Météo : “Chute de la tramontane et réchauffement climatique sont liés”

Coup de tramontane sur le littoral, 25 septembre 2020.Ph : Renaud Dupuy de la Grandrive.

Le début d’année 2023 décoiffe avec une tramontane surpuissante. Mais rien ne dit que ce modèle dominant ne s’essouffle pas durablement : 2022 n’a pas seulement battu des records de chaleur mais aussi le record du plus faible nombre de jours de tramontane, selon Météo France. Une première alerte date d’il y a quatre ans du laboratoire Arago de Banyuls…

“La tramontane, c’est notre mauvais temps, à nous, dans le Sud !” Au Club des Frites, à Sète, on a perdu un peu l’habitude des gerçures et des mains calleuses… C’est le mauvais temps mais c’est un vent qui nettoie le ciel, chassant même la pluie ; nous débarrassant des miasmes ; faisant rougeoyer le ciel et sculptant des nuages d’une beauté lenticulaire… Et ce vent jusque-là dominant, cité par Brassens (Je Suis un Voyou), Victor Hugo, Rabelais et même Marco Polo, perd de sa superbe. Moins puissant ? Moins rafaleux ? Moins saoulant ?

La tramontane s’essoufle…

Tramontane

Ce vent d’Occitanie qui souffle direction Nord-nord-ouest en s’engouffrant dans un couloir bordé par les Pyrénées, au sud-Ouest, comme nous l’expliquions ICI, et le Massif Central, au Nord-est, puis franchissant le seuil de Naurouze, dans le Lauragais, à 194 mètres d’altitude avant d’accélérer par effet venturi pour aller inonder les plaines et les côtes du Languedoc et du Roussillon : ça c’était avant… La tramontane (de l’occitan, tramontana, “au-delà des monts”) s’essouffle. À la vue de tous

… Même si, en ce début 2023, le vent du Nord est bien là…

Certes, la tramontane et le cers montrent à nouveau le bout de leur nez : ces vents dominants ont, paradoxalement, fait débuter l’année 2023 comme un cadeau de Noël avec quatre semaines de retard : la neige saupoudre les stations ; les magasins se remettent à vendre des doudounes et l’écosystème méditerranéen les remercie. Mais il faut espérer que 2023 ne ressemble pas à 2022, comme l’explique Florence Vaysse, référente Météo France pour l’ex-Languedoc-Roussillon.

“Vrai lien avec le réchauffement climatique pour le climat futur…”

Coup de tramontane le 25 sept 2020, photo : Renaud Dupuy de la Grandrive

“De 1981 à 2010, selon notre centre de recherche, il n’y a pas d’évolution remarquable du nombre d’épisodes venteux, à la hausse ou à la baisse. En revanche, une étude de 2017, sur les modélisations climatiques et la tramontane (coécrite avec Samuel Somot, du CNRS Toulouse, Ndlr), montre bien une atténuation du nombre d’épisodes de vent du Nord avec donc une diminution des fréquences de la tramontane et du cers. Et une atténuation aussi de la durée moyenne de ces épisodes venteux-là. Quand on prend le pire scénario d’évolution du climat, avec le plus d’émissions de gaz à effet de serre, celui vers lequel on se dirige, l’atténuation de ces vents est beaucoup plus marquée qu’avec d’autres scénarios. Ce qui montre un vrai lien avec le réchauffement climatique pour le climat futur. “

Perpignan : de 122 à 90 jours de vent du Nord en 2022

Concrètement, “en 2022, nous avons eu un nombre extrêmement bas de jours de tramontane à au moins 60 km/h en rafale. On est passé de 122 jours en moyenne entre 1981 et 2010, à Perpignan, à 90 jours en 2022. C’est le record le plus bas. Avant 2022, l’année la plus basse était 1989 avec 93 jours. Pour Narbonne, le nombre moyen de jours avec tramontane et cers était de 142 jours entre 1981 et 2010. Et en 2022, c’était 104 seulement ; le record c’était en 1993 avec 95 jours”. 

Cap Béar, jour de “tram”…

Florence Vaysse précise : “La plupart des simulations [futures, jusqu’en 2100] montrent une diminution de la fréquence des tramontane et de la durée moyenne des périodes au cours du XXIe siècle. Les simulations climatiques régionales utilisant le RCP8.5 [scénario à très fortes émissions de gaz à effet de serre] montrent moins d’événements de tramontane que celles utilisant le RCP4.5 [scénario médian].”

Puissants anticyclones et flux de Sud responsables

La “panne” de vent du Nord est liée à des conditions anticycloniques puissantes. “Pour avoir de longues périodes chaudes comme en 2022, il y a deux types de situation, confirme Florence Vaysse. Soit des anticyclones puissants et stables ou des flux de Sud à Sud Est – que l’on a eu beaucoup et qui amènent de l’air chaud d’Afrique – associés à des épisodes de canicule. Dans les modèles climatiques pour définir les tendances du climat en 2050 et 2100, il y a un lien direct entre changement climatique et la diminution des épisodes de cers-tramontane. Et plus le scénario est pessimiste et plus ces vents du Nord faiblissent.”

Le modèle d’une tramontane dominante est peut-être vacillant. Au laboratoire Arago de Banuyls, les données récoltées semblaient, déjà il y a quatre ans, aller dans ce sens, ce qui n’est pas sans effet sur l’équilibre et l’écosystème marins, comme Dis-Leur vous l’avait expliqué ICI en 2018. D’autant que la Méditerranée est un hot spot du réchauffement climatique…

On s’aperçoit d’une modification de la force des vents depuis 2011 avec une tramontane affaiblie et des vents du Sud plus violents”

C’est un scientifique, Pascal Conan, qui a les pieds dans l’eau, qui l’affirmait à l’époque. Le responsable du service observation au laboratoire Arago-Sorbonne université, basé à Banyuls (P.-O.), nous avait expliqué sa découverte : “Nous disposons d’une bouée, baptisée Sola, à quelque 800 mètres de la côte, dans la baie de Banyuls. Cette bouée marine flottante enregistre, toutes les dix secondes depuis des décennies, et toutes les secondes depuis 2015, la direction et la force des vents.”

Il précisait : “On s’aperçoit d’une modification de la force des vents depuis 2011 avec une tramontane affaiblie et des vents du Sud plus violents.” Or, ce n’est pas sans conséquence pour l’écosystème marin du Golfe du Lion où le vent du Nord est le moteur de la circulation de l’eau “lourde”, celle qui amène les nutriments aux espèces marines, à commencer par le plancton, source de toute la chaîne alimentaire.

“Faire le point au bout d’une dizaine d’années…”

La baie de Banyuls balayée par la tramontane,  Photo : Laboratoire Arago.

Pascal Conan précisait, toujours en 2018 : “Attention, je ne dis pas que le vent du Nord va disparaître. Mais nous avons fait des comparatifs entre 2011, 2013 et 2016, entre autres, eh bien, il y a une évolution très nette au moins depuis 2011, où l’on constate une modification très nette de la force des vents, parfois même de leur direction. Mais, en 2016, on a enregistré deux coups de vents violents inhabituels, le 31 mars 2016 et le 14 avril 2016, de l’ordre de 180 km/h à 200 km/h durant une heure à une heure trente, au cap Béar”. Soit l’équivalent d’un cyclone de niveau 3…!”

A-t-il confirmation de cette baisse des jours de tramontane ? “Je ne me suis pas penché à nouveau sur ce sujet mais dans les deux ou trois années qui ont suivi, j’avais regardé et nous n’avions pas la même tendance à la baisse des jours de tramontane. En climatologie, il y a beaucoup de phénomènes cycliques. Il faudrait faire le point au bout d’une dizaines d’années.” On retient son souffle…!

Olivier SCHLAMA

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