Intelligence artificielle : Prédire quand boire un vin, c’est possible !

Cédric Lesec, créateur de Sublivin, se confie sur la pertinence de son idée : "45 % de nos visiteurs sur le site ont fait des demandes de dates. Ce qui est un taux assez élevé. Et lors de notre étude de marché, on avait une personne sur deux qui avait déjà bu un vin trop vieux ou trop jeune." Photo d'illustration : DR.

Utiliser algorithmes et intelligence artificielle sur un produit vivant comme le vin : tel est le pari, unique, de Sublivin, start-up basée à Lunel (Hérault), qui se propose de prédire automatiquement la date où le nectar sera à l’acmé de ses arômes, à son apogée, selon l’expression consacrée. Une mini-révolution pour Arnaud Daphy, conseiller en marketing qui argue que cela “répond à un vrai besoin” ; pour le sommelier languedocien Thierry Boyer, “ce genre d’outil ne peut être qu’une aide qui ne pourra jamais remplacer le palais humain”. Le point avec Cédric Lesec, le concepteur.

A quel moment ouvrir une bonne bouteille conservée religieusement dans sa cave à vin pour une grande occasion, les 18 ans de sa fille ? Les solutions connues sont habituellement classiques : prendre des cours – très nombreux – d’oenologie ; acheter tous les guides de toutes les maisons d’éditions spécialisées, même étrangères ; demander à un sommelier émérite ; ou, à défaut, se fier au hasard… Ou alors confier cette prédiction à un robot, virtuel s’entend, en s’appuyant sur l’intelligence artificielle, de plus en plus au coeur de l’actualité. C’est l’idée ingénieuse que le Nîmois Cédric Lesec, ingénieur en informatique, et le Montpelliérain Dominique Fouques, designer, ont eue. Ensemble, ils ont créé Sublivin, une start-up, basée à Lunel (Hérault).

“Avec des potes amateurs, on a l’habitude de se défier amicalement autour du vin. Le déclic s’est produit un jour où j’ai cru que l’on allait se régaler avec l’une de mes bouteilles de vin de garde. On l’ouvre et là c’est dégueulasse ! On s’est dit : elle aurait dû être bonne.Que s’est-il passé ? Cédric Lesec

Cédric Lesec explique : “Avec des potes amateurs, on a l’habitude de se défier amicalement autour du vin. Le déclic s’est produit un jour où j’ai cru que l’on allait se régaler avec l’une de mes bouteilles de vin de garde. On l’ouvre et là c’est dégueulasse ! On s’est dit : elle aurait dû être bonne. Que s’est-il passé ?” Passée la grosse déception, le duo s’interroge et tente de comprendre. A l’arrivée, ils mettent le vin en équation, via un site utilisant l’intelligence artificielle.

Cédric Lessec et Dominique Fouques, informaticien et designer ont créé Sublivin. Photo : DR.

En clair, les algorithmes qu’ils ont mis au point s’enrichit en permanence des paramètres multiples que l’on peut lui servir à l’envi : la couleur, le degré d’alcool, la météo locale, appellation, surface exploitée, etc. Ce cocktail de données, une base d’apprentissage sur un nombre de vins définis, aboutit à une probabilité donnant la date où ce vin de tel terroir est bon à boire, “le moment idéal pour boire des vins de garde”, précise Cédric Lesec. Où il atteint son apogée, comme on dit. Cédric Lesec se confie sur la pertinence de son idée : “45 % de nos visiteurs sur le site ont fait des demandes de dates. Ce qui est un taux assez élevé. Et lors de notre étude de marché, on avait une personne sur deux qui avait déjà bu un vin trop vieux ou trop jeune.”

Sublivin teste ses algorithmes sur le Bordelais pour l’instant. Les autres vignobles viendront par la suite. En priorité, la Bourgogne et le Languedoc, où il y a des grosses variations météo. “Notre solution demande un travail important pour chaque région viticole. Le Bordelais nous sert de test business modèle : on s’est fait une base d’apprentissage avec 5 000 vins. L’idée, c’est que sur le Bordelais, l’appellation – pas les marques – a énormément d’importance dans la prédiction et qui a aussi un facteur sur le prix : de facto, ce sont souvent des vins assez chers qui sont proposés. Dans l’idée, ce serait de s’affranchir de cela en pondérant d’une autre manière, de s’affranchir au maximum des étiquettes…”

Nous avons des catalogues de vin d’e-commerce et on va proposer depuis ces catalogues des vins à boire pour la date où l’on désire donc ouvrir une bouteille. On se rémunère sur les ventes qui passent par notre site”

Généralement, les guides donnent une plage de dégustation, pas la date directement. Et leur plage de dégustation peut être plus ou moins grande et les guides ont leurs propres différences entre eux. Nous, on dit : ce vin sera à sa date d’apogée à tel moment. Au départ, on voulait faire une solution de gestion de cave. Très vite, face à concurrence dans ce secteur et la taille du marché, on s’est dirigés vers une API (interface de communication) qui permet de s’interconnecter avec n’importe quelle solution technique, que ce soit des site de e-commerce, des appli mobiles ou des solutions de gestion de caves existantes… On a aussi développé une solution grand public : le site Viniday, ouvert depuis fin juin 2017. On y entre la date souhaitée et la fourchette de prix. Nous avons des catalogues de vin d’e-commerce et on va proposer depuis ces catalogues des vins à boire pour la date où l’on désire donc ouvrir une bouteille. On se rémunère sur les ventes qui passent par notre site.”

Cédric Lesec ajoute : “Pour l’instant, on ne peut pas encore soumettre n’importe quel vin à Viniday et en connaître la date d’apogée. “C’est en projet, souligne-t-il. Mais, avant, il faut affiner le business modèle. Les gens veulent savoir effectivement à l’instant T si le vin est bon à boire ou pas mais, au final, ils ne sont pas prêts à payer quelques euros pour une bouteille de vin parfois à peine plus cher. C’est un marché de niche. Car il existe des vins de garde pas forcément très chers.”

Pour le sommelier indépendant Thierry Boyer, “ce genre d’outil ne peut être qu’une aide qui ne pourra jamais remplacer le palais humain. Et puis chaque personne a son palais, ses préférences en terme de goût, son passé, etc. Il y a tellement de paramètres qui entrent dans la composition d’un vin comme l’intensité de la note. Je veux bien que l’on puisse agréger des datas et des paramètres physico-chimiques comme le tanin ou le degré d’alcool, etc. Mais il faut laisser une part de rêve à la dégustation !”

Pour le conseiller en marketing spécialisé, Arnaud Daphy, associé à l’agence So Wine, cette “solution répond à un vrai besoin. Beaucoup de gens ne trouvent pas de réponse aux questions qu’ils se posent. Dans ce contexte, l’intelligence artificielle est une vraie innovation, une nouvelle approche qui ne laisse pas le sommelier seul avec son savoir. L’IA compile des données et surtout apprend en permanence…”

Olivier SCHLAMA