Il fête ses 30 ans : “Le SMS, c’est beaucoup d’émotion et de créativité !”

Rachel Panckhurst, enseignante-chercheuse en linguistique-informatique à l'université Paul-Valéry de Montpellier 3. Ph. Mary Gaudin.

Rachel Panckhurst, enseignante-chercheuse en linguistique-informatique à l’université Paul-Valéry Montpellier III explique ce que le SMS a changé dans nos vies et bat en brèche des idées reçues : ce n’est pas un appauvrissement mais un enrichissement du français, dit cette spécialiste. Militant pour son usage pédagogique en classe, elle donnera une conférence ce jeudi à Paul-Valéry Montpellier III.

Le SMS fête ses 30 ans. Et on a le sentiment que ce message court a toujours existé ! C’est son universalité qui lui donne ce pouvoir. Et, pourtant, à l’origine, personne n’aurait parié sur l’écriture généralisé de messages… Le 3 décembre 1992, un informaticien britannique envoie le tout premier SMS qui marque l’histoire des télécommunications : Merry Christmas ! (Joyeux Noël !). C’est bien avant le 25 décembre mais cela valait bien d’être en avance.

“La consommation moyenne par abonné est de 120 SMS” 

Selon l’Arcep (à lire ICI), “le nombre de SMS, dont le recul avait été multiplié par près de quatre pendant la crise sanitaire, diminue à un rythme plus modéré depuis le début de l’année 2022 : – 7 % ce trimestre contre – 22 % un an auparavant. La consommation moyenne de SMS par abonné s’élève à 120 SMS par mois ce trimestre, soit – 12 SMS en un an.” Explication : “Cela est dû au boum des messageries instantanées comme WhatsApp”, explique Rachel Panckhurst, enseignante-chercheuse en linguistique-informatique à l’université Paul-Valéry de Montpellier III.

À l’origine d’une étude portant sur 88 000 SMS !

Cette dernière s’intéresse depuis longtemps à l’analyse du discours numérique médié (courriels, forums, chats, SMS). C’est elle qui a dirigé le projet Sud4science. Lancé en 2011, il eut, dans le cadre d’un projet Belge qui s’est internationalisé, pour objectif “de contribuer à l’étude de la communication par SMS (SMS, txt, texto, etc.) et à l’étude du langage qu’elle véhicule”. Cette étude avait porté sur 88 000 SMS, un corpus unique consultable ICI.

Menace ou enrichissement pour la langue française ?

Rachel Panckhurst animera une conférence (1) gratuite qui se “propose de se pencher sur les liens entre téléphone portable, espace éducatif et société, par le biais des pratiques numériques contemporaines et quotidiennes, en prenant notamment l’exemple du SMS”. Elle dit : “Cette conférence sera interactive. Je proposerais des thématiques au public en lui demandant  ce qui l’intéresse a priori, les idées reçues, l’écriture, l’innovation pédagogique…” Cet outil de communication, à travers l’écriture, voire le discours numérique, parfois assez éloigné de la norme, qu’il véhicule, constitue-t-il, par ailleurs, “une menace ou, au contraire, un enrichissement pour la langue française ? Faut-il en interdire l’usage ou l’envisager sous un angle plus innovant ?”

SMS toujours aussi populaire malgré les messageries

Le nombre de SMS échangés, rien qu’en France, était, selon l’Arcep, de 43,7 milliards fin 2012 (avec plus de 210 SMS envoyé par abonné) ; il est désormais de quelque 30 milliards en cette fin 2022 (avec autour de 200 SMS par jour et par personne). Cela fait une sacrée baisse mais, avec l’avènement des messageries instantanées et autres “boucles”, la popularité du SMS est toujours aussi haute. En 1994, le Nokia 2010 est le premier téléphone portable grand public qui permet d’envoyer des SMS ; avec la compatibilité entre opérateurs, le SMS prend son envol en 1999. Trois ans plus tard, c’est le début du forfait illimité avec un milliard de textos “Bonne année” envoyés fin 2012.

“Les SMS, c’est différent, on finit par les lire

Rachel Panckhurst, enseignante-chercheuse en linguistique-informatique à l’université Paul-Valéry de Montpellier 3, spécialiste du SMS. Ph. Mary Gaudin.

Rachel Panckhurst rappelle “qu’à l’origine, le SMS n’était pas prévu comme un canal de communication ; cela avait été aménagé pour que les opérateurs télécom puissent s’envoyer des messages pour localiser des pannes. Le 1er SMS a même été vendu, en 2021, sous forme de NFT, objet électronique unique, aux enchères pour 107 000 € ! Une somme qui a été reversée à l’agence des Nations unies.” Comment expliquer que le SMS ait pris une telle place dans nos vies ? “J’ai une anecdote personnelle. J’échangeais avec un membre de ma famille étendue par Whatsapp ; je voyais qu’il ne me répondait pas. Je me suis rendu compte quelques semaines plus tard qu’il ne l’avait jamais lu parce qu’il n’avait pas activé les notifications alors que les SMS, c’est différent, on finit par les lire.”

Les mots les plus courants : “Je” et “Je t’aime”

Quel est le mot le plus utilisé ? “Le plus courant c’est “JE”. On parle de soi beaucoup par SMS. Et les mots plus courants, ce sont “C’EST” et, ensuite, c’est “JE T’AIME”. Les phénomènes les plus récurrents, ce sont des caractères uniques comme : “C” ; des émoticônes et maintenant des émojis ; on a aussi des répétitions de caractère ; des acronymes comme LOL. Des agglutinations comme “JTE” (pour “je te”.) Les graphies peuvent varier. Un mot comme “aujourd’hui” peut être orthographié de 40 manières différentes.”

Variations infinies du SMS

Rachel Panckhurst poursuit sur les variations infinies du SMS : “On a aussi des “squelettes consonantiques” : SLT pour “Salut” ; des apocopes (appli pour application ; ciné pour cinéma…) Il y a des suppressions de fins de mots muettes : Avez vous ? Deviens “avez-vou”, sans le “S”. On compte aussi des phrases sémantisées. Si on écrit “Tu F quoi ?”, on ne peut comprendre qu’à partir du contexte (car cela peut vouloir dire plusieurs choses différentes : tu fais quoi ? Tu feras ? Tu foutais quoi ?…) On ne le sait pas sans connaître le contexte. Le SMS c’est aussi l’occasion de substitution phonétique (DM1 pour demain ; BOC pour bosser)… Dans notre étude, on était à 13,75 mots par SMS avec en moyenne 67 caractères ou espaces. Et pour 16 % de notre corpus, c’étaient des SMS de moins de 15 caractères.”

“Le SMS contient beaucoup d’émotion et de créativité”

La linguiste souligne qu’il y a beaucoup d’émotions contenues dans les SMS. On rencontre beaucoup de créativité. Par exemple, à l’oral on peut accentuer le mot “génial !” Par texto, pour cela, on redouble certaines lettres comme “Génnniial !” Il y a désormais depuis quelques années les émojis (dont le nom français officiel français, est frimousse et binette au Québec, selon France Terme !) On peut avoir aussi des concaténations, une série de mots sans espaces, comme “busoutoutcalinourienquepourtoipuissancedix” ! La néographie, comme on l’appelle, est très innovante !”

“Une sorte de liberté dans la communication”

Le SMS, au final, qu’a-t-il apporté ? “D’abord, on n’a jamais autant écrit. Et puis, le texto permet de communiquer d’une autre manière, quand on ne veut pas déranger la personne ; quand on n’a pas forcément le temps. Et on n’a pas forcément besoin de toutes les formules de présentation avant d’entrer dans le vif du sujet. Le SMS apporte aussi une sorte de liberté dans la communication : c’est moi qui décide quand je l’envoie. Je le consulte aussi quand je veux ; on peut réagir quand on veut. D’ailleurs, les gens n’appellent plus. Ils se donnent rendez-vous par SMS pour… s’appeler ensuite !” Certains demandent même de plus en plus : “Envoyez-moi un SMS !”.

“Le SMS ne concurrence pas la langue française…”

La spécialiste l’affirme : “C’est une pratique qui s’ajoute à notre champ lexical. Cela ne concurrence pas la langue française. C’est un enrichissement. On devient pluri-compétent. On ne devient pas plus incompétent. On a travaillé avec des psychologues pour un travail avec des collégiens qui n’avaient jamais utilisé un téléphone auparavant. Ils ont constaté, au bout de deux ans, que ceux qui envoyaient des SMS souvent avaient acquis une dextérité. Ils jouaient avec cela et n’étaient pas plus mauvais à l’école que les autres.”

“Certaine dextérité ; on est dans le ludique, l’émotionnel”

Cette pratique apporte-t-elle quelque chose à la pensée ? “Oui, une certaine dextérité ; on est dans le ludique, l’émotionnel. Cela me fait penser à une anecdote. Quand on a commencé ce projet, en 2011, on avait des stagiaires qui devaient lire tous les SMS que les gens nous ont envoyés. C’était beaucoup. Il fallait vérifier que les SMS n’étaient ni racistes ni haineux, etc. Eh bien, l’un d’eux a failli déprimer. Les gens nous faisaient don de leurs SMS, parfois intimes. On a compris que dans un SMS on partage beaucoup de soi avec l’autre.”

Les trois fonctions de l’émoji

Rachel Panckhurst s’est aussi intéressée aux émojis. “Ils ont trois fonctions, professe-t-elle, qui permettent d’introduire des émotions dans l’écriture. Il y a l’ajout redondant quand on souhaite un joyeux anniversaire à quelqu’un et que l’on ajoute alors un émoji accessoire “gâteau”, par exemple, qui fait que votre SMS est plus sympa. Il y a l’ajout nécessaire : là, il est important pour qu’il n’y ait pas de confusion. Par exemple, l’émoji qui pleure de rire – qui a été désigné MOT de l’année en 2015 ! – ajoute du contexte. Enfin, il y a celui qui remplace un mot (une heure de rendez-vous par un dessin d’horloge, par exemple) qui est très peu utilisé – c’est de l’ordre de 7 % alors que l’émoji redondant, lui, est utilisé à… 66 %. Il rend compte d’une émotion : tristesse, colère, moqueries, sentiments… Ce sont des adoucisseurs. Je l’appelle le discours numérique médié qui peut sembler sec, brutal ou déshumanisé sans les émojis.”

Chaque objet technologique a été accusé de tous les maux ; regardez la télé, c’était pareil ; certains disaient que l’on allait tous devenir des légumes… C’était pareil pour le Minitel, qui a duré 30 ans…”

Finalement, n’est-ce pas, avant tout, le portable lui-même qui est accusé de tous les maux…? “Chaque objet technologique a été accusé de tous les maux ; regardez la télé, c’était pareil ; certains disaient que l’on allait tous devenir des légumes… C’était pareil pour le Minitel, qui a duré 30 ans, de 1982 à 2012, et qui faisait peur à certains. C’est l’usage qui est en cause. Pour mon fils, j’avais mis en place, quand il était petit, un système qui éteignait l’ordinateur au bout d’un certain temps d’utilisation. Ce qui me fait le plus de peine, c’est quand je vois des parents sur leur téléphone et leur bébé dans leur poussette qui recherchent, en vain, leur regard… La conclusion c’est qu’il faut soi-même  être de bons exemples.”

“A l’école, je suis favorable dans un contexte pédagogique”

Et sur l’usage du portable à l’école, qu’en dit-elle…? “Je suis favorable à l’accompagnement des enfants, tranche Rachel Panckhurst. En 2018, quand Macron a fait voter la loi d’interdiction des téléphones dans les classes, j’ai écrit une tribune dans le Monde à ce sujet, avant sa promulgation mais elle est passée après. Je suis pour l’utilisation du portable dans un contexte pédagogique. Depuis 2010, les établissements géraient les téléphones. C’était permis et interdit à certains moments. Maintenant, c’est interdit mais permis à certains moments. Cela change complètement la donne.”

Des vertus en Français, en géographie…

Du coup, selon la spécialiste, “les enseignants qui pouvaient être réfractaires dans un contexte pédagogique ne vont pas forcément s’avancer à le faire. Or, il y a des situations où l’utilisation du portable peut être intéressante. Je suis allée voir des collègues du secondaire, dont une amie enseignante d’espagnol qui utilise beaucoup le portable. Attention, avec un contrat ! Le portable est posé sur la table, écran vers le bas, et retourné quand l’enseignant le décide. Mon amie l’utilise beaucoup pour des petites recherches sur internet au lieu d’aller en salle informatique à 300 mètres de sa classe.”

Savoir utiliser le portable à bon escient peut avoir des vertus pédagogiques, selon Rachel Panckhurst. “En géographie, dit-elle, cela peut être, aussi, une façon d’apprendre aux jeunes de bien utiliser le GPS ; cela peut être en français monter des saynètes avec un outil vidéo, c’est une enfant de 3e qui m’a montré ça. Il y a beaucoup de possibilités. On peut se servir du portable en sorties pédagogiques pour prendre des notes… Et l’important c’est d’accompagner l’usage. En Belgique, mes collègues de l’université catholique de Louvain de travailler sur un projet, Smart Web pour des enfants. C’est une plate-forme qui aide de jeunes mineurs à devenir autonomes. En leur faisant confiance et pas de les surprotéger.”

J’utilise un outil belge, un système de vote par SMS avec les résultats sur un écran. C’est intéressant car en amphi, si vous posez une question, personne ne répond ; avec le SMS les étudiants répondent…”

Rachel Panckhurst se confie encore : “Un jour je suis arrivée en amphi et j’ai dit à mes étudiants : “vous avez obligation d’utiliser le portable en cours ils m’ont regardée avec étonnement… ! Or, c’est formidable ; on peut même intégrer des outils performants. J’utilise un outil belge, Wooclap, une sorte de système de vote en posant des questions et en recevant des réponses par SMS avec les résultats qui s’affichent sur un écran. C’est aussi intéressant car en amphithéâtre si vous posez une question, personne ne répond ; avec le portable les étudiants répondent et voient en direct ce que les camarades ont répondu (à lire ICI). Comme eux ou pas. Il y a un partage. Cela peut aussi servir à poser des questions ouvertes. La plupart de mes étudiants veulent devenir instits. Je les mets donc en situation d’enseignants : ils doivent à l’issue de leur propre exposé poser des questions publiques à leurs camarades. Et là ils se rendent compte de la difficulté de poser les bonnes questions.”

Utile même lors de situations dramatiques

Même lors de situations dramatiques, le portable a fait la preuve de son utilité. “Lors des attentats de Charlie Hebdo, en 2015, souvenez-vous : une jeune employée d’une imprimerie donna des éléments tactiques au GIGN par SMS. Le SMS peut sauver des vies.” Autre exemple vertueux, celui d’un journaliste Kurde d’Iran, Behrouz Boochani qui est resté dans un camp de détention pendant six ans au large de l’Australie, l’île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui a écrit un livre No Friend but the mountain. Il a même reçu le prix Victoria, le plus important en Australie. “Il a écrit son livre en envoyant des milliers de SMS. Il y a aussi un autre écrivain, Michel Le Van Quyen, qui a écrit Cerveau et Silence sur les déconnections. Mais le SMS c’est quand même, pour résumer, une grande richesse. Avec moins de 10 % d’abréviations. Et nous observons la langue en mutation. Ce n’est pas du mauvais français mais du français différent. Les jeunes le savent très bien : quand ils écrivent à papa, maman, ils ne leur écrivent pas les mêmes SMS qu’avec leurs camarades…”

Même Macron gère la France par SMS…

Même au plus haut niveau de l’État, le SMS est une arme à double tranchant. Après le scandale Pegasus, du nom du logiciel espion israélien utilisé par le royaume du Maroc pour pénétrer les téléphones portables de personnalités, révélée par le Monde en juillet 2021, l’État travaille à de nouveaux téléphones sécurisés pour le président de la République. Il faut dire que, d’après le Monde, Macron envoie des SMS sur Telegram – l’application de messagerie créée par les frères russes Duroc, opposants à Poutine – ou WhatsApp à ses ministres pendant la nuit. Avec des coups de pouce à certains et des remontrances pour d’autres… La politique se joue, aussi, avec, parfois, seulement quelques caractères envoyés ou retenus…

Olivier SCHLAMA

(1) CONFÉRENCE. Jeudi 1er décembre 2022 à 18 heures, Université Paul-Valéry – Salle 003 Caryatides 1 du Site Saint-Charles 2. Rue du Professeur Henri-Serre à Montpellier. Tram ligne 1 – Place Albert 1er-Saint-Charles. Entrée libre.

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