Hérault : Terra Hominis, vignobles à parts

Les AG de Terra Hominis sont toujours festives et conviviales comme l'état d'esprit des associés aux projets. Ici, en juin 2017, à l'issue d'une grande balade vigneronne de 5 km entre les vignes de Montgros, à Faugères. Photo : DR.

La société basée à Cabrerolles (Hérault) lance sont 15e projet de vignoble en copropriété dans la région, dont les principaux atouts sont de pallier le manque de trésorerie et permettre un meilleur taux de transmission des exploitations. De quoi  faire monter la filière vin en gamme. Décryptage d’un financement participatif à visage humain qui séduit de plus en plus.

Ancien caviste à Rouen (Normandie), Ludovic Aventin a lancé Terra Hominis (terre des hommes, en latin), en 2011, dans l’Hérault, en plein coeur du 1er vignoble au monde. Sa société est à part. Et même à parts : elle crée des vignobles en copropriétés, de 1 300 euros à 2 500 euros la part. C’est la seule de ce type dans l’ex-Languedoc-Roussillon. “Je voulais acheter un vignoble. Un jour avec des copains, on s’est regroupés autour d’une bonne bouteille de vin, mais on s’est résolus à baisser les bras : trop cher. L’idée m’est alors venu de créer Terra Hominis.” Sept ans après, il attaque son 15e projet de financement participatif dans le vin dans la région, un petit domaine de six hectares, aux portes de Montpellier, celui d’un ex-chef de projet dans… l’industrie. Le futur vigneron explique : “J’ai fait appel à Terra Hominis pour deux raisons. La première, c’est que pour s’installer, il me fallait trouver 400 000 euros. Or, les banques sont frileuses. Nous profitons de son réseau et de son savoir-faire, permettant à des jeunes qui veulent faire de la qualité de s’installer. La seconde raison, c’est que ce ne sont pas juste des associés ; ils forment une communauté vivante. Qui vient régulièrement au domaine. Une sorte d’ambassadeurs, ce qui crée une vraie dynamique autour de la notion de partage. C’est vraiment ça qui me plait.”

Virgile Joly, en AOC Saint-Saturnin : “C’est incroyable ; tous se sentent engagés à nos côtés et s’écrient : C’est mon vin !”

Installé à Saint-Saturnin (Hérault) depuis 2000, Virgile Joly, 44 ans, ne dit pas autre chose. Certes, son vin, authentique et élégant comme lui, en Terrasse du Larzac bio, est reconnu, y compris à l’étranger. Lui-même a été mis à l’honneur notamment, par des récompenses et il fut au coeur du documentaire Les Terroiristes du Languedoc. On pourrait imaginer que sa réputation le précédant, il n’ait pas besoin de d’aide financière. Faux. “On a fait le tour du bio et on veut aller plus loin. On a la volonté de travailler sur la biodiversité.” Il recrée ainsi des mares, rouvre d’anciennes parcelles gagnées par la garrigue tout proche et y voit exploser de nouvelles espèces de plantes. Dans la foulée, il rachète de nouvelles parcelles, six hectares. C’est pour ce dernier projet qu’il a fait appel à Terra Hominis. Avec succès.

“Une centaine d’associés ont accepté d’acheter ces nouvelles vignes.” L’exploitation reste à la charge unique du vigneron. “C’est incroyable ; tous se sentent engagés à nos côtés et s’écrient : “C’est mon vin !” Dans ce joli projet, Virgile Joly veut même implanter dans le cadre d’un projet d’agro-foresterie des chênes truffiers au milieu des vignes, de quoi limiter le recours aux produits phytosanitaires  ! Avec ces nouvelles vignes, il acquiert, en outre, des pieds de vieux grenache et de vieux mouvèdre. “Cela va nous permettre d’aller titiller les plus grands vignerons internationaux en faisant une cuvée mythique, la GSM, pour grenache, syrah, mouvèdre, un assemblage très connu internationalement et très apprécié”, s’enthousiasme Virgile Joly. Le vigneron déborde de projets made in Occitanie dans sa cave comme la création de foudres à l’ancienne grâce à une autre plate-forme de financement participatif. “Faire appel aux banques, ç’aurait été possible, dit-il, mais pas pour la trésorerie. Le peu d’argent que j’ai, je ne peux pas le mettre dans le foncier mais dans la trésorerie.” C’est le nerf de la guerre. Elle permet de tenir le temps de planter, vendanger, et vendre ses premières cuvées.

Ludovic Aventin : “Ce ne sont pas des actionnaires qui achètent des parts pour faire une opération financière…”

Installation, reprise, développement de vignobles par le financement participatif : le potentiel que Terre Hominis peut prendre en charge se compte en plusieurs dizaines de projets.  Certes, le crowndfunding est mis à toutes les sauces, mais il reste marginal entre les rangées de vignes. Terra Hominis lui ajoute une autre dimension : “Ce ne sont pas des actionnaires qui achètent des parts pour faire une opération financière. D’ailleurs, nous trions sur le volet les futurs associés d’un projet”, indique Ludovic Aventin. La motivation de ces associés n’est pas non plus, contrairement à une croyance populaire, pour éviter que les domaines languedociens soient la proie d’investisseurs étrangers. Mais pour éviter qu’ils ne disparaissent : “Les deux-tiers des vignerons ont plus de 55 ans et se pose avec acuité la transmission de leurs exploitations.”

Terra Hominis, ce sont au total 1 200 associés, soit environ 130 par projet réalisé qui mobilisent, chacun, 300 000 euros en moyenne, hors bâti. “Le profil-type, c’est plutôt un cadre supérieur ou une profession libérale, d’environ 40 ans, aisé financièrement, précise Ludovic Aventin. On n’a pas voulu faire de parts abordables pour tous à 28 euros, par exemple ; car la plupart les auraient acquises sur un coup de tête. Mais elles ne sont pas suffisamment chères pour en faire un placement financier. Ces parts, qui font l’objet d’un contrat juridique et validés par le greffe du tribunal, on peut se les transmettre de père en fils.” Le fondateur de Terra Hominis insiste sur le fait que “ces montages de financement participatif permettent d’avoir une aisance de trésorerie”. Ils permettent aussi de se créer “une communauté qui commande du vin, qui accompagne le vigneron et qui se sent concernée par cette culture.” L’ensemble des 1 200 associés ont des remises sur l’ensemble des domaines de Terra Hominis ; ils perçoivent également un loyer de 4,5 % payable en bouteilles : c’est-à-dire que sur 1 680 euros, ils reçoivent 77 euros en équivalent-vin.

Il cite l’une de ses réussites, celle du domaine de Lacroix-Vanel (AOC bio Languedoc Pézenas), à Caux (Hérault), régulièrement classe 90/100 dans le guide Parker. “Il fallait trouver un chef d’exploitation pour succéder à M. Vanel, en retraite. C’est chose faite avec un jeune, ex-chef d’exploitation d’un Côte de Provence qui a pu, avec notre système, racheter ce domaine ; on a aussi nous-mêmes racheté des domaines pour les revendre à leur valeur nominale, au prix où nous l’avons acheté, comme ce fut le cas avec un jeune, Maxime, en Faugères.” Deux projets ont été menés également avec le domaine Gayda, en IGP Pays d’Oc, etc. “Les Français ont de l’épargne, alors…”

Olivier SCHLAMA