Inédit : Agde, capitale du tourisme et des récifs artificiels

Après l’immersion spectaculaire de récifs en béton 3 D bas carbone dans la bande des 300 mètres, il y a quelques mois, la commune héraultaise s’illustre avec l’immersion, prévue en juin, d’un “village” de récifs artificiels ! C’est le plus gros chantier de ce type au monde. La station balnéaire, qui accueille plus de 4 000 anneaux et 300 000 touristes chaque année dont de nombreux clubs de plongée, démontre que l’on peut concilier tourisme et protection de l’environnement.

C’est de l’artificiel qui fait du bien à la nature. Ce n’est pas de l’artificiel comme ces fleurs en plastique qui ne sentent jamais bon ou ces faux gazons à la mode qui brûlent les pieds, l’été. C’est un artificiel bienveillant. Comme une prothèse de hanche aide l’homme à remarcher sans douleur, le poisson a besoin d’un toit pour pondre sans être immensément dérangé.

Le principal récif artificiel de 110 tonnes qui sera immergé ainsi qu’une dizaine d’autres modules, plus petits, au large du Cap d’Agde. Yacine Sersar / Ville d’Agde.

Des fonds sableux et vaseux en Méditerranée

Alors, on l’aide un peu à lui construire des HLM aquatiques, en quelque sorte. Comment appelle-t-on ces domiciles pleins de trous et de recoins, savamment imaginés, faisant office de caches et d’habitacles ? Des récifs artificiels où poissons et autres animaux marins aiment folâtrer dans un environnement qui en manque cruellement en Méditerranée, aux fonds désespérément sableux et vaseux, dépourvu le plus souvent d’enrochements.

Une idée née au Japon en 1954

C’est du Japon qu’est venue l’idée, lancée là-bas en 1954, dans le but de créer ou d’agrandir les terrains de pêche. En vingt-deux ans, 4,8 millions de mètres cubes de rochers, carcasses de voitures ou tramways, pneus ont été immergés. Quelques années après, on a immergé des “corps morts” à tire-larigot ; les particuliers au pays du Soleil Levant ou le long de la Méditerranée ont pollué, sans en avoir conscience, à l’envi, avec des poids morts bricolés à partir d’une chaine et d’un morceau de béton, de bois voire de… batteries de voiture…!

Expérience avec carcasses de voitures vite oubliée à Palavas

Ph. Ville d’Agde.

Il y eut même, en 1967, des “spécialistes” qui n’avaient pas donné eux-mêmes le meilleur exemple à suivre. Une expérience, notamment, avait été menée – puis vite oubliée – à Palavas-les-Flots. Sur dix hectares, fut déversé, par 21 mètres à 23 mètres de fond des carcasses de voitures, des cubes et canalisations en béton, des pneus. Il y eut un véritable plan d’action pour les années 1984-1985, notamment à Sète et Saint-Cyprien, capables d’être une vraie barrière pour empêcher les chalutiers de pêcher dans la zone des trois milles qui leur est théoriquement interdite contrairement aux petits métiers. Mais bon rien d’écolo là-dedans voire une action contre-productive en matière de biodiversité, sans aucune étude préalable ni aucun suivi…!

Des récifs artificiels en béton 3 D seront au large d’Agde

Tout cela est bien fini. On n’est plus à l’époque de la bricole. On fait dans l’ingénierie ! Au béton 3 D ! La société montpelliéraine Seaboost a fait fabriquer des récifs artificiels, sur le port de Sète. Une dizaine de blocs, dont un de 110 tonnes, de 6,5 mètres de haut et de 8 mètres sur 6 mètres de base, qui patiente dans le port de commerce ; les autres, dont un chaos arriveront par barge. L’ensemble sera acheminé à deux kilomètres au large d’Agde par 21 mètres de fond dans la première quinzaine de juin.

Imaginés pour résister aux tempêtes trentenales

Ph. Ville d’Agde.

“Cela permet d’avoir des formes complexes très design, comme des formes coralligènes, très poreuses, très élaborées, tout en économisant de la matière. On n’a pas besoin de moules et de sur-épaisseurs pour que le moule résiste, entre autres”, précise-t-il. Ces récifs en béton 3 D disposent d’une dalle en béton armé pour “stabiliser le récif pour pouvoir faire face à une houle trentenale”. C’est-à-dire une tempête exceptionnelle. Qui statistiquement arrive tous les 30 ans.

“Beaucoup utilisés pour faire revenir les poissons”

“Les récifs artificiels ont beaucoup été utilisés, notamment au Japon, pour faire revenir le poisson, explique Joffrey Capet, chef de projet chez Seaboost. Chez nous aussi, pour les mêmes raisons et à cause des fonds sableux. Sur Agde, nous avons monté un projet unique au monde avec 11 récifs artificiels, dont un de 110 tonnes, avec l’Aire marine protégée d’Agde sur des fonds de l’Ademe.” (lire ci-après). Il n’y a pas qu’une volonté d’augmenter le nombre de poissons.

Offrir un second spot de plongée avec ces récifs

L’expérience vise à partager une contrainte : les plongeurs sont pléthore à pratiquer leur passion aux abords du fameux roc de Brescou au large du Cap d’Agde, qui abrite le non moins célèbre fort de Brescou. Ces récifs leur offriraient un second spot de plongée et soulagerait la pression touristique en la divisant. “Il y a beaucoup de clubs de plongée sur le site de Brescou avec des amateurs et des pros. L’écosystème est en danger. Ces structures artificielles offriront un second site. Ce qui permettra de maintenir la présences des clubs sur Brescou.”

Ces récifs font partie d’un programme plus large

Ph Ville d’Agde.

Directeur de l’aire marine protégée d’Agde classée Natura 2 000 (6 152 hectares dont la partie de réserve intégrale mesure 310 hectares bien au-delà de l’aire marine des 60 hectares de celle de Banyuls), Renaud Dupuy de la Grandrive précise que “ce projet fait partie d’un programme plus large intitulé Recif’lab pour lequel ville d’Agde a été lauréate nationale d’un Pia (Programme d’investissement d’avenir) piloté par l’Ademe (ministère de la Transition écologique) pour la reconquête de la biodiversité. L’ensemble du projet Récif’lab porte sur quatre lots dont les trois premiers sont déjà réalisés”.

Trente-deux et bientôt 35 récifs plus petits déjà immergés

Ph Ville d’Agde.

Il y eut auparavant la pose spectaculaire de 32 modules (et bientôt trois de plus) de 1,5 mètre, de 1,4 tonne chacun, là aussi réalisés en béton 3 D qui offre un degré de précision inégalé. Ces modules sont appelés XReef, pour amarrer les fameuses bouées jaunes qui délimitent le balisage en mer, des zones de baignade et de navigation. Ces blocs de béton sont pérennes et protègent les fonds et la riche activité des herbiers de Posidonies. Ils sont autrement plus écolos que leurs ancêtres improvisés avec des pneus et des chaines qui raclent le fond… Leur but est même aussi de faire prospérer certaines espèces et de répondre à leurs besoins. Pour cela, ces modules ont été savamment conçus avec des cavités plus ou moins profondes, de différentes formes, communicantes ou pas…

Seiches, poulpes, congres, calamars reviennent

La fonction annexe des XReef n’est plus à démontrer : On voit revenir dans la bande littorale des seiches, poulpes, congres, calamars et pleins de poissons”, certifie Renaud Dupuy de la Grandrive. Dès la première semaine, on avait des oeufs de calamars ! C’est de la vraie restauration écologique que nous faisons en cohérence avec les mesures de protection de la réserve de Brescou, etc. Cela fait quatre ans que nous travaillons à ces projets…” Mieux : ces projets en béton imprimé bas carbone sont “une plus-value pour la gestion de l’environnement maritime et l’économie bleue”, pour Renaud Dupuy de la Grandrive. Ils renforcent aussi l’attractivité (éco)touristique !

Ponton d’accès à Brescou écolo, roselières…

Ces récifs artificiels ont été précédés de tout un programme écolo, de restauration avec, notamment, un ponton d’accès “écolo” menant à l’île de Brescou visant à protéger les poissons juvéniles grâce à un dispositif spécial ; des roselières (des lanières) posées sous des pontons servant là aussi de nurseries à poissons puis des nurseries en bords quais port ! Bref, à Agde, on cherche à concilier tourisme et protection de l’environnement.

Pour se doter de cet ensemble, le budget est conséquent, environ 1,5 M€, mais le plus souvent la ville d’Agde apporte un écot modeste à ces opérations. Par exemple, sur le village de récifs, elle apporte 120 000 € des 600 000 € du coût total cofinancé principalement par l’Etat et la Région Occitanie. Mais cela n’a pas de prix.

Olivier SCHLAMA