Montée des eaux : 120 futurs architectes planchent sur Frontignan, un cas d’école

L'érosion ne cesse de gagner du terrain. Comme ici sur la plage de Frontignan ce lundi 22 février 2021. L'érosion gagne à chaque tempête... Photo : Olivier SCHLAMA

Alors qu’un fort coup de mer est à l’oeuvre sur la côte, une promotion entière d’élèves architectes planchent sur la résilience du littoral face au réchauffement climatique qui s’accélère. Et plus précisément sur l’habitat collectif. Le but : sensibiliser ces futurs professionnels et sortir de l’idée de domination de la nature. Et s’adapter.

Le grégau, ce puissant vent “Grec”, qui a soufflé à près de 100 km/h ce lundi sur le littoral a secoué les habitués, partagés entre beauté du spectacle de l’écume et du vent et inquiétude face aux dégâts présents et à venir de ces coups de mer inlassablement répétées : ganivelles mises à terre, digues submergées ; passerelles pieds dans l’eau et sable qui part par paquet avec le ressac et ne reviendra pas. La submersion marine est dans tous les esprits. L’enjeu du vivre avec aussi.

Prenons la vaste commune de Frontignan constituée d’un chapelet d’étangs ; d’une Gardiole protégée ; d’un trait de côte malmené par les coups de mer. Ce qui pose la question vitale des habitations de plus en plus menacées. Du Racou aux Sainte-Marie-de-La-Mer, l’érosion menace.

Déjà 71 M€ dépensés pour Sète et 17 M€ pour Frontignan

photo : Olivier SCHLAMA

De part sa configuration, Frontignan reste un fabuleux laboratoire pour urbanistes et architectes pour imaginer comment ses 23 000 habitants pourront-ils apprivoiser cette adaptation à marche forcée qui avance comme un cheval au galop. Et servir d’exemple, qui sait, pour ce littoral héraultais en danger. En tout cas servir de boîte à idées. Et il y a urgence : l’Agglopôle de Sète a déja – avec des partenaires – dépensé 17 M€ pour réensabler les plages frontignanaises et y créer des champs de ganivelles propres à retenir des poches à sable… Sa voisine, Sète, a mené, elle, un travail pharaonique avec un projet salué par l’Europe à 71 M€, avec déplacement de la route.

“Laisser libre cours à leur imagination…”

Le réchauffement climatique et son corollaire, la montée des eaux, sont inéluctables. C’est le cas d’école sur lequel se penche toute une promotion de l’école d’architecture de Montpellier. Quelque 120 étudiants de 3e année de licence vont mener une réflexion et un devoir sur la thématique Habiter ensemble demain. Un travail qui sera restitué cet été sous forme de projets fictifs rédigés avec plans, croquis et maquettes.

“Faire intervenir des étudiants comme cela sur un territoire est une bonne chose : ils n’ont pas en tête les contraintes habituelles et peuvent laisser libre cour à leur imagination et faire ainsi avancer la réflexion ; on peut par la suite retrouver une partie de leurs idées, amendées, allégées dans des projets municipaux”, expose Damien Viellevigne, architecte montpelliérain. Comme l’a fait un élève du géographe Alexandre Brun qui avait imaginé une gigantesque passerelle habitée au-dessus des étangs frontignanais, comme Dis-Leur vous l’avait révélé !

Frontignan-plage, ça grignote dangereusement… photo : Olivier SCHLAMA

Ces architectes de demain plancheront sur la relocalisation d’activités, en particulier dans les zones littorales, “pour faire face aux conséquences humaines, matérielles, économiques et environnementales qui se font déjà sentir. Il s’agit de repenser la relation entre zones urbaines et espaces naturels, de retrouver un équilibre territorial et un rapport nouveau entre société et milieu littoral”. Il est indispensable que les architectes en devenir aient en tête cette problématique : les scientifique du Giec envisagent une montée des eaux d’un mètre en un siècle en Méditerranée ! L’enjeu est considérable. De Sète à Frontignan ; de Vias à Portiragnes… Comment résister ? Comment s’adapter ? Comment continuer à construire avec cette contrainte ?

Le plus important, c’est la notion culturelle : le rapport que les sociétés successives ont entretenu avec le territoire”

Jordi Pimas
Jordi Pimas. DR.

Maître de conférence à l’école d’architecture de Montpellier, Jordi Pimas, qui encadre ce projet, précise que ce travail se conduit à l’échelle de Frontignan. “On s’est mis d’accord avec la ville de Frontignan et le Département pour mener un travail spécifique dont les enjeux se situent à l’échelle du département, notamment sur les territoires littoraux refaçonnés. Le changement climatique s’accélère. Avec la montée des températures et des eaux, le littoral va se transformer très rapidement. Nos étudiants travailleront plus particulièrement sur le logement collectif. Ce genre de partenariat est très utile. La vision des étudiants est fraîche, totalement dégagée. Il faut comprendre les cycles longs de la nature, l’épaisseur et l’histoire de l’évolution du trait de côte… Le plus important, c’est la notion culturelle : le rapport que les sociétés successives ont entretenu avec le territoire.”

Je pense davantage à une stratégie de repli. La maison flottante ne vous met pas à l’abri des tempêtes et vous laisse en danger… Mais c’est un avis très personnel. On est là pour explorer les différentes options”

Pas question a priori de penser à une passerelle habitée ou à de l’habitat flottant comme à Gruissan. “Personnellement, je pense davantage à une stratégie de repli. La maison flottante ne vous met pas à l’abri des tempêtes et vous laisse en danger… Mais c’est un avis très personnel. On est là pour explorer les différentes options.” Le repli stratégique, c’est souvent une stratégie de l’échec sans parler que le foncier pour rebâtir plus loin dans les terres n’existe pas forcément et se pose le problème du financement avec acuité.

“Il y a six groupes qui vont travailler chacun avec leur sensibilité. La philosophie, c’est la résilience. La montée ces eaux est inarrêtable. Même si on arrêtait tout aujourd’hui, le scénario de la montée des eaux ne changerait pas jusqu’en 2050. L’idée c’est comment on va reconfigurer le regard que porte notre société sur cette problématique.” 

“Les villes moyennes ont une plus forte capacité de développement”

Passerelle de Frontignan-plage, les pieds dans l’eau… Photo : Olivier SCHLAMA

Cette exploration fait aussi partie d’un grand mouvement silencieux. C’est la grande revanche des villes moyennes, de plus en plus prisées pour leur cadre de vie et que l’on s’attache à améliorer. Les grandes métropoles, ça devient de plus en plus compliquées d’y vivre ; les confinements et la pandémies sont passés par là… “Les villes moyennes ont une plus forte capacité de développement. En tout cas, ce serait une bonne chose si cela se vérifiait. Car le problème général à résoudre pour les architectes était, avant la crise, comment résoudre l’attractivité du territoire au-delà de Montpellier”, analyse Jordi Pimas.

“La gouvernance, c’est la clé…”

D’autres villes côtières font-elles la même démarche ? “Pas encore. Cela fait qu’un an que je suis à l’école de Montpellier. Ce travail centré est donc récent. Les institutions publiques sont extrêmement intéressées.” Cette problématique interroge beaucoup sur la gouvernance : Scot, communes, départements… Ou comment s’affranchir des frontières administratives pour avoir une capacité d’action davantage liée au besoins locaux. “Je n’ai pas de solution mais j’invite les jeunes générations à s’interroger. La gouvernance, c’est la clé…”

“Je viens de la région de Maresme, en Catalogne, entre Barcelone et Blanès, est touchée par cette question de l’érosion. Les solutions, il n’en n’ont pas forcément trouvé là bas non plus. C’est très complexe…  Il faut comprendre et agir à échelle territoriale les cycles de renouvellement du sable etc. Et en passer par de vastes projets à l’échelle d’un territoire. Ce littoral est déjà le produit d’enjeux passés avec la mission Racine qui, il y a un demi-siècle, a transformé le littoral et créé des stations balnéaires. Nous, nous sensibilisons déjà de futurs praticiens pour changer de regard. Et faire évoluer les modes de vie..” Y compris entre les écoles d’architectes de Toulouse et Marseille pour “mutualiser les efforts”.

Olivier SCHLAMA

Littoral : les idées bouillonnent

La prospective littorale est complexe parce qu’elle croise plusieurs mondes professionnellement différents dont les visions divergent souvent : les milieux scientifiques, la gouvernance politique, la maitrise foncière et réglementaire et les solutions urbaines, paysagères et architecturales plus techniques.

Daniel Andersch est architecte et urbaniste de l’Etat. Il dit : “L’Ensam innove avec ce partenariat d’étude puisque Jordi Pimas, enseignant à l’Ensam, a justement choisi d’embrasser cette problématique pluridisciplinaire en réunissant les services de l’Etat, la direction départementale des territoires et de la mer, garante du respect de la loi littoral, le département avec Hérault Littoral et sa mission développement durable, dirigée par Michel Pieyre, le tout, à l’initiative de la ville de Frontignan spécialement impliquée en la matière.”

Thématique du logement

La créativité des étudiants devrait en être découplée en l’abordant par la thématique du logement ; ils toucheront à la qualité du cadre de vie, à l’histoire de ses habitants, aux aménités territoriales … et pourquoi pas participeront à influencer les futures normes plus résilientes ?

Par contre, il ne faut pas oublier pour autant les dangers de construire en sites cumulant des menaces fortes ! Pour ce faire, la DDTM de l’Hérault veillera à réduire les situations de vulnérabilité des personnes en respectant les restrictions liées aux plans de préventions des risques.

Les ateliers se multiplient à Béziers, Sète, Frontignan

La bonne nouvelle, c’est que d’autres ateliers se multiplient en ce moment sur ces sujets, comme l’Amiter Renouvellement urbain en secteurs inondables à Béziers ou la démarche Atelier des Territoires à Sète et Frontignan, les mettre en relation serait une prémisse pour transformer l’amphithéâtre du Golfe du Lion en workshop littoral ?

Pour en savoir plus sur l’Amiter de Béziers : Le Puca (Plan urbanisme construction architecture) et le Cerema viennent de lancer un autre concours d’idées ouverts cette fois-ci aux professionnels autour de communauté d’agglomération Béziers Méditerranée, sur le secteur historique du faubourg de Béziers : Mieux aménager les territoires en mutation exposés aux risques naturels, lancé à l’initiative des ministères de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires.

Pour en savoir + sur « l’Atelier des Territoires » à Sète et Frontignan : la nouvelle secrétaire générale adjointe de la préfecture de l’Hérault, la sous-préfète Emmanuelle Darmon, lance début mars le séminaire à l’échelle de Sète Agglopôle Méditerranée sur le thème de la résilience sur le littoral et de la recomposition spatiale.

Érosion, climat, lisez Dis-Leur !