. “Le mètre cube peut monter à 3 € ou 4 €”, précise-t-il. Son homologue, maire de Sainte-Marie-la-Mer et président des maires des P.-O., Edmond Jorda ne dot pas autre chose. “Ce que j’ai surtout retenu, c’est le modèle de gestion de la ressource. C’est un seul organisme qui gère tout : sources, fleuves, barrages et les usines de dessalement. Cela permet d’avoir une vision globale et de maîtriser les coûts.” Pour préfigurer la création de cet organisme public de gestion, “nous allons porter avec l’association des maires une idée au préfet : la création d’une mission de personnalités locales qualifiées qui fera le tour de tous les acteurs agissant dans le domaine de l’eau et qui fera un ensemble de propositions”. 

“Il ne s’agit pas de consommer toujours plus…”

Edmond Jorda anticipe les critiques : “On pourra, économiquement, avec le département et la communauté urbaine, financer ce genre d’usine. Ce n’est pas inabordable. Mais l’idée n’est pas de continuer à consommer davantage. Je fais souvent le parallèle entre la gestion de l’eau et celle de l’énergie : il faut d’abord économiser l’eau. Et comme pour l’énergie, il n’existe pas une solution unique mais un ensemble de solutions. L’eau est rare et précieuse. Il ne s’agit pas de consommer toujours plus mais de changer de modèle, plus économe. En incluant la réutilisation des eaux usées ; de retenir une partie de l’eau des rivière et la stocker, etc. Mais, d’abord, il faudra lancer des études environnementales poussées. Je crois à cette solution dès lors que l’on aura aussi trouvé le modèle économique.”

Olivier SCHLAMA

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