Langues régionales : Trois communes, dont Elne, au tribunal pour des délibérations en catalan !

LA commune d'Elne. Photo : mairie d'Elne.

“Ce n’est pas un acte d’autonomie ou indépendantiste” : le maire d’Elne, dans les P.-O. ne comprend pas que le préfet ait déféré sa commune ainsi que deux autres devant le tribunal administratif de Montpellier le 18 avril parce qu’elles ont osé donner la possibilité aux élus de présenter leurs projets en catalan avec, pourtant, une traduction immédiate en français. Évidemment très attendu, le jugement donnera l’image de la place donnée aux langues minoritaires.

C’est sans doute une première en France et elle va faire du bruit ! La commune d’Elne (10 000 habitants, dans les Pyrénées-Orientales), connue pour sa magnifique cathédrale et ses nombreux classements au titre des Monuments historiques, est déférée devant le tribunal administratif de Montpellier ce 18 avril. Ce que le préfet, Rodrigue Furcy, réputé proche de Macron, lui reproche ? D’avoir voté en avril 2022 la possibilité d’écrire les délibérations de la commune en catalan ! Le préfet, que nous avons sollicité en vain (lire ci-dessous), considère que ce n’est pas constitutionnel. Bigre !

Délibérations immédiatement traduites en français

Le maire d’Elne, Nicolas Garcia, au centre. Ph. Mairie d’Elne.

“Ce n’est pas un acte d’autonomie ou indépendantiste ou de quoi que ce soit contre l’État français, c’est pédagogique et politique au sens de la gestion de la cité” : le maire, Nicolas Garcia, par ailleurs premier vice-président du département des Pyrénées-Orientales, explique : “Nous avons décidé de modifier le règlement de la commune en donnant la possibilité à tous les élus qui le souhaitent et en capacité de le faire – cela représente  en tout en pour tout, cinq personnes sur vingt-neuf – de pouvoir lire les délibérations du conseil municipal en catalan, à une condition : qu’elles soient immédiatement et obligatoirement traduites in extenso en français.” Ce qui n’était pas le cas du règlement intérieur de l’Assemblée de Corse, précédemment, rejetée par le tribunal administratif de Bastia.

“Un patrimoine à conserver…”

Nicolas Garcia poursuit son argumentation : “C’est en premier lieu une langue qui a été parlée longtemps, et même plus longtemps que le français dans notre département. Cela fait partie de notre patrimoine et on ne veut pas que ça se perde et, précisément, comme on est que cinq élus à pouvoir le comprendre et le parler, ce qui est d’ailleurs la preuve-même que cette langue est en train de se perdre. Alors que selon l’article 75-1 de la Constitution, les langues régionales sont un patrimoine à préserver.”

Un outil culturel, d’épanouissement et économique

Ph. Mairie d’Elne.

Ce n’est pas tout : “Le catalan est, en plus, un outil pas seulement culturel ; c’est un outil d’épanouissement et un outil économique : des dizaines de milliers de Français et d’habitants en Catalogne qui travaillent ; qui étudient dans le territoire voisin, la Catalogne Sud, attractif professionnellement. À long terme, entre l’Occitanie, la Catalogne et l’Espagne nous avons une position charnière, un rôle à jouer dans les relations trans-frontalières… Et plus il y aura de gens qui comprendront et parleront le catalan, y compris dans l’espace public, plus cette langue restera vivante.”

Le préfet s’appuie sur l’article 2 de la Constitution et l’édit de Villers-Cotterêt

Maternité d’Elne. Ph mairie d’Elne.

Toujours selon Nicolas Garcia, “le préfet nous a d’abord demandé de retirer notre délibération, ce que nous avons refusé. Le préfet s’appuie sur deux choses comiques si elles n’étaient pas tristes pour nous déférer devant le tribunal administratif. La première, c’est que l’article 2 de la Constitution dit que le français est la langue de la République, ce que personne ne conteste à Elne. Le préfet s’appuie aussi sur l’Edit dit de Villers-Cotterêt édité en 1539 par François 1er en vieux “François” {sur la primauté du français dans les documents relatifs à la vie publique, Ndlr} et alors que Perpignan ne faisant pas partie de cet édit puisqu’elle était dans le Royaume de Majorque à cette époque-là. Nous, nous appuyons sur l’article 75-1 de la Constitution qui dit que les langues régionales sont une richesse, un patrimoine qu’il faut préserver.”

Et à Elne on sait ce que cela signifie : c’est la ville la plus ancienne habitée du département avec un riche patrimoine. Outre sa fameuse cathédrale qui culmine à 65 mètres de hauteur, classée, comme l’est la maternité (!) Un empereur romain y serait né, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Ses remparts sont en voie de classement, également.

Quand il y a un manque de dotation horaire, c’est le catalan qu’on fait péter…”

Cathédrale d’Elne. DR

Nicolas Garcia poursuit : “Ça nous coûte des sous mais on le fait de bon coeur ; ça coûte des sous à l’Etat puisque la Drac nous aide alors que là pour zéro euro on contribue à préserver un patrimoine…” Et d’avouer : “Nous avons fait cela sans aucune arrière-pensée… C’est aussi dans la suite logique de la création de l’Office de la langue catalane. On ne comprend pas. Même si c’est symptomatique du fait que la France a voté mais n’a jamais ratifié la charte des langues régionales. Et quand il y a un problème à régler dans les écoles, comme un manque de dotation horaire c’est toujours les langues régionales qui sont la variable d’ajustement, chez nous c’est le catalan qu’on fait péter. On sent qu’à chaque fois qu’il y a une avancée sur les langues régionales, c’est comme si on arrachait une dent à certains…”

D’une quinzaine de communes qui avaient imité Elne, trois maintiennent leurs délibérations en catalan

“On ne comprend pas cette schizophrénie de l’Etat qui signe une charte en 2022 avec l’Office public de la langue catalane et le département des Pyrénées-Orientales disant que sous dix ans tous ceux qui le voudraient peuvent avoir accès à un enseignement en catalan. L’Etat est partenaire à parts égales avec le département et la Région dans cette office public à hauteur de 100 000 €.”

Suite à l’initiative d’Elne, “une quinzaine d’autres communes ont suivi notre exemple. Le préfet leur a écrit et a réussi à faire revenir une dizaines de maires sur ce sujet Il en restait cinq : Port-Vendres, Tarerach et Elne, représentées par le même avocat perpignanais et deux autres : Amélie-les-Bains, qui a pris un avocat alsacien, cités le même jour que nous et Pézilla-la-Rivière qui a mis sa délibération en stand by et n’est donc pas concernée”.

Olivier SCHLAMA

(1) Contacté, le préfet des Pyrénées-Orientales n’a pas donné suite directement à nos sollicitations. Son cabinet nous a cependant transmis ce message : “Le 21 avril 2022, la commune d’Elne a modifié le règlement intérieur de son conseil municipal pour permettre au rapporteur et aux conseillers municipaux de délibérer en langue catalane en accompagnant ces interventions d’une traduction en français.”
“Le 21 juin 2022, le préfet des Pyrénées-Orientales a demandé, dans le cadre du contrôle de légalité, à la commune de retirer cette délibération. La commune n’ayant pas retiré la délibération, le préfet l’a déférée devant le juge administratif le 20 septembre 2022 afin que celui-ci puisse se prononcer sur la légalité de cette délibération.” Il “considère en effet que la délibération de la commune d’Elne permettant la délibération en langue catalane n’est pas conforme aux dispositions suivantes :
– L’article 2 de la Constitution de la Vème République, qui dispose : “la langue de la République est le français”.
Aux termes de l’article 75-1 de la Constitution “les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France”, mais elles n’ont pas un statut de langue officielle dans la vie publique.
– L’article 1er de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, qui dispose : “Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics.”
Le Conseil constitutionnel et les juridictions administratives ont, à plusieurs reprises, jugées illégales les délibérations d’assemblées délibérantes se tenant dans une autre langue que le français.
Il appartiendra au juge administratif, dans le cadre du déféré préfectoral, de se prononcer sur la légalité de la délibération de la commune d’Elne.”

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