Les pistes cyclables se multiplient : “Avec le covid, on a gagné 10 ans”

Après la création d'une première voie cyclable provisoire fin avril 2020 avenue Etienne Billières, Toulouse a créé en 15 jours de nouveaux aménagements en faveur du vélo : boulevards Trentin et de Suisse et extrémité de l’avenue Jean Rieux ; route de Saint-Simon ; avenues de Grande-Bretagne et Paul Séjourné ; avenue Servanty à Blagnac. Photo : Patrice Nin.

Pour Olivier Schneider, président de la Fub, le vélo, a tous les atout d’un mode de transport doux pour un déconfinement doux. Les maires des grandes villes, à l’instar de Montpellier et Toulouse, l’ont compris, profitant de ces 55 jours de moindre trafic pour créer des pistes éphémères dont certaines seront pérennisées. Selon une étude qui vient de sortir, en 10 ans, la pratique a explosé.

“Nous avons multiplié nos ventes par… quinze !” Christophe Baeza est un entrepreneur heureux. Sa marque toulousaine de vélos électriques, Thirty One Bikes, est en pleine expansion. “Il y a un réel engouement pour le vélo”, dit-il. “On bénéficie aussi de la peur des gens de remonter dans les métros, bus et tram. Nombreux sont ceux qui ont la phobie du covid. Monteriez-vous dans un transport en commun ? Non.” Du coup, sa société, dont Dis-Leur vous avait parlé, s’étend à Montpellier et Bordeaux. “Nos représentants pourront même vous faire essayer nos vélos à domicile !” Christophe Baeza va s’empresser d’essayer la dernière piste cyclable éphémère.

Indemnités kilométriques doublés mais peu de patrons adhérent au dispositif créé sur la base du volontariat…

Il ne sera pas le seul. Grâce aux 400 € maximum apportés par l’État aux employeurs, notamment, les Toulousains et les autres vont pouvoir ressortir leur bécane. Le gouvernement a accéléré la mise en place du forfait mobilités durables qui permet jusqu’à 400 euros de prise en charge des déplacements domicile-travail en vélo, covoiturage ou engins en free-floating est accessible dès aujourd’hui pour les entreprises. Le décret d’application a été publié ce dimanche 10 mai.

Il permet aux entreprises d’encourager dès à présent le recours par leurs salariés à des transports plus propres et moins coûteux tels que le vélo ou le covoiturage. Il est exonéré d’impôt et de cotisations sociales. En réalité, ces 400 € c’est le nouveau nom du remboursement de l’indemnité kilométrique créée en 2016 qui est doublée pour l’occasion. Elle reste applicable sur la base du volontariat des patrons (seuls 1 % d’entre-eux la rembourse effectivement (lire ci-dessous…) L’État octroie, en outre, à chaque propriétaire de destrier à réparer 50 € maximum à chacun pour faire réparer ou le remettre en état. Sans parler de l’aide, parfois cumulative, de votre commune, de votre agglo ou de la Région Occitanie. 

Nous avons réalisé 10 kilomètres de pistes éphémères en seulement 15 jours dont certaines auront vocation à devenir pérennes. Fin mai, nous attendons d’autres études pour proposer de nouvelles pistes éphémères”

Jean-Michel Lattes, 1er adjoint à Toulouse
Photo D.-R.

Toulouse (8e ville sur 11 de plus de 200 000 habitants dans le classement du baromètre de la Fub), qui n’était pas dans les villes les plus en avance selon la Fub en février dernier, a mis les bouchées doubles. Fervent de “l’urbanisme tactique”, Jean-Michel Lattes, premier adjoint, explique que “nous avons un support pour mettre en place plus facilement ces pistes éphémères : notre schéma directeur de développement du vélo, baptisé Rev, réseau express vélo. Boulevard Etienne-Billière, c’est la première que nous avons réalisée ; d’autres sont en train d’être finalisées. Au total, dans une première tranche, nous avons réalisé 10 kilomètres de pistes éphémères en seulement quinze jours dont certaines auront vocation à devenir pérennes. Nous y avons réfléchi avec l’association Deux Pieds, Deux Roues. Fin mai, nous attendons d’autres études pour proposer de nouvelles pistes éphémères.”

Pour que les flux s’organisent mieux. Il faut un partage de la chaussée. C’est pour cela que nous limiterons bientôt à 20 km/h la vitesse dans l’hypercentre”

Le premier adjoint de Toulouse a entendu le tintement des sonnettes de vélos en approche : “Notre but est d’équiper les axes majeurs de Toulouse, les entrées de ville ; pour que les flux s’organisent mieux. Il faut un partage de la chaussée. C’est pour cela que nous limiterons bientôt à 20 km/h la vitesse dans l’hypercentre, à l’intérieur de la ceinture des boulevards. De la même façon Colomiers et Blagnac mettent aussi en place ces pistes temporaires.” Et selon Jean-Michel Lattes, cela paie : “Il y a 15 jours, le conseil d’administration du club des villes cyclables, auquel je ne participe pas, a noté que Toulouse est en avance.”

Toulouse porte une grande ambition : 350 millions d’euros à investir dans les prochaines années (25 millions d’euros par an,) en treize sites propres, dont deux entrantes et deux circulaires. “Attention, ajoute l’élu, à chaque fois, il s’agit de sites partagés avec les autres modes de transports et notamment la voiture. Nous ne voulons pas l’exclure. C’est important.” Ce plan directeur est cofinancé par la Métropole, la Région Occitanie, le département de la Haute-Garonne et les intercommunalités autour de Toulouse, l’Etat et même l’Europe.

Notre ambition à nous c’est de créer 600 km de pistes cyclables sur le mandat sur les 1 000 km du schéma directeur. À moment donné, il faut déconfiner les imaginaires…”

Antoine Maurice, tête de liste Archipel citoyen

Tête de liste Archipel citoyen aux municipales à Toulouse qui a réalisé le 2e score avec 27,57 %, Antoine Maurice salue l’initiative de la municipalité en place “d’autant que c’est une mesure que nous avons défendue les premiers, dit-il. Cette crise sanitaire, c’est pour nous l’occasion d’aller beaucoup plus loin. De déployer les pistes sur tout le territoire de la Métropole et même d’élargir les trottoirs pour les piétons pour mieux garantir la distanciation physique. Il faut aussi déployer une politique en faveur du vélo bien plus ambitieuse : en soutenant les réparateurs, notamment. Notre ambition à nous c’est de créer 600 km de pistes cyclables sur le mandat sur les 1 000 km du schéma directeur. À moment donné, il faut déconfiner les imaginaires…”

Deux “coronaspistes” créées à Montpellier

1 200 cyclistes avaient répondu à l’appel de la manifestation de l’association Vélocité, devant l’hôtel de ville de Montpellier. Photo : Charles Dassoville.

À Montpellier, du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est, des hôpitaux-facultés au centre-ville et de la cité du Petit-Bard à Castelnau-le-Lez, le peu de trafic dû au confinement a été mis à profit. Deux “coronaspistes”, comme elles ont été surnommées, ont vu le jour à la va-vite. Bricolées avec de simples plots. La première – dont les plots avaient brièvement disparu ce lundi, vandalisés ou subissant la tempête – a été imaginée pour aider les personnels soignants à se déplacer dans une ville, la 7e de France, faite d’abord pour la voiture. C’est ce que nous a appris le restez chez soi : parcs, plages, chemins de terre sont restés fermés. Le sport ? Possible mais seulement en… ville. Ces pistes sont apparues évidentes. Avec elles, au coeur de la ville, on a réussi à toucher véritablement à l’omniprésence de la voiture. Avec, en toile de fond, une réflexion plus profonde sur : comment imagine-t-on les déplacements futurs ?

Saurel a promis un investissement de 100 M€

Premier magistrat de Montpellier, Philippe Saurel a promis un investissement de 100 millions d’euros sur dix ans, après l’épisode fameux et populaire #JeSuisUnDesDeux qui avait fait florès sur les réseaux sociaux, cri de ralliement de 1 200 amoureux de la petite reine sur le parvis de la mairie de Montpellier réunis par Vélocité. Il faut dire que Saurel avait piqué leurs mollets après avoir prononcé que « faire une infrastructure pour qu’elle soit utilisée par deux personnes, ce n’est peut-être pas l’idéal… » Converti, il a même formé une délégation avec Vélocité pour aller du 22 au 24 octobre dernier à Copenhague (Danemark), « pour envisager les aménagements à venir éclairés par l’expérience de Copenhague… » Une ville qui fait référence en la matière au niveau mondial où 60 % des gens circulent à pied ou à vélo.

Mexico, New-York, Berlin, Calgary… C’est planétaire

Même à Bogota… Photo : DR.

Le phénomène pistes éphémères a pris un peu partout sur la planète. Montpellier a pris exemple sur Mexico, la ville-voiture ! Quelques plots ont suffi et hop ! À New-York ? Quelques barrières ont tracé les pistes cyclables. À Berlin, des coups de peinture au sol ont redessiné les voies de circulation et fait la place à la bicyclette. À Calgary, chez nos cousins Canadiens, on a équitablement partagé la chaussée avec des cônes de couleur voyante. Le secrétaire d’État aux Transports de Grande-Bretagne, lui, a annoncé un plan de 2 milliards de livre sterling ! Paris, notre capitale, veut l’être aussi de la petite reine. La maire, Anne Hidalgo envisage, elle, de fermer des boulevards entiers au profit du deux-roues et des piétons. Ce n’est pas tout. L’État accompagne cette mutation en créant un fonds de 20 millions d’euros. Chaque possesseur de bicyclette pourra bénéficier ainsi de 50 € pour la faire vérifier, sachant que l’on comptabilise environ 30 millions de vélos oubliés dans les garages en France.

D’ores et déjà, on compte à peu près 1 000 kilomètres de pistes provisoires ou expérimentales. C’est considérable. Nous avons gagné 10 ans de politique publique en matière de circulation cycliste”

Olivier Schneider, président de la Fub

La vélo accélère et ne fait pas semblant. Président de la puissante Fub (Fédération des usagers de la bicyclette), Olivier Schneider jugera sur pièces des efforts des grandes villes. “Nous pourrons, sur notre baromètre, constater ce que font concrètement les villes. Et connaître l’ampleur du phénomène. Mais, d’ores et déjà, on compte à peu près 1 000 kilomètres de pistes provisoires ou expérimentales. C’est considérable. Nous avons gagné 10 ans de politique publique en matière de circulation cycliste. Souvent, on avait des annonces qui étaient repoussées, etc.”

L’idée générale est de multiplier cet urbanisme “tactique”. On bricole une piste, certes mal fagotée. On crée ainsi une offre un peu partout où la demande se ressent. Rapidement. En s’affranchissant des lourdeurs administratives qui plombent tout projet puisque c’est du provisoire et pas (encore) “dur”. Contrairement à une approche traditionnellement très “techno” qui demande moult études, consultations en amont, vote et revote, demande de subvention, etc., “Il fallait aussi aller vite pour ne pas surcharger les transports en commun.” En créant ce “choc de l’offre”, on met le pied à l’étrier à une population jusque-là hésitante, prudente, en attente d’infrastructures sécurisantes ou qui veut changer de paradigme. Tester ces nouvelles pistes expérimentales in vivo et les pérenniser, au besoin. Rappelons-le : 60 % des déplacements de moins de cinq kilomètres se font en voiture.

Le vélo nous permet de continuer à rester dans sa bulle, celle qu’on s’est construite à la maison et qui nous fait hésiter à ressortir normalement…”

A vélo, en famille en centre-ville de Sète (Hérault). Photo : Olivier SCHLAMA

Ce “choc de l’offre” est là pour faire franchir le pas. Le vélo le permet comme il permet de se déconfiner en douceur sans avoir à se confronter au risque sanitaire d’un tram, un bus ou d’un métro. “Ça permet de continuer à rester dans sa bulle, celle que l’on s’est construite à la maison et qui nous fait hésiter à ressortir normalement”, dit un cycliste sétois. Et plus plus prosaïquement les villes se sont vite rendu compte qu’elles ne pouvaient pas multiplier l’offre de transports en commun en claquant des doigts. Impossible en terme de coût, notamment. “Le vélo, c’était le seul truc à tester”, conclut Olivier Schneider.

Le vélo est parfait : pas cher, il n’a que des avantages. En matière de distanciation physique, d’exercice physique il sert d’exemple aux pratiquants qui s’ignorent encore et qui, demain, seront convertis. Cette accélération du vélo s’inscrit dans un mouvement de fond. Une étude confirme sa montée en flèche depuis dix ans. Parmi les nombreux enseignements qui tombent à pic – au bout de 376 pages !- ce retour en grâce de la “petite reine” – principalement dans les centres-villes – , souligne l’étude, a été rendu possible par une forte volonté des exécutifs locaux.

+ 40 % d’investissement des collectivités en dix ans

De fait, “le taux d’utilisateurs directement lié au linéaire d’aménagements cyclables par habitant”. À titre d’illustration, Strasbourg totalise 0,75 mètre linéaire de pistes et voies vertes par habitant et obtient plus de 10% de taux d’utilisateurs du vélo ; à l’opposé, Montpellier obtient 4,5 % d’utilisateurs avec 0,48 ml/habitant et Lille 2,5 % avec 0,32 ml/habitant. Globalement, les investissements des collectivités dans les politiques cyclables ont augmenté de 40 % en dix ans (passant de 328 à 468 millions d’euros), tant en milieu urbain que sur les véloroutes et voies vertes. L’enjeu est aussi de penser vélo dans une aire géographique. “C’est un travail essentiel”, confirme Jean-Michel Lattes, premier adjoint à Toulouse.

Un “accélérateur” pour l’ingénieur de l’Ademe

Mathieu Chassignet, ingénieur mobilités. Ademe Haut-de-France

Ce qui intéresse Mathieu Chassignet, ingénieur en mobilités à l’Ademe Hauts-de-France, c’est “d’aller plus loin que les pistes cyclables temporaires”. Avant d’aller plus loin, justement, il explique que “la politique de mobilité doit se tenir fermement sur ses deux jambes. La première, c’est la politique de l’offre. C’est que l’on fait avec ces “coronapistes” ; ce sont des pistes cyclables sans prétention ; ça crée de la demande. Pour peu qu’elles soient convenablement sécurisées ; qu’elles servent les axes naturels de l’agglo dans laquelle elles sont intégrées, elles permettent de délester les transports publics. Souvent, ces pistes provisoires sont créées là où elles étaient prévues dans le cadre d’un schéma, un plan vélo d’une agglomération. En cela, elles sont un accélérateur”.

Obliger l’employeur à rembourser les domiciles-travail

Mais à côté d’une politique de l’offre, il faut aussi “une politique de la demande”, complète Mathieu Chassignet. “Le chèque réparation, c’est très bien. Cela motive à réparer son vélo et l’enfourcher. On peut imaginer une aide à l’achat d’un vélo sur tout le territoire. Cette aide n’est pas homogène en France. C’est au bons vouloir des élus. L’Ademe a déjà évalué cette mesure qui a un vrai effet déclencheur.”

Mathieu Chassignet feint de poser la question : “Et qu’elle contribution pourraient avoir les employeurs pour inciter au vélo entre domicile et travail ? Il faut une approche pragmatique. L‘État oblige déjà l’employeur à rembourser une partie du coût des transports collectifs de ses salariés. Il pourrait faire de même avec le vélo ; or, aujourd’hui, le remboursement du prix du kilomètre se fait sur son bon vouloir. Du coup, moins de 1 % des employeurs s’inscrivent dans ce dispositif. A l’Ademe, nous avons mené l’expérience en 2014 et 2015 : eh bien cela a multiplié par deux le nombre de personnes à vélo. Il ne faut pas se passer de ce levier…”

Olivier SCHLAMA

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