Méditerranée : “Ces éoliennes en mer sont incompatibles avec la biodiversité…”

Lacune de connaissances, spécificité des habitats, fragilité de la ressource… Les participants à l’un des rendez-vous avec le public L’éolien flottant, une pression soutenable ? se sont montrés critiques quant à l’opportunité d’installer sans risques des éoliennes en mer dans le Golfe du Lion. Mercredi, la ministre Barbara Pompili participera à un point d’étape de la concertation à Marseille.

Y’a du mou dans la corde à noeud. À 1 000 km de la Méditerranée, quelque 300 pêcheurs normands ont protesté vendredi contre l’installation d’éoliennes au large de leurs côtes tandis que 70 bateaux de pêche accompagnés de deux navires de l’ONG écologiste Sea Shepherd, ont bloqué, eux, le port du Havre. Défense de l’environnement et de la ressource main dans la main : tout un symbole.

Débat public jusqu’à fin octobre

Nul doute que leurs confrères du Golfe du Lion, fermement opposés à ce projet, observent ce conflit, qui crée un précédent dans l’Hexagone, avec grand intérêt. C’est dans ce contexte que se mène jusqu’à fin octobre le débat public pour la réalisation de deux vastes parcs d’éoliennes en mer animé par la Commission nationale du débat public. Et que la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, participera à un bilan d’étape, à Marseille, ce mercredi après-midi (lire ci-dessous).

“Une pression soutenable ?”

L’éolien flottant, une pression soutenable ? C’était, après celui du 16 septembre sur les “fragilités en Méditerranée”, au tour du dernier “atelier” au théâtre de la Mer à Sète, jeudi 23 septembre. “L’occasion de traiter des conséquences environnementales de l’implantation éventuelle de ce projet d’éoliennes flottantes en Méditerranée.” La concertation est tous azimuts. Pour débattre de ce sujet délicat, des associations spécialisées sont présentes. Une vidéo commence l’atelier ; On y voit, comme il se définit, un “pêcheur-chasseur-cueilleur” de l’étang de Thau qui est “pour les éoliennes”.

“Ces éoliennes peuvent aussi être l’opportunité de créer des récifs artificiels qui attirent le poisson… Ça joindrait l’utile à l’agréable…”

Un pêcheur

Devant caméra, il se questionne sur l’opportunité des essais dont on pourrait faire l’économie et installer non pas cinq éoliennes pour voir mais tout de suite 100″, avance-t-il en substance. “Car, croit-il savoir, il y a eu déjà des projets comme celui-là au Portugal ou en Ecosse (…) Après, faut aussi voir avec les pêcheurs (…) Ces éoliennes peuvent aussi être l’opportunité de créer des récifs artificiels qui attirent le poisson… Ça joindrait l’utile à l’agréable…”

Le projet : cinquante moulins à vent flottants, au large du Golfe du Lion et de Paca, d’ici 2028 dans une zone de 3 300 km2, entre 15 km et 60 km au large. Tout le monde peut donner son avis en ligne ou lors de réunions ! L’État et RTE ont lancé la concertation, via la commission nationale de débat public. La décision sera prise – ou pas – en 2022, quelques semaines avant la présidentielle…

80 espèces commerciales étudiées

Sandrine Yaz, de l’Ifremer, aborde ensuite, les “risques” encourus sur les espèces. Elle rappelle qu’il existe des données issues des inventaires des multiples zones remarquables aux différents label (Parc marin, Natura 2000, directive oiseaux… Au total, “80 espèces commerciales ont été étudiées, des poissons en passant par les mollusques et les crustacés…” Emeline Pettex, chercheure à l’Université de la Rochelle, a rappelé, elle, le gros travail effectué ces dernières années : quelque “16 000 observations ont été réalisées sur 115 individus”, etc. Présent également, un représentant le Conseil national de la protection de la nature a fondu sur ces certitudes avancées, parlant “d’une situation d’incomplétude de données”.

“On ne sait rien des conséquences possibles sur les habitats marins et les cétacés entre autres”

Il a dit aussi : “Ce programme est incompatible avec la conservation de la biodiversité.” Evoquant d’abord les risques de collision avec les oiseaux marins ; il a continué : “On ignore à peu près tout d’une cohabitation de nuit, de vent, en cas de tempête, etc. 99 % des données ont été effectuées de jour. Seul un système de caméras pourrait nous aider”, a-t-il dit en substance. Il demande “un audit d’un organisme indépendant”. En substance, le même affirme que “l’on ne sait rien des conséquences possibles sur les habitats marins et les cétacés entre autres”

Attendons ces résultats pour choisir les sites d’implantation des éoliennes en mer. Sinon, cela n’a pas de sens et on peut se tromper. Et ce sera trop tard…”

Maryse Arditi, ancienne vice-présidente de région

À cette réunion participait également Maryse Arditi. Docteure en physique nucléaire, ancienne vice-présidente de la Région Occitanie, ex-élue à Narbonne, c’est une figure reconnue de l’écologie et du féminisme. Installée dans les Corbières, cette pionnière du solaire, est à la tête d’une association, Eccla (écologie du carcassonnais, des Corbières et du Littoral audois).

Archives. Réunion pêcheurs Sète sur débat public sur éoliennes flottantes en Méditerranée le 27 août 2021. Olivier SCHLAMA

Maryse Arditi a pointé un hiatus et demandé un moratoire pour éviter de mettre la charrue avant les boeufs : “Ces parcs sont tous prévus dans des zones sensibles ; pourquoi ne pas les repousser plus au large en mer ? D’autre part, on a lancé des études de faisabilité dont nous n’aurons le résultat pas avant deux ou trois ans. Attendons ces résultats pour choisir les sites d’implantation des éoliennes en mer. Sinon, cela n’a pas de sens et on peut se tromper. Et ce sera trop tard…”

“La Méditerranée n’est pas une usine”

Cette prise de position faisait écho à plusieurs réactions recueillies par la Commission du débat public : “Il est difficile, dit par exemple Chantal de Martigues, d’avoir un avis avant des retours sur l’impact sur la biodiversité, oiseaux et poissons (…) Il ne faut pas se précipiter.” Ou encore Christian, plaisancier et régatier : “Les éoliennes en mer sont une catastrophe parce que la Méditerranée n’est pas une usine.”

Protection des mammifères

Défenseur de l’environnement également, Thierry Hoolans, qui dirige une association, ADN Passpartou, ajoute que déplacer ces moulins à vent très au large pose aussi problème pour les cétacés pélagiques… Et, ici, en Corse, il y a l’accord Pélagos créant les sanctuaires pour mammifères marins…” Dénonçant, lui aussi en creux, l’impossibilité de voir ces immenses machines s’implanter au regard de la protection de la biodiversité.

“Nos données sont suffisantes”

éoliennes flottantes. Dr

De son côté, Adeline Morlière, de la direction de l’Energie au ministère de la Transition écologique, s’est évertuée à dire que “non toutes nos données sont suffisantes”. Quant au représentant de la filière éoliennes, il s’est étonné que les représentants associatifs “pointent un manque de données. Ce n’est pas le cas et nous en avons depuis 10 ans grâce aux suivis menés en Belgique.”

Enveloppe de 50 M€

Par ailleurs, a été annoncé la possibilité de débloquer dès cette année une enveloppe de 50 M€ pour améliorer la prise en compte de la biodiversité, “une réponse aux sollicitations de nombreux acteurs, dont le CNPN. Au travers de campagnes à large échelle d’acquisition de données ; d’études pour améliorer la connaissance des effets de l’éolien sur l’environnement ; pour développer des modèles/méthodes pour mieux en évaluer l’impact et réaliser un état des lieux sur les effets connus de l’éolien en mer”.

Par ailleurs, l’OP du Sud vient de produire son “cahier d’acteur” l’ajoutant à ce débat dense Vous pouvez le consulter ICI. Après son homologue de la Sa.Tho.An, elle se positionne défavorablement au projet éolien flottant commercial de Méditerranée. Sise à Agde, elle représente 148 adhérents en Occitanie et Paca. “Chez nous, ce sont majoritairement des petits métiers, indique Perrine Cuvilliers, la secrétaire générale. Nous sommes contre pour plusieurs raisons, précise-t-elle : sur la technologie des éoliennes flottantes ; sur le risque de dégradation du milieu marin ; l’impact sur les ressources halieutiques ; nous avons aussi des craintes pour cette filière fragile, notamment autour de l’enfouissement des câbles électriques qui nous font craindre que les professionnels ne puissent pas pêcher aux alentours… Déjà qu’il y aura inévitablement des zones d’interdiction de pêcher…”

Olivier SCHLAMA

Après 40 rencontres publiques, la ministre Barbara Pompili fera le point de la concertation à Marseille

Après trois mois de débat public et plus d’une quarantaine de rencontres et de manifestations présentielles et distancielles, la commission particulière du débat public Eoliennes flottantes en Méditerranée (EOS) et son président Etienne Ballan organisent la réunion d’étape du débat public sur le projet d’implantation de deux parcs éoliens commerciaux dans le Golfe du Lion.

Biodiversité et de politique énergétique

Réunion pêcheurs Sète sur débat public sur éoliennes flottantes en Méditerranée le 27 août 2021. Olivier SCHLAMA

Cette réunion intermédiaire du débat aura lieu le mercredi 29 septembre à Marseille. Pour Étienne Ballan, président de la commission particulière du débat public EOS, “le temps de la décision n’est pas encore arrivé, mais il est utile de partager les points saillants qui ont déjà été exprimés par les personnes qui ont participé au débat public depuis le début du mois de juillet. Certains thèmes se détachent fortement, qui questionnent l’opportunité de ce projet, notamment autour de questions de biodiversité, de politique énergétique, au sens large, et de la temporalité de la décision que l’Etat devra prendre.

Deux parcs éoliens dans le Golfe du Lion

Consistant en la réalisation au large des côtes de la Méditerranée, dans une zone située entre la frontière espagnole et Fos-sur-Mer, pour une durée de 25 ans à 30 ans, de deux parcs éoliens flottants commerciaux de 250 MW chacun et de leurs extensions, de 500 MW chacune, le projet soumis au débat public est porté par le ministère de la Transition Écologique et Réseau de Transport d’Electricité (RTE) pour le volet raccordement.

Les premiers parcs comporteraient chacun une vingtaine d’éoliennes flottantes, leurs systèmes d’ancrage, un poste électrique en mer et le raccordement au réseau. Avec l’évolution de la technologie, leur extension représenterait une trentaine d’éoliennes supplémentaires, soit une cinquantaine au total par parc.

Dis-Leur !, ce n’est pas du vent !