Municipales : “Transports gratuits ? Une solution d’avenir !”

Imaginer des transports gratuits, ce n'est pas nouveau. Certaines agglomérations se sont lancées très tôt dans cette affaire. Ce qui l'est, c'est l'ampleur que s'apprête à prendre cette mesure parce que l'on est bien dans une logique de changement de mentalité. Là où les élus étaient auparavant frileux de contraindre la voiture au profit des transports en commun, parce que l'automobiliste vote. On avait souvent une frilosité. Gare Saint-Roch, en 2016. Montpellier. Photo : Laurent Chapelon.

Rendre les transports collectifs – bus, tramways, métros – gratuits est-ce envisageable ? Souhaitable ? Pour Laurent Chapelon, professeur à l’université de Montpellier, spécialisé dans les mobilités urbaines, c’est un choix fort qui engage une ville dans une voie apaisée et plus vivable.

L’engouement des candidats aux municipales pour la gratuité des transports publics ne se dément pas. A l’heure actuelle, vingt-neuf communes dont deux intercommunalités de plus de 100 000 habitants (Niort et Dunkerque) sont passées au tout-gratuit pour l’usager, selon le rapport pour le Groupement des autorités responsables de transports (GART) rassemblant les collectivités, mairies, départements, régions, etc. qui gèrent des réseaux de bus, tramway ou métros en France (1). Et dans la région aussi, des candidats proposent cette avancée.

Laurent Chapelon. L’engouement pour les transports en commun gratuits et les vélos est indéniable. Photo : DR.

Électoralisme, prise de conscience du réchauffement climatique ? En tout cas, les 27e rencontres du transport public à Nantes, le 1er octobre dernier, en ont été le témoin : l’engouement des candidats est réel. Dans notre région aussi : de plus en plus de villes imaginent des transports collectifs gratuits. C’est le cas des candidats PS aux municipales à Montpellier (Michaël Delafosse) et Sète (Sébastien Denaja qui propose de l’expérimenter), d’un désormais ex-candidat macroniste à Béziers, de la presque totalité des listes à Perpignan, des insoumis à Toulouse… Alors, certes, la gratuité absolue n’existe pas : le transport a un coût. Il n’y aurait alors qu’un transfert de charges. Mais quelle est la nature profonde de cette tentation ? Dis-Leur fait le point avec Laurent Chapelon, professeur à l’université de Montpellier (2).

Il y a une condition fondamentale qui joue un rôle de choc psychologique. C’est l’efficacité. Si la gratuité se fait au détriment de l’efficacité, alors ça ne sert à rien. C’est la fréquence, l’amplitude et la couverture du réseau.”

Laurent Chapelon

“Le tout-gratuit, son objectif c’est de lever les freins qui persistent à l’usage des transports collectifs, ils sont économiques et pratiques (démarches pour s’abonner, etc.). C’est de donner un accès, c’est faciliter et susciter du report modal.” De laisser la voiture au garage pour les petites trajets. “Car aujourd’hui les mobilités locales plafonnent à 8 % ou 9  % sur des mobilités locales. Le but c’est de passer un cap. De rendre les transports publics plus attractifs. Mais il y a une condition fondamentale qui joue pour moi son rôle de choc psychologique. La condition fondamentale, c’est l’efficacité. Si la gratuité se fait au détriment de l’efficacité, alors ça ne sert à rien. C’est la fréquence, l’amplitude et la couverture du réseau.”

Le tramway de Montpellier. Photo : DR.

C’est aussi vrai pour le train entre Sète et Montpellier, par exemple, qui joue un rôle de RER dans le Sud. “Il y a trois critères pour juger de la performance en général. Le premier, c’est la couverture du réseau. Ce qui fait la force de l’automobile, c’est que l’on a un réseau hyper fin qui couvre tout le territoire” Il ne faut pas que la gratuité soit chiche. “Il ne faut pas que la gratuité soit compensée et limitée par l’étroitesse du réseau.” Le deuxième critère, c’est l’immédiateté d’accès au service.La voiture, je tourne la clef de contact et j’accède au service. Je roule immédiatement. Sans aucun délai.”

Le tramway et le bus à haut niveau de service en sites propres, ont un rôle à jouer pour concurrencer efficacement la voiture.”

Par définition, les transports en commun, c’est dans l’esprit des gens plus long en temps, voire fastidieux. C’est cela qu’il faut gommer : “Il faut qu’un bus ou un tramway arrive à l’arrêt où je l’aurais attendu. C’est la notion de fréquence ; et celle-ci est trop faible, cela fait perdre en attractivité. Ce qui est surtout le cas pour les liaisons inter-urbaines par autocars, voire TER, où il y a seulement trois horaires : un service le matin, le soir et le midi. Là, c’est très contraignant.” Et cela ne concurrence pas vraiment la voiture. Le troisième critère pour évaluer la performance, c’est la vitesse, la rapidité de circulation. Et là, les transports publics, en ville, notamment le tramway et le bus à haut niveau de service en sites propres, ont un rôle à jouer pour concurrencer efficacement la voiture.”

Dans une logique de changement de mentalité

Pourquoi la gratuité des transports en commun rejaillit-elle aujourd’hui ? “Ce n’est pas nouveau. Certaines agglomérations se sont lancées très tôt dans cette affaire. Ce qui rejaillit, c’est l’ampleur que s’apprête à prendre cette mesure parce que l’on est bien dans une logique de changement de mentalité. Là où les élus étaient auparavant frileux de contraindre la voiture au profit des transports en commun, parce que l’automobiliste vote. On avait souvent une frilosité. Le changement qui s’opère actuellement c’est donc un changement de mentalités qui intègre les problématiques environnementale, peut-être pas en première intention, mais, inconsciemment, on sent bien qu’il y a une inquiétude vis-à-vis de l’avenir de la planète. Les gens ont envie de faire un effort et il faut les accompagner vers cet effort. Le transport public gratuit, au même titre que le vélo, c’est la solution d’avenir. La gratuité c’est le moyen d’inciter ceux qui sont réticents et/ou qui considèrent que l’autosolisme (être seul dans sa voiture, Ndlr) est supportable économiquement qu’ils peuvent basculer sur du transport public gratuit.”

Adapter le réseau actuel à la demande future

Y a-t-il au moins un revers de la médaille ? “Il y en a un important. Il faut être en capacité de supporter les flux supplémentaires que la gratuité va occasionner. Quand on voit par exemple la ligne 1 du tramway de Montpellier souvent saturée, si on passe au tout-gratuit, la demande de transport va augmenter : il faudra donc adapter les fréquences à cette nouvelle donne.” Acheter des rames en plus, notamment. Aucune ville n’est encore passée au tout-gratuit dans la région. Dans l’agglomération d’Aubagne (12 communes), près de Marseille (Bouches-du-Rhône), on y est passé depuis 2009.

Pour conclure, Laurent Chapelon dit : “Il faut évaluer au cas par cas le coût d’une telle mesure ; quelle charge supplémentaire cela induit-il ? Mais déjà on connaît les premiers bénéfices depuis les premières expérimentations : une ville apaisée, une meilleure qualité de l’air, et donc une meilleure santé et des coûts de santé amoindris.” Et une meilleure sécurité : “Des transports en commun ont moins d’accidents que les voitures”, affirme l’universitaire. Et d’ajouter : “C’est simple, il faut un choc. Entendez bien : entre 2003 et 2014, le tramway a gagné seulement 4 % de part des mobilités locales, soit 1 % par ligne. Imaginez le coût supporté ! Il faut savoir quelle ville on veut avoir.”

La future station CHU du futur téléphérique de Toulouse. Photo : Groupement POMA / Architectes-urbanistes : SEQUENCES / Images : Les Yeux Carrés.

Pas davantage d’incivilités

Souvent, on plébiscite la ville de Vienne (Autriche) comme exemple à suivre. “Vienne reste la ville au monde offrant la meilleure qualité de vie, selon l’étude 2018 du cabinet Mercer, qui voit les agglomérations européennes se tailler une nouvelle fois la part du lion dans ce classement. Les Viennois affirment qu’il sont heureux d’y vivre. Pour deux raisons : elle propose des logements avec des loyers faibles voire dérisoires grâce à la possibilité de se transmettre son appartement de génération en génération. L’autre raison, ce sont des transports en commun bon marché et bénéficiant d’un réseau de bus remarquable fonctionnant 24 heures sur 24 heures.” La capitale autrichienne est plébiscitée, aussi “pour la sécurité qu’elle procure à ses habitants” et donc “l’efficacité de ses transports en commun ainsi que la diversité de ses structures culturelles et récréatives”, arrive en tête pour la neuvième année consécutiveLa question que cela pose pour nous c’est quelle ville veut-on pour demain ?” 

Et à ceux qui défendent l’idée de faire payer, même une somme symbolique, au voyageur de sorte qu’il se sente concerné et qu’il y ait par exemple moins de dégradations ; que tout a une valeur, transports compris, Laurent Chapelon avance : “À Dunkerque, où l’on a mené une vaste étude. Elle révèle entre autres un élément important. Il me semblait que la gratuité pouvait entrainer des incivilités. Eh bien cette étude bat cette idée en brèche : il n’y en a pas davantage. Et puis, faire payer certes, mais nous payons déjà des impôts.”

Olivier SCHLAMA

(1) Dans son étude, le Gart, “inquiet pour le modèle économique” fait de taxes des transporteurs, affirme qu’il “n’y a pas d’étude sur la gratuité du transport en commun” ; que si “elle est pertinente pour certains, ce n’est pas une solution durable pour tous, notamment pour les communes de grande taille” et enfin : “L’impact sur le report modal de la voiture est difficile à mesurer”.

(2) Laurent Chapelon est professeur au département de géographie et d’aménagement de l’espace de l’université Paul-Valéry, à Montpellier. Il y enseigne l’analyse spatiale depuis plus de 15 ans et codirige les spécialités de Master Géomatique et Mobilités spatiales et aménagement.

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