Inédit : La forêt ariégeoise site pilote contre le réchauffement climatique

Dépérissement d'une forêt au-dessus de Saint-Girons. Cliché issu d'un témoignage photo de Landry Pann.

Alors que la canicule historique est le grand absent des législatives, sur le terrain, des innovations se mettent en place. Choisi dans le cadre d’un programme européen, Le Parc naturel des Pyrénées Ariégoises, qui lance une démarche participative auprès des Ariégeois, développe les solutions d’adaptation au changement climatique fondées sur la nature. Recréer un méandre pour atténuer les crues ; planter des fruitiers pour détourner sangliers et cervidés d’une flore vulnérable ; conserver des sapinières en bonne santé ; créer des vergers à graines ou encore recourir à une exploitation douce des forêts…

Puits à carbone, réservoirs de biodiversité, les forêts pourraient nous sauver. Les études successives du Woods Hole Research Center (WHRC), institut scientifique indépendant installé aux Etats-Unis, semblent montrer, chaque année davantage, une voie à poursuivre. Selon ses auteurs, l’arrêt de la déforestation mondiale et des programmes de reboisement et de restauration des milieux sylvestres permettraient d’accomplir “au moins un quart du chemin” nécessaire pour respecter l’objectif d’un réchauffement plafonné à + 1,5 degrés.

Les étendues boisées couvrent un tiers de la surface des terres émergées, quatre milliards d’hectares. Elles jouent un rôle de premier plan dans la régulation du climat, en se gorgeant de 30 % des émissions de CO2, stockées, y compris dans les sols. C’est ce que l’on appelle des puits à carbone. Qui pourraient séquestrer au total, à l’horizon de la fin du siècle, plus de 100 milliards de tonnes de carbone. Soit dix fois la quantité annuelle de CO2 relâchée par les ressources fossiles que nous utilisons…

Même dans un département, l’Ariège, qui, défi supplémentaire, n’a pas forcément la culture des économies d’eau…

La lutte contre le réchauffement climatique est l’une des priorités des Français mais le sujet est le grand absent de la campagne des législatives, selon l’enquête Ipsos-Sopra Steria. Selon cette dernière, l’environnement arrive en 3e position dans la préoccupants des répondants : il est cité par 31 % des personnes interrogées et même 42 % des 18-24 ans !

câble-mat en forêt. Photo : Elodie Roulier, PNRPA

C’est pour cela que toutes les initiatives sont les bienvenues. Même dans un département, l’Ariège, qui, défi supplémentaire, n’a pas forcément la culture des économies d’eau. Car, visuellement, elle est partout présente. Contrairement à l’Espagne, proche, où l’eau est méticuleusement gérée. Alors quand la préfète de l’Ariège avait fait passer, en fin d’été 2021, des messages de restriction auprès des habitants et notamment à Foix, il y eut une “certaine stupéfaction et même un certain déni…”, souligne Matthieu Cruège.

“Solutions basées sur la régénération de la forêt…”

Dans ce contexte, ce dernier, directeur du Parc naturel des Pyrénées Ariégeoises. pose : “En Ariège, nous avons une forêt atlantique qui s’est développée avec un climat plutôt humide. Il y a ici de forts enjeux en termes de changement climatique sur le devenir de cette forêt, sur la manière de la gérer et de la valoriser. Le Parc travaille depuis sa création sur cette problématique”. L’idée, précise-t-il, c’est comment des “solutions fondées sur la nature peuvent apporter des réponses, notamment en matière de gestion et de valorisation forestières.”

Le directeur du Parc ajoute : “L’idée c’est de savoir comment peut-on aussi orienter la sylviculture pour s’adapter au climat ; entre autres, en proposant des itinéraires techniques, davantage basés sur la régénération de la forêt plutôt que sur la replantation d’essences nouvelles dont on ne sait pas trop comment elles vont réagir au climat de demain.” Pour tout cela, nous avons “besoin d’y voir clair. C’est pour cela que nous mettons en place des outils ; des démarches. Avec des forestiers, des scientifiques et des démarches participatives. Pour mobiliser la population afin qu’elle s’intéresse à ce sujet et lui demander de faire remonter des informations du terrain.

Le Parc naturel lance un appel à témoignages

En 2020 sécheresse estivale en Ariège. DR.

Reconnu et identifié comme un acteur majeur de la protection des forêts qui occupent la moitié du département de l’Ariège, le Parc naturel régional des Pyrénées Ariégoises et ses 125 000 hectares de forêts ont été naturellement choisis pour être le site pilote en France sur la forêt d’un projet européen LifeArtisan (acronyme en anglais de instrument financier pour l’environnement) qui vise à développer les solutions d’adaptation au changement climatique fondées sur la nature. Il est porté au niveau national par l’Office français de la biodiversité.

On y retrouve “28 sites démonstrateurs” en France avec chacun une mission différente. Par exemple, les villes de Lille ou de Lyon travaillent, l’une sur les îlots de chaleur urbains, l’autre sur la végétalisation des cours d’écoles qui en ont bien besoin ! Des Dom-Tom travaillent, eux, sur les risques de submersion marines, etc.

Chantier de réouverture d’une clairière. Ph : Parc naturel des Pyrénées Ariégeoises

Dans le cadre de ce projet LifeArtisan, Raphaële Hemeryck, chargée de projet au Parc naturel, lance un appel à témoignages avec deux objectifs : repérer des zones où il y a des forêts en mauvais état et comprendre qu’est que que la population locale identifie comme “soucis véritable sur les forêts, de manière à avoir des réponses pour eux. Les gens vont nous envoyer des photos et des points GPS ; je vais aller sur le terrain vérifier. Il faut pouvoir aussi leur dire que trois arbres morts, ce n’est pas forcément grave. Cela fait aussi partie de le la vie normale de l’écosystème forestier avec des insectes qui le mangent et qui rend l’écosystème profitable. Et que la forêt n’est pas en danger. Elle l’est s’il y a une mortalité massive avec des hectares morts.”

Photos et points GPS fournis par les habitants

“Nous sommes en charge, au sein du Parc naturel, d’expérimenter des solutions d’adaptation en forêt fondées sur la nature”, précise Raphaële Hemeryck, chargée de projet au Parc naturel. La première étant de faire un diagnostic pour déceler quelles sont les forêts vulnérables. “Dans Les Pyrénées Ariégoises, on a peu d’observations de terrain de forêts dépérissantes. C’est dans ce cadre-là que j’ai lancé un appel à témoignages auprès des particuliers et des touristes, de sorte d’avoir un retour sur des sites avec des photos et des points GPS des endroits qui posent question.” Au niveau national, le budget Life Artisan est de 16,65 M€, dont 400 000 € pour le parc naturel sur les huit ans de l’ensemble du projet. Qui a, en fait, véritablement commencé en 2020 avec “un état des lieux des connaissances sur les éléments clefs à comprendre pour le bon fonctionnement des écosystèmes”.

Ph : Parc naturel des Pyrénées Ariégeoises

Ce parc naturel couvre la moitié du département de l’Ariège. Les forêts représentent 57 % du parc, soit 125 700 hectares. La définition d’une solution fondée sur la nature correspondent a une définition précise de l’Union nationale pour la conservation de la nature (UNCN) : c’est une solution qui répond à un défi sociétal en prenant en compte le bien être humain et qu’il y ait un gain net pour la biodiversité. Parmi les solution, on peut imaginer “la restauration d’un écosystème”.

Quand une rivière redevient l’éponge qu’elle fut…

Certaines actions ont été menées, d’autres sont à mettre en place. Parmi les premières, par exemple, à Lavérune, près de Montpellier (Hérault), on a recréé un méandre et le lit d’une rivière pour qu’elle retrouve sa forme naturelle et que ce cours d’eau joue à nouveau son rôle “d’éponge” en bord de milieu urbain. Et ça marche : “La crue qui s’est produite en mars dernier dans ce secteur avait été en partie atténuée grâce à cette intervention”, souligne Raphaële Hemeryck, chargée de projet au Parc naturel

Constituer des vergers à graines

Autre exemple, une solution fondée par la nature, cela peut recouvrir la gestion ou de la protection. “Avec l’OFB (Office français de la biodiversité), on repère des forêts saines (composées d’arbres dont on sent qu’ils ont une vitalité forte, cela se voit avec leur architecture ; le déficit foliaire ou avec le pourcentage de branches mortes) ou des hétraies à des endroits où l’on ne s’y attendrait pas forcément. Comme, par exemple, la sapinière de Sainte-Croix-Volvestre qui est à très basse altitude, en dehors de l’optimum écologique du sapin”, décrypte encore Raphaële Hemeryck, chargée de projet au Parc naturel. Il s’agit de protéger cette zone-là en conservant aussi une diversité génétique. Ces forêts ou ces hétraies pourraient ensuite devenir des “unités conservatoires”. C’est-à-dire d’éventuels vergers à graines.

Des solutions d’exploitation forestières plus douces où l’on exploite, déjà, moins d’arbres : 30 % maximum du volume de la forêt ; avec de la traction animale, du débardage à cheval, du bûcheronnage manuel…”

Un chantier avec traction animale. Ph : Elodie Roulier, Parc naturel des Pyrénées Ariégeoises

En Ariège, d’autres actions sont envisagées, éclairées par les analyses scientifiques solides. “Il est prouvé, affirme Raphaële Hemeryck, que la mécanisation lourde pour des récoltes ou des coupes d’arbres, qui se déroule avec de lourdes abatteuses, fragilise la forêt. Par exemple, le passage des machines n’est pas du tout anodin : cela tasse le sol de manière irréversible, écrase les racines et ça tue la biodiversité du sol, ce qui rend les arbres plus vulnérables. Eh bien, nous nous allons proposer des solutions d’exploitation forestières plus douces où l’on exploite, déjà, moins d’arbres : 30 % maximum du volume de la forêt ; avec de la traction animale, du débardage à cheval, du bûcheronnage manuel.” La mécanisation, s’il y en a, sera “légère” et que sur des petits chemins.

Un site expérimental pour détourner les animaux des arbres

Parmi les actions que le Parc veut mener dans le cadre de ce projet LifeArtisan, sur des zones abîmées par des tempêtes ou des incendies, jouer sur la régénération naturelle ; éventuellement apporter des plantations, pour aider globalement la forêt à se régénérer. “Nous sommes en train de travailler avec une chercheuse de l’OFB, spécialisée dans l’herbivorie”, confie la chargée de projet au Parc naturel. Les espèces chassées, comme les sangliers ou les cervidés, entretenues par les chasseurs, sont en surpopulation, notamment parce qu’elles n’ont plus de prédateurs naturels. Ces espèces mangent la régénération des arbres.

Raphaële Hemeryck, chargée de projet au Parc naturel, conclut : Notre but c’est de mettre en place un site expérimental pour faire en sorte de détourner ces animaux vers des baies plus appétissantes pour eux. Plutôt de l’herbe que les arbres. Favoriser les ronciers. Planter certaines zones avec des fruitiers. Il y aura différents modes de gestion, dont celui d’ouvrir des clairières en forêt ; des zones de ronciers, de fourrés un peu denses où les cervidés vont pouvoir manger préférentiellement des ronces aux plants.”

Olivier SCHLAMA

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