Méditerranée : L’escargot de mer a plus d’une épine dans son sac

Comestible, le murex se rencontre en Méditerranée, surtout sur fonds sableux, jusqu’au Maroc et même en Atlantique du côté de la Galice. Il préfère le sable, en général entre cinq mètres et 50 mètres de profondeur, exceptionnellement jusqu’à 200 mètres. Photos: Renaud Dupuy de la Grandrive.

Au lendemain de la fête qui lui est consacrée au Grau d’Agde (Hérault), dans sa chronique Renaud Dupuy de la Grandrive, grand spécialiste de la faune et la flore de Méditerranée, directeur du milieu marin d’Agde et de l’Aire marine protégée de la côte agathoise, nous fait redécouvrir ce gastéropode singulier, le murex, que l’on surnomme le pointu qui fait partie de notre gastronomie après avoir fourni la fameuse couleur pourpre utilisée pour vêtements de luxe dans l’Antiquité.

Le murex, un gastéropode marin d’origine tropicale rencontré dans les eaux occitanes et catalanes, est un animal bien singulier ! Plus connu localement sous le nom de pointu – rien à voir avec le célèbre bateau méditerranéen – il doit plutôt son nom aux longues épines de sa coquille, souvent spectaculaires. De couleur plutôt beige avec un intérieur caractéristique orangée avec une sa forme ressemblant à une petite massue, le murex, parfois appelé escargot de mer, il peut mesurer jusqu’à 9 centimètres. Sa coquille est très souvent couverte d’algues vertes microscopiques ou calcaires.

On le rencontre en Méditerranée, surtout sur fonds sableux, jusqu’au Maroc et même en Atlantique du côté de la Galice. Il préfère le sable, en général entre cinq mètres et 50 mètres de profondeur, exceptionnellement jusqu’à 200 mètres, mais on peut le rencontrer parfois sur les petits fonds rocheux méditerranéens.

L’escargot préfère le sable

Là, ils peuvent se réunir par dizaines pour coller ensemble leurs oeufs qui prennent l’aspect d’une boule blanche spongieuse qui fait penser à du polystyrène et mesurer 80 centimètres ! Cette reproduction a lieu en mai ou juin en Méditerranée et leur dégustation vient à point en été. Voilà surtout un animal singulier pour deux raisons, l’une tirée de son utilisation, l’autre de sa biologie marine.

Ces escargots sont de redoutables chasseurs. Ils utilisent leur radula, sorte de langue munie de nombreux denticules pour aller perforer les coquilles des autres mollusques !

Les murex sont des escargots carnivores. Ce sont de redoutables chasseurs. Ils utilisent leur radula, sorte de langue munie de nombreux denticules pour aller perforer les coquilles des autres mollusques ! Mieux, ils ont la faculté de produire un liquide anesthésiant qui leur permet d’immobiliser leurs proies. Au passage, fruit d’une curieuse évolution, la femelle présente un pénis rudimentaire mais non fonctionnel.

L’escargot et la couleur pourpre de l’antiquité

Le nom latin de l’espèce, bolinus brandaris, renvoie déjà à l’antiquité puisque Bolinus viendrait de bolina, l’une des nymphes de la suite d’Apollon, celle-là même qui préféra se jeter dans la mer que de lui céder, courage que le dieu admira et récompensa en lui rendant la vie et lui donna l’immortalité. Pas de lien antique pour le nom d’espèce brandaris que le célèbre naturaliste Linné aurait tiré de l’allemand branhorn, épée, en référence à sa partie longue.

Le murex épineux est surtout l’un des principaux coquillages dont on a extrait la pourpre naturelle dans l’antiquité au temps des Phéniciens. On a même retrouvé des collines de coquilles vides sur certains sites archéologiques d’Athènes et Pompéi. Il faut dire qu’il fallait pas moins de 10 000 à 12 000 coquillages pour obtenir 1,5 gramme de pourpre pure !

Ce colorant a pour origine la sécrétion d’une glande présente dans une partie de l’animal. Elle produit un liquide incolore qui, après macération et ébullition et au contact de la lumière, devenait jaune puis vert, bleu, et enfin pourpre.
La célèbre pourpre de Tyr, du nom de la ville littorale libanaise, appelée aussi pourpre impériale ou royale, était une teinture rouge de luxe utilisée pour les vêtements de gens de pouvoir de la méditerranée antique.

Les plus anciennes traces d’exploitation de coquillages pour la teinture se situent à Ougarit (1500 av. J.-C.) dans le nord de la Phénicie, la Syrie actuelle. Puis cette teinture a fait le tour du monde avant de décliner à partir du IXe siècle pour cause de rupture de stocks. Aujourd’hui, on peut encore acheter de la teinture pourpre de synthèse à 2000 € le gramme…

Escargot à la sauce méditerranéenne

Le murex a même sa confrérie ! Ph. : R.D.G.

C’est donc aussi une espèce comestible, qui est pêchée localement au filet en Occitanie et surtout en Espagne. Une pêche ardue car il faut vraiment du temps pour démailler et les épines sont bien piquantes. La pêche s’est accrue en région et donne même lieu à des fêtes dédiées comme au Grau d’Agde où le coquillage a même droit à sa confrérie. La gastronomie s’en est mêlée et plusieurs restaurateurs proposent des recettes très variées le mettant à l’honneur gustatif avec nombre d’ingrédients locaux.

Renaud DUPUY DE LA GRANDRIVE

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