L’enjeu du recyclage : La coquille d’huître, un déchet qui a de sacrées ressources

Une collecte de coquilles d'huîtres. "Nous cherchons des filières intelligentes pour valoriser ces déchets, explique Laurence Magne, vice-présidente de l'Agglopôle de Sète. Il y a l’alimentation animale, notamment celle des poules et l’enrichissement des sols..." Photo : Comité régional de la conchyliculture.

Complément alimentaire pour les poules, enrichissement des sols, ciment bio, des nurseries à poissons, du mobilier urbain, manches de couteau, etc. Et même une… statue ! Mille et une applications se proposent de recycler l’huître de dégustation qui produit quelque 8 000 tonnes de déchets chaque année. L’Agglopôle de Sète et le Comité régional conchylicole de Méditerranée y travaillent continûment.

La coquille s’en sort toujours ! On en fait de la… porcelaine, projet prévu en Vendée en 2023 ; on s’en sert pour fabriquer des guirlandes de Noël, à Bordeaux ; certains en donnent à manger à leurs poules pour les fortifier… La coquille d’huître ne meurt jamais, elle se transforme. Et les inventeurs fourmillent d’idées.

Plus de produits chimiques pour entretenir les bords de route

Béton à base de coquilles d’huîtres recyclées. Ph. Département de l’Hérault.

Le département de l’Hérault est en train, par exemple, de tester, avec l’aide de l’entreprise Colas, une sorte de ciment bio (composé de sable, d’eau et donc de coquilles concassées) sur deux cents mètres d’une voie cyclable, à Bouzigues. Cette démarche s’inscrit dans un plan plus vaste. “Depuis 2014, contextualise Valérie Andrieu, responsable des routes, le département a fait le choix d’arrêter l’usage des produits phytosanitaires pour entretenir les bords de ses routes et voies vertes.” Sauf que depuis l’abandon de ces produits toxiques, l’entretien des pieds de barrières de sécurité et panneaux routiers, plantés en terre, est devenu très chronophage pour les équipes routières.

Écologie et économie circulaire

C’est donc dans une logique écologique mais aussi d’optimisation de coût et de temps, que nous expérimentons l’utilisation d’un béton écologique produit en circuit court sur cette piste cyclable de Bouzigues, avec des déchets issus de la conchyliculture du Bassin de Thau. Parce que cette solution a aussi l’avantage d’être un chantier écologique, inscrit dans l’économie circulaire.” La minéralisation des pieds de barrières et poteaux pourrait être une réponse durable pour les routes et voies vertes héraultaises. On en est pas encore là.

Impact réduit sur l’environnement

Le béton écologique, dont le sable constitué de déchets conchylicoles, est développé par l’entreprise Colas à Sète, s’inscrit “dans cette double dynamique, écologique et local : les coquilles d’huîtres récoltées dans la zone sont broyées pour constituer le béton, matière réutilisée en suivant à quelques kilomètres à peine de son lieu de production. L’impact environnemental est donc ici fortement réduit, à plusieurs niveaux”, dit encore Valérie Andrieu. Romain Caraï est le responsable de l’établissement de Sète de la société Colas.

Un premier essai concluant dans le port de Sète

Romain Caraï ajoute : “Ce ciment composé de 30 % de résidus de coquilles d’huîtres est en plus un produit bas carbone. C’est une sorte de revêtement en sable stabilisé. On s’est donné les moyens pour réfléchir à essayer quoi faire de ces coquilles d’huîtres et on a bossé avec l’Agglopôle de Sète pour cela. Mi-mars, on a lancé cet essai de ce procédé à Bouzigues. Nous avions également fait un essai de cheminement dans le port de Sète  il y a quelques mois. Il s’avère qu’il a bien vieilli…”

Alternative crédible

En misant sur le béton coquillé, “cette expérimentation insolite qui conjugue habilement recyclage et circuit court, pourrait représenter l’alternative adéquate pour entretenir les bords de routes tout en préservant la biodiversité, indique encore Valérie Andrieu. Notre “plan routes et biodiversités” déploie trente quatre actions sur le territoire afin de préserver l’environnement et les écosystèmes autour des routes héraultaises…”

L’activité conchylicole engendre 8 000 tonnes de déchets

Patrice Lafont, conchyliculteur à Mèze, est le président du Comité régional conchylicole de Méditerranée (CNC). La région Occitanie compte 567 entreprises conchylicoles et 1 700 emplois pour un chiffre d’affaires de 75 M€. “Bon an, mal an, l’activité conchylicole produit de 7 000 à 11 000 tonnes d’huîtres (soit 10 % de la production nationale à 145 000 tonnes réalisée par 3 300 entreprises) et entre 5 000 et 7 500 tonnes de moules. Ce qui engendre environ 8 000 tonnes de déchets, explique Patrice Lafont. Dans ces déchets, il n’y a pas que de la coquille mais aussi de la matière organique, du sable, etc. Il faut laver, sécher et trier ces déchets pour ensuite penser à le valoriser.” Ce qui n’est pas une mince affaire. Une table conchylicole génère 400 € de déchets par an, certes subventionnés à 50 % par l’Agglopôle de Sète.

Dans les cendres funéraires…

Plusieurs start-up, çà et là, conçoivent des idées pour valoriser la coquille d’huître de dégustation. Resting Reef, fondée par deux étudiantes britanniques, nous relate Ouest France, propose même de mélanger vos cendres funéraires avec… des coquilles d’huîtres broyées. L’ensemble servant à concevoir des récifs artificiels – via l’urne qui a récupéré les cendres capables ensuite de capter du CO2… Installée à Surgères (Charente-Maritime), Aurélie Dumand, savonnière artisanale propose même de confectionner un savon, avec comme exfoliant naturel de la poussière d’huîtres, en remplacement du sable.

Se servir des coquilles d’huîtres ? J’en pense que du bien sur le papier…”

Patrice Lafont, président de la CRC

Patrice Lafont reprend : “On peut aussi imaginer des applications intéressantes au sol si l’on rend ce sous-produit absorbant comme il a l’air de pouvoir l’être ou agissant comme un filtre. Et non pas étanche, ce qui participerait au ruissellement des sols. Ce serait au contraire une fausse bonne idée.” Se servir des coquilles d’huîtres pour les pieds de barrière ou les panneaux du département de l’Hérault, “j’en pense que du bien sur le papier, qualifie-t-il. Après, il faut en connaître l’efficacité réelle in situ. Il faut rester prudent ; il existe en théorie des débouchés en élevage ou en agriculture…”

Complément alimentaire pour les poules et fertilisant

L’étang de Thau (34), les parcs à huîtres et le mont Saint-Clair, vus de Loupian. photo M.-R.

Un coutelier du Bassin de Thau, Le Petit Jouteur, en  fait des manches de couteau et une société sur Toulouse, Providenciel va commencer la collecte de 600 tonnes de coquilles d’huîtres issus de la lagune de Thau. Le fondateur, Daniel Providenciel explique : “Nous avons deux débouchés principaux possibles : comme complément alimentaire pour les poules, car c’est un apport de calcium ; ou pour amender les sols en les enrichissant (la coquille d’huître c’est du calcaire riche en oligo éléments évitant d’avoir recours à la chimie). Elle remplace la chaux, comme fertilisant dans les vignes, le maraichage, etc.”

Et d’ajouter : “Cela fait deux ans et demi que nous avons commencé des recherches dans ce sens. La clé, c’est d’arriver à faire connaître cette possibilité et arriver à distribuer correctement le produit. C’est dans ce sens que nous aimerions reprendre la gestion de la collecte effectuée exclusivement par l’usine du Mourre Blanc, à Mèze, la Coved. Un nouvel appel d’offres est prévu prochainement auquel nous allons participer.”

“Des filières intelligentes à trouver pour valoriser ces déchets”

Laurence Magne, vice-présidente de l’Agglopôle de Sète. DR.

Interrogée sur la valorisation possible de ces déchets d’huîtres de dégustation, Laurence Magne, maire-adjointe à Sète et vice-présidente de Sète Agglopôle, indique en préambule que ce n’est pas roupie de sansonnet : “Quelque 3 000 tonnes de coquilles d’huîtres et autant de moules seraient à valoriser, dit-elle. Il y a d’abord un enjeu écologique. Ensuite, la collecte n’est pas aisée : il faut sortir ces palox des mas conchylicoles, ces grandes caisses très lourdes, et ce n’est pas pratique. Nous cherchons des filières intelligentes pour valoriser ces déchets. Il y a l’alimentation animale, notamment celle des poules et l’enrichissement des sols, confirme-t-elle. Et également en sous-couches pour les routes. Il faut que l’on s’assure auparavant que ces huîtres mélangées à du sables pour en faire un ciment ne rendent pas les sols imperméables sinon on contribue à l’imperméabilisation des sols !”

En 2017, Christophe Guinot, ostréiculteur à l’étang de Salses-Leucate (Aude), a créé un 4 étoiles pour oiseaux migrateurs. Il a même été primé à l’occasion des 7e Assises nationales de la biodiversité pour son utilisation, avec le parc naturel de la Narbonnaise, de coquilles d’huîtres qui recouvrent désormais des îlots de cet étang et font revenir les oiseaux migrateurs menacés. Aujourd’hui, des dizaines de couples de sternes naines et de pierregarins et leurs poussins y ont élu domicile !

Et même une statue devant le siège de l’Ifremer !

Justement, une entreprise basée à Marseille, exploite une idée qui fera sans doute florès. C’est Géocorail qui se propose, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, de recycler des centaines de tonnes de coquilles d’huîtres par an en en faisant un béton sain grâce à l’électrolyse. De l’économie circulaire qui permet de créer des nurseries pour la faune sous-marine, des barrières à déchets et bien d’autres choses en préparation. Et de réduire les coûts de traitement de ces déchets. Géocorail, lauréate du programme investissement d’avenir, pourrait aussi aider à confectionner une statue, toujours à base de coquilles d’huîtres ! Une sorte d’hommage à cette profession, sans doute. De quoi démontrer aussi tout le potentiel de l’huître de dégustation. “L’Ifremer, confirme-t-on chez Géocorail, aimerait poser une statue qui ferait dans les deux mètres de haut qui ait du sens devant son nouveau siège, à Sète ; un artiste a même été pressenti…”

Trois cents tonnes d’huîtres collées ensemble par électrolyse…

Sébastien Bigaré, directeur commercial de Géocorail montrant ce ciment biosourcé avec des coquilles d’huîtres recyclées. Photo : Olivier SCHLAMA

C’est un biomatériau né par hasard, comme nous vous l’expliquions, unique qui pourrait trouver un “débouché pour plusieurs centaines de tonnes par an”, défend Sébastien Bigaré. “En mai 2021, nous avons immergé quelque trois cents tonnes d’huîtres au port du Mourre Blanc, à Mèze, avec une structure métallique où nous y faisons passer un courant à très basse tension”, explique le directeur commercial de Géocorail, ce qui a pour conséquence de créer un biomatériau. Pétrifiées par un ciment invisible, fait notamment des sels minéraux présents dans le milieu aquatique, les coquilles se collent entre elles. L’expérience doit durer jusqu’en septembre où l’on doit relever ces lourdes concrétions du fond de l’étang de Thau.

“Des bans en coquilles, ce serait exceptionnel !”

Ce n’est pas tout. “Nous travaillons également, confie Laurence Magne, à trouver des industriels pour créer du mobilier urbain qui serait là aussi réalisé avec des coquilles d’huîtres. Des bans en coquilles, ce serait exceptionnel !” Pour cela, il faut créer une filière vertueuse. Cela commence par la collecte. “Nous avons fait un test chez 40 restaurateurs où l’on déguste des huîtres ; on a placé des bacs de réception pour que les clients y jettent les coquilles après avoir dégusté l’huître. Du coup, on dispose là d’un gisement “très propre”, sans matière organique ni sable qui ont, sans cela, besoin de beaucoup d’eau pour être nettoyés…”

Il y eut certes un projet d’usine conchylicole du Mourre Blanc, dès 2007, rebaptisée depuis la Coved et qui s’annonçait avant-gardiste. Las, il coûte extrêmement cher, consomme énormément d’énergie et ses effluves sentaient trop mauvais. “On pensait pouvoir y brûler les coquilles, rappelle Laurence Magne, mais finalement devant la difficulté on a éteint ce four et l’usine est devenu un simple centre de tri…”

Olivier SCHLAMA

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