Migrants : A l’arrêt, SOS Méditerranée dénonce “un crime contre l’humanité”

La petite Mercy est née le 21 mars 2017 sur l'Aquarius. Bateau affreté par l'association SOS MEDITERRANEE. Après un très long sauvetage effectué par les sauveteurs. L'Aquarius en rentrant dans le port de Catane, Taiwo, la maman, a mis au monde la petite Mercy Tous les membres de SOS, MSF et de l'Aquarius ont été heureux de fêter cette naissance. 947+1 réfugiés ont été sauvés.

C’est un piège humanitaire qui ne dit pas son nom. Depuis la crise avec l’Italie, fin juin, puis avec Malte qui refusent que les ONG débarquent les réfugiés dans leurs ports, SOS Méditerranée a décidé de laisser l’Aquarius à quai à Marseille, le temps de la réflexion. Car, pour les humanitaires, les choses se compliquent : sous pression, l’UE a créé en catimini une soi-disant zone de sauvetage en Méditerranée centrale gérée par…les gardes-côtes libyens financés par l’Europe. En clair, on renvoie – quand on peut – les migrants vers l’enfer qu’ils viennent de quitter au péril de leur vie. Mais, en juin, on a atteint un triste record de 600 personnes noyées dans l’indifférence générale. “C’est un crime contre l’humanité”, s’écrie Francis Vallat, président de SOS, et figure emblématique du monde maritime, à la veille d’un sommet des ministres de l’Intérieur européens à Innsbrück (Autriche).

Certes, la France redira sans doute lors d’un sommet des ministres de l’Intérieur à Innsbrück (Autriche) ce jeudi 12 juillet son “inconditionnel soutien” au droit d’asile mais de moins en moins de réfugiés seront en mesure de le réclamer. C’est la conclusion que l’on peut tirer de la crise de l’humanitaire que traverse l’Europe : les ONG ne peuvent plus débarquer les migrants, qu’ils sauvent de la noyade, dans les ports italiens ou maltais, depuis fin juin et la fameuse crise qui obligea l’Aquarius, affrété par SOS Méditerranée, à débarquer 630 personnes à Valence (Espagne) et à stopper ses sauvetages. Le navire est depuis à quai à Marseille, “le temps de la réflexion”, confie, pour Dis-Leur !, Francis Vallat, président du cluster maritime français et président de SOS Méditerranée.

La France réaffirmera-t-elle ce jeudi une position de fermeté, en refusant des “centres d’accueil contrôlés” dans l’Hexagone pour y trier les migrants ? Si tel est le cas, il n’est pas sûr que l’on en ait finalement autant besoin que cela de ces centres, vu que les ports italiens et maltais sont fermés aux ONG humanitaires et que l’Union demande aux gardes-côtes libyens de récupérer les migrants, loin de nos côtes donc, et de les renvoyer en Libye, “l’enfer qui ont justement quitté. Ce qui se passe dans la zone libyenne, c’est un crime contre l’humanité”, s’écrie Francis Vallat.

On est dans une zone de Méditerranée centrale où le non-droit est la règle avec cette guerre contre les ONG déclenchée par le ministère de l’Intérieur italien, avec des arguments…”

Francis Vallat, président de SOS Méditerranée
Francis Vallat, président de SOS Méditerranée. Photo : DR.

“L’Aquarius n’est pas bloqué. On peut entrer et sortir librement du port de Marseille comme on veut, explique Francis Vallat. Avec les autorités françaises, le port, etc., ça se passe très bien. On fait des exercices en mer. On est libre de nos mouvements.  En ce sens-là, on n’est pas bloqués. On voulait au départ faire juste une escale technique. C’est nous qui avons décidé de ne pas repartir, le temps de réfléchir à la situation ; c’est la situation qui nous y oblige : on est refusés, sous pression italienne, dans les ports italiens et maltais, contre tout droit international.”

Très vite, Francis Vallat le réaffirme comme un mantra : “Le premier point intangible : on repartira. Ne me demandez pas quand, mais on repartira sauver des réfugiés. Pas question de renoncer à notre triple mission : sauver, protéger, témoigner. Pas question. Deuxièmement, on ne ramènera pas en Libye des réfugiés que l’on aurait sauvés à bord de notre bateau ; les Libyens le font : ils ont déjà ramené 10 000 réfugiés en Libye.

Et il y a aussi eu des bateaux d’ONG qui ont été sommés de ramener des réfugiés. On ne se mettra jamais non plus dans une situation où la sécurité du navire ou celle des équipages seraient menacées. Et, enfin, il y a des éléments nouveaux et inquiétants depuis quelques jours qui nous forcent à analyser un nouveau contexte. Et à prendre donc ce temps de la réflexion pour prendre les meilleures décisions.”

Alors, ces éléments quels sont-ils ? “Subrepticement, déclare Francis Vallat, sans annonce ni rien, une reconnaissance sortie du chapeau par l’Organisation maritime internationale (OMI) a été accordée à une zone de sauvetage libyenne et a été créé un MRCC libyen (Un centre de secours, NDLR), depuis le dernier sommet européen. Ce sont des conditions qu’il faut éclaircir : normalement, il faut tout un tas de procédures. Ce qui évidemment nous inquiète. Pourquoi ?

Alors que dans cette zone, qui est devenue libyenne, on s’adressait à des MRCC italiens ou maltais, on va relever d’un MRCC qui n’a pas nécessairement les formations et l’expérience nécessaires. Deuxièmement, les garde-côtes libyens se comportent de façon erratique, voire dangereuse, qui interceptent les bateaux pour les ramener en Libye. On ramène ces réfugiés vers l’enfer qu’ils ont quittés, vers une zone où tout le monde sait qu’il se produit un crime contre l’humanité. Ce n’est pas tolérable. On est dans une zone de Méditerranée centrale où le non-droit est la règle avec cette guerre contre les ONG déclenchée par le ministère de l’Intérieur italien, avec des arguments…”

La preuve est faite de notre utilité en dépit de campagnes dégueulasses qui nous associent à ces criminels que sont les passeurs.”

“Ce que l’on sait, c’est qu’il manque un paquet de bateaux d’ONG sur zone ; que les gardes-côtes libyens n’ont pas les moyens de les suppléer et que le mois de juin a été le plus meurtrier : 600 noyés et alors que les flux de migrants diminuent beaucoup (1) à cause de cette situation. Le 7 ou 8 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU avait dénoncé et pris la décision de sanctionner un certain nombre de trafics de migrants au départ de la Libye ; ils avaient donné cinq ou six noms, dont au moins un était le commandant d’une sous-zone de garde-côre libyenne…” L’intérêt de certains gardes-côtes c’est de ramener les migrants pour entretenir le chiffre d’affaires…

“On réfléchit beaucoup entre nous, à SOS Méditerranée, et aussi avec des associations soeurs, comme MSF. Sachant que, je le répète, on va repartir. Je ne sais pas quand mais c’est sûr. La preuve est faite de notre utilité en dépit de campagnes dégueulasses qui nous associent à ces criminels que sont les passeurs. Encore une fois, je rappelle, par rapport à tous ces faux procès qui nous sont faits : nous travaillons uniquement en complément et avec les forces européennes et celles qui sont sur place ; on fait le même boulot, quoi.”

Mare Nostrum, l’opération italienne qui contredit la théorie de l’appel d’air de migrants en Europe

Et face aux accusations d’être la figure de proue de l’appel d’air de migrants en Europe, Francis Vallat s’insurge : “D’une part, les flux de migrants ont diminué. D’autre part, mais que font les forces européennes, alors qu’ils sauvent 70 % des migrants contre 30 % pour les ONG comme les nôtres. Et on ne les accuse pas de faire un appel d’air.” Pour résumer la théorie de l’appel d’air qui s’appuie sur le soi-disant bon sens, Francis Vallat affirme : “Selon cette théorie, s’il n’y avait pas de bateaux, il n’y aurait pas de réfugiés. Ah bon ? Le contre-exemple le plus fort, c’était l’opération de sauvetage Mare Nostrum lancée par l’Italie en 2014 (2) qui a permis de sauver 150 000 migrants, sans pression européenne.

Ils l’ont finalement arrêtée, cette opération, et, à ce moment-là, on a constaté que les flux de migrants ont continué de croître mais que la seule chose qui explosait, c’était le nombre de morts. D’où les forces européennes qui ont été mobilisées sur ce sujet par la suite. Donc interrompre Mare Nostrum n’a pas du tout interrompu les noyés alors qu’il n’y avait plus de bateaux.

Et regardez, aujourd’hui : très peu de bateaux d’ONG étaient sur zone en juin, eh bien ça continue. Il y a même eu infiniment plus de départs et de noyés. Enfin, dernier argument : 80 % des mineurs sauvés ne sont pas accompagnés de leurs parents. Et la raison qui illustre bien cela c’est que quand ils arrivent à réunir le prix d’un passage, au prix souvent de la mort, de l’ordre de 800 euros, 1 200 euros, 1 400 euros, etc., ces parents-là préfèrent donner une chance à leur enfant !”

Sommet de ministres de l’Intérieur ce jeudi à Innsbrück

S’agissant du sommet ce jeudi des ministres de l’Intérieur à Innsbruck, où la France devrait poursuivre avec son discours de fermeté, il dit : “On va voir. La France a d’abord été silencieuse dans la crise du mois de juin puis a pris des décisions contradictoires.

Ce sont évidemment des éléments de contexte qui alimentent notre réflexion sur notre action future. Ce que l’on veut savoir c’est : où débarquer ces réfugiés dans des ports sûrs dans des conditions décentes. Nous sommes des gens hyper-légalistes. On n’est pas des va t’en guerre. On est légalistes. On est extrêmement responsables. Et très calmes et déterminés face à une situation inacceptable”.

En espérant que le sauvetage des 630 migrants fin juin ne soit pas le dernier de l’épopée de SOS Méditerranée.

Olivier SCHLAMA

(1) Selon les chiffres de l’agence européenne Frontex, révélés par le Monde, Du 1er janvier au 28 juin 2018, 20 000 migrants ont traversé la Méditerranée “loin des pics de 2015 et 2016”.
(2) Initiée par le gouvernement italien à la suite du naufrage de Lampedusa dans lequel 366 migrants et réfugiés avaient trouvé la mort, a marqué un tournant dans l’organisation des opérations de recherche et de sauvetage.

Notre dossier :

Lire également : Près de 30 000 naufragés secourus en un peu plus de deux ans : c’est l’épopée humanitaire de SOS Méditerranée racontée dans un livre-témoignage de deux cents photos cruellement sublimes en librairie ce jeudi 12 juillet et dont les bénéfices iront à l’ONG qui vient au secours des migrants. Un livre-prise de conscience alors que les estivants font trempette sans penser à cette tragédie… La suite en cliquant ICI.

Et : Après des péripéties géopolitiques, la ville espagnole de Valence avait planifié l’accueil des 629 migrants à bord du bateau de sauvetage Aquarius et de deux navires italiens, dont l’arrivée avait été prévue dans la nuit de samedi 16 à dimanche 17 juin. Voici une semaine, l’Aquarius, navire humanitaire de SOS Méditerranée, avec 629 rescapés à son bord, a reçu instruction de rester en stand-by entre Italie et Malte. La Commission européenne avait exhorté les deux pays qui refusaient de les laisser débarquer à trouver une solution. En huit ans, plus de 30 000 morts sont à déplorer. Les navires humanitaires sont de moins en moins nombreux en Méditerranée ; des réfugiés renvoyés en Libye par les… garde-côtes libyens ; un projet de loi Asile Immigration qui se durcit… Et des associations humanitaires à la peine. La suite en cliquant ICI.

Et encore ce récit : Un sauvetage in extremis et deux transbordements : 280 naufragés à bord de L’Aquarius. « La coordination exceptionnelle entre les ONG a permis de sauver des centaines de vies » soulignent les organisateurs de SOS Méditerranée… L’ONG fera « escale à Sète » le 29 mars. La suite en cliquant ICI.

L’entretien : Créée il y a seulement deux ans, SOS Méditerranée, dont le siège est à Marseille, a déjà sauvé 25 000 réfugiés de l’enfer libyen. Pilote du port de commerce de Sète, Erwan Follezou, 45 ans, est la cheville ouvrière de cette odyssée citoyenne qui a bâti le projet maritime de l’ONG, devenue incontournable. SOS Méditerranée a été labellisée grande cause nationale par le gouvernement français. La suite en cliquant ICI.