Méditerranée : La Grande Nacre veut sauver sa peau

Sans doute à cause du réchauffement climatique, le plus grand coquillage au monde, après le bénitier, qui vit dans nos eaux et qui est en danger. Seules les eaux du Cap d'Agde restent miraculeusement saines. Photo : Aurélie Vion

“Il est dit que son byssus, qui lui sert, comme les moules, à se fixer à la base sur un support, aurait servi à confectionner la Toison d’Or dans la mythologie grecque…” Renaud Dupuy de la Grandrive (1) est un grand spécialiste de la faune et la flore de Méditerranée. Il entame pour Dis-Leur ! une chronique sur ce monde sous-marin fascinant et souvent méconnu. Pour la première, il nous parle du plus grand coquillage au monde, après le bénitier, qui vit dans nos eaux et qui est en danger. Seules les eaux du Cap d’Agde restent miraculeusement saines.

C’est le plus grand coquillage au monde, après le bénitier. Il vit exclusivement chez nous en Méditerranée et il est en danger ! De son nom scientifique Pinna nobilis, du latin pinna, plume ou aile pour sa forme, et nobilis pour noble, connu, elle est célèbre depuis déjà longtemps. Il est dit que son byssus, qui lui sert, comme les moules à se fixer à la base sur un support, aurait servi à confectionner la Toison d’Or dans la mythologie grecque. Plus tard le pape Benoit XIV reçoit en cadeau une paire de bas fabriqués avec ce byssus de grande nacre et la reine Victoria se pare de gants de byssus venant d’Italie. Et sa nacre brillante de Malte était parfaite pour confectionner des boutons.

Un parasite décime 60 % à 80 % de la Grande Nacre déjà sensible à la dégradation des herbiers de posidonies, aux ancres de bateaux, pollution…

Grande Nacre morte… Photo : Didier Fioramonti.

Plus près de nous, ses valves, qui peuvent atteindre 1 mètre, étaient utilisées comme moules pour y couler des lests de plomb comme en témoignent des fouilles archéologiques au Cap d’Agde. Autant dire que de très nombreux individus était nécessaires pour répondre à toutes ces utilisations mais aujourd’hui elle fait l’actualité en raison d’un parasite qui décime 60 % à 80 % de ses populations !
Espèce protégée en France et dans de nombreux pays méditerranéens, mets de choix pour les poulpes et les daurades, elle est déjà très sensible à la dégradation des herbiers de posidonies, son habitat de prédilection, aux impacts des ancres des bateaux qui cassent sa coquille, à la pollution marine et a longtemps été victime de trophées de plongeurs indélicats.
Mais le fautif du jour c’est lui, haplosporidium pinnae, une espèce de protozoaire parasite, découvert en 2018. Il infecte le système digestif de la nacre qui ne peut plus s’alimenter. Elle meurt alors au fond des deux valves, qui gisent ensuite sur le fond marin. De l’Espagne, où la vague de mortalité a débuté en 2016 notamment aux Baléares, jusqu’en Italie en passant par la Tunisie et la France aujourd’hui, ce sont aujourd’hui de véritables cimetières sous-marins de grandes nacres, Principales zones touchées : la Corse, le littoral Provence Côte d’Azur, jusqu’à 90 % en baie de Villefranche sur mer, et 70 % sur la côte Vermeille. Pour l’instant, le Cap d’Agde reste l’un des rares sites marins régionaux non infectés !

La piste du réchauffement climatique est privilégiée (…) L’une des solutions expérimentales est de déplacer des individus vers des zones profondes, plus froides, comme à Banyuls ou Monaco. Mais les premiers résultats ne sont pas encourageants…”

Champ de Grande Nacre, côte agathoise. Photo : Renaud Dupuy de la Grandrive.

Alors d’où vient le problème et que faire ? Pour Nardo Vicente, biologiste marin spécialiste mondial de la grande nacre, et Jean de Vaugelas, du laboratoire Ecomers de Nice, les facteurs de propagation ne sont pas encore bien cernés mais c’est la piste du réchauffement climatique qui est privilégiée. Car ce parasite aime bien les eaux chaudes et notre Méditerranée est justement de plus en plus chaude et de plus en plus profond.
L’une des solutions expérimentales testées a été donc de déplacer des individus vers des zones profondes plus froides, comme récemment à Banyuls et Monaco mais les premiers résultats ne sont pas vraiment encourageants. Les nacres observées en étangs et lagunes, en milieu moins salé, semblent aussi moins impactées, un déplacement pourrait donc éventuellement s’y opérer.
Pour l’heure c’est surtout le suivi scientifique précis des mortalités qui importe, par les équipes de gestion des aires marines protégées de la région (Côte agathoise, parc marin du Golfe du Lion, réserve marine de Cerbère Banyuls) et l’aide des plongeurs bénévoles de Méditerranée qui restent les meilleures sentinelles à grande échelle !
La Grande Nacre avait déjà fait l’actualité de notre région pour sa présence assez peu désirée dans les ports de commerce et de plaisance de la région Occitanie. Aujourd’hui force est de constater que la Méditerranée n’est pas à l’abri de la disparition d’une espèce emblématique et qu’une gestion durable s’impose dans tous les sites où ce noble mollusque est encore vivant.

Renaud DUPUY DE LA GRANDRIVE

  • (1) Renaud Dupuy de la Grandrive est directeur du milieu marin de la ville d’Agde et de l’Aire marine protégée de la côte agathoise.
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