Mobilisation contre la “casse des lycées pro” : Le gouvernement remet sa réforme sur le métier

Une seconde grève lancée par tous les syndicats est annoncée pour le 17 novembre, après une première grève massive mardi de l’enseignement professionnel qui cumule les difficultés. Face à la défiance générale, le gouvernement annonce opportunément des “groupes de travail” lancés aujourd’hui dont les conclusions sont attendues pour Noël…

Rétropédalage toute ! Du côté du ministère de l’Enseignement professionnel, on réécrit l’histoire en ce jeudi après-midi, sans fournir la moindre estimation du budget nécessaire selon lui. “La réforme n’est pas écrite ; il n’y aura pas de big bang le 1er septembre 2023 et la réforme sera progressive, sur la durée du quinquennat.” Seule certitude : “Les élèves de la voie professionnelle seront gratifiés {précédemment a été évoqué entre 200 € et 500 €, Ndlr} pour les motiver…” La ministre, Carole Grandjean, doit le confirmer ce vendredi en déplacement dans un établissement à Paris.

“Adapter les formations à la demande des entreprises”

Pour le reste, face aux critiques et à la grève massive de mardi et celle annoncée du 17 novembre (lire ci-dessous), le ministère de l’Enseignement professionnel tient à donner tous les gages “d’une nouvelle méthode de travail” pour réformer le lycée professionnel comme s’y était engagé le candidat Macron avant sa réélection. Et de répéter que la volonté est de “rapprocher du monde de l’entreprise” les 626 700 élèves engagés dans la filière de l’enseignement professionnel (511 800 bac pro ou brevet des métiers, 6 900 en mention complémentaire et 108 000 en CAP mais aussi 72 900 enseignants répartis dans 2090 établissements) ; “d’adapter les formations à la demande des entreprises et si possible améliorer les conditions de travail des professeurs”, toujours selon le cabinet de la ministre.

Il ne s’agit pas de démanteler la voie professionnelle ou de supprimer des professeurs”

Pour y parvenir, quatre groupes de travail, pilotés par des recteurs et composés d’une quarantaine de personnes qualifiées, se réuniront jusqu’à Noël, à cinq reprises à raison d’une demi-journée à chaque fois. “Prenons une image culinaire : ces groupes c’est comme si des cuisiniers travaillaient en cuisine. À partir de Noël, on composera le menu, c’est-à-dire les propositions de réforme. Il ne s’agit pas de démanteler la voie professionnelle ou de supprimer des professeurs. Nous voulons au contraire investir pour changer la donne”, annonce-t-on au ministère, précisant que la voie professionnelle “restera dans le giron de l’Education nationale”.

Quelque 900 000 décrocheurs chaque année en France

Le premier groupe de travail s’attachera à faire baisser le nombre de décrocheurs, ces 900 000 élèves qui sortent du système éducatif chaque année sans aucun diplôme. “Personne n’accuse les lycées professionnels mais ils en sont le réceptacle. Ce groupe de travail avancera ses pistes de réflexion pour des solutions envisagées…” Le deuxième groupe de travail s’attachera, lui, “à trouver des pistes pour une meilleure insertion dans l’emploi” et un 3e groupe étudiera les solutions possibles pour “améliorer le taux d’emploi après le diplôme”. Le dernier groupe ? “Comment donner des marges de manoeuvre aux établissements tout en conservant le caractère national des diplômes ?

Écologie, numérique, aide à la population

La volonté d’Emmanuel Macron qui ne faisait que reprendre une antienne. Car une vraie réforme en profondeur dans cette filière, davantage subie que choisie, est un éternel recommencement. Un tiers des lycéens de ce pays “choisissent” par défaut la filière pro qui représente deux-tiers des décrocheurs (90 000 élèves chaque année en France) et seulement 41 % des élèves obtiennent leur CAP, 15 % à 20 % des élèves de lycées pro obtiennent un BTS (bac + 2) et 53 % de bac pro n’ayant pas poussé leurs études au-delà obtiennent un emploi dans les deux ans. C’est peu. Trop peu, face aux défis qui nous attendent. Des formations, notamment dans le tertiaire, seront peut-être in fine abandonnées mais d’autres seront à créer autour de la question écologique, du numérique, du vieillissement de la population, entre autres.

Une voie depuis toujours mal aimée

Xavier Darcos, ex-ministre de l’Education nationale, avait créé le bac pro en trois ans, en 2008, suite à l’expérimentation lancée par Jean-Luc Mélenchon, son prédécesseur en 2000. Avant lui, le fameux Claude Allègre, celui qui voulait “dégraisser le mammouth”, l’avait proposé il y a plus de 20 ans, ainsi que de rémunérer les élèves de lycée pro. Après tant de décennies, elle reste une voie mal aimée.

“C’est encore une réforme pensée d’en haut…”

Et à chaque fois, les mêmes débats, mêmes propositions reviennent en boucle… On pourrait remonter au début de la Révolution industrielle ! Peut-être parce que cette question reste dans un entre soi préjudiciable, en vase clos : les mêmes syndicats sont sollicités à chaque fois avec les mêmes solutions avancées. Le Président de la République devait changer quand même quelque chose en plaçant la filière pro sous la double tutelle du ministère du Travail et de l’Education nationale. Ça n’avait l’air de rien mais cela aurait déporté les habituels centres de décision. Cette décision est apparemment abandonnée…

“C’est encore une réforme pensée d’en haut…”, maugrée un prof d’enseignement technique dans l’Hérault qui ajoute : “Ailleurs en Europe, comme en Allemagne, ça marche parce que là bas, l’Etat dit : voilà les règles globalement et les entreprises forment pour tout le monde. Et les syndicats et salariés sont associés étroitement à la démarche…” Du coup, en Allemagne comme en Suisse l’enseignement professionnel est non seulement bien vu, mais il est de qualité et reconnu comme tel ! En France, sans BTS, aucun promotion interne à attendre de nos entreprises. Le destin est tout tracé et démobilisateur…

Campus des métiers

Seule solution, avancent les spécialistes : donner les moyens aux acteurs de terrain de créer des trajectoires ascendantes, pour en arriver, pourquoi pas, à la création d’un master. C’est ce qui se passe dans les campus des métiers réunissant tout ce que l’Hexagone compte d’établissements au contacts des entreprises : lycées pro, IUT, CFA…

Quand j’ai réussi le Capet, j’ai tenu à rester dans un lycée professionnel pour aider ces jeunes à s’en sortir…”

Pour l’instant, on n’en est pas là. La réforme est dans le flou total. Mais, déjà, une mesure envisagée a déjà fait l’unanimité contre elle : dès la rentrée 2023, le ministère veut augmenter de manière significative le temps passé en stages en entreprises de 50 %. “Vous savez, nous dit clairement un prof de Béziers, les lycéens professionnels sont souvent issus de milieux défavorisés et se déplacent peu : ils choisissent les formations du bahut de leur ville et refusent les stages ailleurs parce qu’ils ne veulent pas partir de leur commune et, d’ailleurs, la plupart n’en ont pas les moyens… Et puis ce temps passé au lycée est quand même très important : parfois, on en arrive à refaire de l’éducation de ces mômes qui sont souvent cabossés… Moi-même, je suis passé par un Lep, à l’époque. Grâce à deux profs je m’en suis sorti. Eh bien, quand j’ai réussi le Capet, j’ai tenu à rester dans un lycée professionnel pour aider ces jeunes à s’en sortir…” 

“L’élève pourrait faire, par exemple, une première année générale et la seconde année en apprentissage”

“Tout est sur la table !” tient-on à rassurer au ministère où l’on ajoute que dans ces groupes de travail, on pourra aussi évoquer d’autres problématiques comme le renouvèlement des pratiques pédagogiques ; mettre les profs dans les meilleures conditions de travail ; comment leur faire bénéficier d’une formation continue plus accessible et plus fréquente. Et d’évoquer même “la possibilité d’un CAP en trois ans pour les élèves qui en auraient le besoin” ; idem pour le BTS. Mais aussi : “Réformer l’employabilité des élèves ; le vers les freins, y compris de gestion” {CFA et lycées professionnels ne dépendent pas des mêmes gestionnaires et des mêmes budgets…} ; améliorer “la mixité des parcours”, etc. “On peut même imaginer la généralisation de parcours mixtes”, avance-t-on au ministère. “L’élève pourrait faire, par exemple, une première année générale et la seconde année en apprentissage.”

+ 50 % de temps en stage :“Ce sera au groupe de travail d’esquisser des pistes mais (…) plus les élèves sont en entreprise, plus ils sont employables.”

Les 50 % de temps en plus en stage qui avait été annoncés par le candidat Macron à sa succession ? La réponse vaut un récital ! “Oui, c’était à son programme mais il a aussi annoncé un changement de méthode et c’est ce changement de méthode, la co-construction, que nous suivons là. Tout ne se décide pas de Paris. Il n’y aura pas de décision brutale.” Y aura-t-il des suppressions de postes d’enseignants ? “Il y a une baisse démographique, s’il y a baisse des effectifs, elle ne pourra être que proportionnelle ; mais, en même temps, on veut d’avantage d’accompagnement pour les élèves. Et pour cela il faut des moyens. Il faut trouver le juste équilibre…” Et de marteler : “Ce sera au groupe de travail d’esquisser des pistes mais selon les études, plus les élèves sont en entreprise, plus ils sont employables.”

Comment travailler avec les régions, “aux premières loges” puisqu’elles ont ont en charge la formation professionnelle ? “Il n’y aura pas de fermeture de filière tertiaires. La question est de avoir des formations plus agiles pour répondre aux enjeux économiques.”

Olivier SCHLAMA

👉Grève le 17 novembre. La plupart des syndicats d’enseignants de la voie professionnelle ont appelé à une nouvelle journée de grève en France, le 17 novembre, pour demander le retrait du projet de réforme voulu par Emmanuel Macron. Après une première journée de grève mardi que les organisations syndicales qualifient de “réussie”, elles appellent à une nouvelle “mobilisation sous forme de rassemblements et de manifestations” et d’arrêt de travail, indique l’AFP, citant communiqué signé par la plupart des syndicats du secteur, dont le Snetaa-FO, le Snuep-FSU, le Se-unsa, la CGT, le Snalc, SUD Éducation, le CNT. Ils dénoncent notamment l’augmentation prévue du temps de stages d’au moins 50 % qui réduirait les heures d’enseignement.