Frontignan : L’étonnante fresque numérique de l’Ina sur la complexité du littoral

Écologues, architectes, urbanistes… Frontignan est un “territoire pédagogique” idéal pour une trentaine d’équipes pluridisciplinaires pour sensibiliser élus et populations à une élévation inquiétante du niveau de la mer et des chamboulements climatiques à venir. Un concours d’idées, Habiter le Littoral Demain, a été organisé cette année dans cet état d'esprit. Illustration d'archives : Anna Delalande, Katia-Océane Mendès de Castro étudiantes S6 ENSAM 2021.

S’appuyant sur ses archives, l’Institut national de l’audiovisuel prépare, avec le département de l’Hérault, une somme documentaire commentée par des experts sur l’évolution de notre trait de côte. L’ex-1er vice-président du département de l’Hérault, Pierre Bouldoire, qui en est à l’origine, en explique l’essence à Dis-Leur !

Le numérique comme miroir de notre géographie. Il y eut, s’agissant de l’Occitanie, la fresque numérique de l’Ina, baptisée 50 ans de borbolh (bouillonnement) occitan de 1968 à nos jours ; ou encore Regards sur le Gers (Femmes et Hommes au travail ; Terre de migration ; l’Occitan en Gascogne…) Vous admirerez, de la même manière, en 2023, Rivages Héraultais sur l’aménagement du littoral languedocien ! Abordant, entre autres, le fléau de l’érosion du littoral, comme Dis-Leur vous en a souvent parlé. Quand elle sera prête, tout le monde pourra consulter cette nouvelle fresque numérique sur le littoral du Languedoc sur le site de l’Ina et, probablement, sur celui du département de l’Hérault, coproducteur de ce projet, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, considérant que ce n’est pas le moment opportun.

Raconter l’épopée du tourisme, de l’aménagement des ports et du littoral

Le port de Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

On pourrait parler, côté Ina, d’une somme documentaire stratifiée d’histoires contemporaines. L’Institut national de l’audiovisuel entreprend depuis plusieurs années de fabriquer des fresques, numériques historiques et pédagogiques, à même de comprendre l’évolution d’un territoire à travers des prismes différents. Des images d’archives, notamment de journaux télévisées de l’époque, et des films en noir et blanc servent de support pour raconter, cette fois, l’épopée du tourisme en Languedoc ; l’aménagement de ce littoral, à travers, notamment la mission Racine ; la création de nos stations balnéaires, à l’image de celle de la Grande Motte, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, en ports, ports de pêche, etc., depuis les années 1960.

Historien biologiste, géographe, économiste…

C’est ce camaïeu formant notre littoral, évoquant sa transformation et son évolution que l’on raconte à travers cette fresque”, explique l’un des spécialistes – ils sont historien biologiste, géographe, économiste… à avoir été appelés à témoigner. Pour “contextualiser les images”. Ils sont ainsi une dizaine de grands témoins à livrer leurs quelque 150 commentaires qui construit cette histoire singulière. “Il nous a fallu plus de six mois pour y parvenir. C’était un travail de fou mais exaltant !”, dit un autre. “Concrètement, ce projet cela se traduit par une oeuvre journalistico-historique numérique”, précise-t-il.

Dans le cadre de la création d’une maison du littoral

“L’ambiance à la Grande-Motte a bien changé mais elle a gardé un charme intact !” s’exclame une sexagénaire parisienne qui a ses habitudes le midi au snack chez Popeye. Il n’y avait qu’à écouter le maire LR Stephan Rossignol évoquer la première boucherie ou le premier hôtel de la station pour se replonger dans les incroyables Trente Glorieuses où tout était possible… L’Etat y avait investi l’équivalent de 4,2 milliards d’euros (Insee). Son regard se tourne vite vers l’avenir en surfant sur le haut de gamme. Photo d’archives : Olivier SCHLAMA

C’est l’ancien maire de Frontignan et 1er vice-président du département de l’Hérault, qui en a démissionné en septembre dernier, qui est à l’origine de ce beau projet. Pierre Bouldoire explique : “Le département de l’Hérault veut réaliser une maison du littoral aux Aresquiers. Dans le cadre des réflexions qui nous ont amenés à ce projet, j’avais demandé à ce que l’on réfléchisse à une maison du littoral quasi-numérique. Que l’on ne soit pas obligés de bâtir sur cette place quelque chose. Bâtir, c’est être en contresens sur l’érosion, sur la gestions des flux de personnes sur le littoral…”

Il précise l’effet miroir : “Je souhaitais aussi que ce lieu, concret ou numérique, rappelle que le littoral a toujours été une préoccupation pour les êtres humains. Et que dans l’Hérault il y a toujours eu des gens qui se sont intéressés à cette mission. Dans la mesure où dans d’autres lieux, il y a avait eu d’autres fresques sur l’océan ou des villes qui n’ont rien à voir avec la mer ; il y a eu plusieurs fois des conventions ainsi passées avec l’Ina avec leurs archives.” Celles-ci remontent, parfois, jusqu’à la création de la télévision et de la radio.

Reconstituer, au travers des archives de l’Ina, quelques points essentiels de l’histoire de notre littoral sur la période couverte par ces archives”

C’est un projet plus vaste. “Quand on parle de fresque, c’est un document qui peut être aussi projeté et enrichi au fur et à mesure que le temps passera de nouveaux témoignages. Par exemple, on peut montrer cette fresque à des personnalités que l’on est amené à recevoir. C’est un projet qui pourra aller loin dans son évolution. Dans un premier temps, il s’agit de reconstituer, au travers des archives de l’Ina, quelques points essentiels de l’histoire de notre littoral sur la période couverte par ces archives.” C’est un projet qui se focalise sur le littoral héraultais “mais avec l’idée qu’on ne peut pas se déconnecter des littoraux mondiaux”.

On peut (y) trouver une interview dans les années 1950 d’un archéologue ou d’un géographe qui parlent du littoral et qui nous renvoient jusqu’à la préhistoire”

“Ce qui est intéressant, complète Pierre Bouldoire, c’est que dans ces archives audio-visuelles, il y a des gens qui parlent d’un passé beaucoup plus ancien. On peut trouver une interview dans les années 1950 d’un archéologue ou d’un géographe qui parlent du littoral et qui nous renvoient jusqu’à la préhistoire.”

Plage du grand Travers entre Carnon et la Grande Motte (34), Aout 2019. Ph. Boutonnet Laurent – Région Occitanie

Quel est le but de cette entreprise ? “Nous faisons cela pour que les gens qui ne sont pas d’ici deviennent d’ici très vite !”, formule-t-il. Et la leçon à en tirer ? “On n’est pas les premiers à s’intéresser au littoral. Il a toujours été mobile et mouvant, même si les effets du réchauffement climatique font que l’on s’en davantage compte qu’avant.” Autre Leçon : “Après la Seconde Guerre mondiale, on a fait des erreurs, comme construire des choses en dur sur un littoral mobile. Ce qui est un problème. Il faut trouver un mix intelligent entre ici, on laisse la nature faire ; là, on défend nos positions. Laisser faire ne veut pas dire abandonner. On des dans une société où, quand l’on dit “on laisse faire la nature, on l’abandonne”. C’est faux.”

Architectes en formation sur le terrain, à Frontignan

Cette fresque de l’Ina n’est qu’un pan d’un dispositif plus vaste et plus ancien considérant que la connaissance de l’évolution du trait de côte est indispensable. Il y a par exemple des architectes en formation qui viennent régulièrement enrichir sur place, à Frontignan, leurs connaissances en matière de littoral et d’érosion, par exemple, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Début 2022, écologues, architectes, urbanistes… une trentaine d’équipes pluridisciplinaires s’étaient aussi retrouvées à Frontignan, “territoire pédagogique” idéal pour pour sensibiliser élus et populations à une élévation inquiétante du niveau de la mer et des chamboulements climatiques à venir. Participant à un concours d’idées, Habiter le littoral demain !, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.

Un géographe avait imaginé une passerelle habitée !

Une passerelle entre Frontignan et Frontignan-Plage ! L’idée est de Magali Tescher qui a réalisé ce document bluffant de réalisme.

On peut citer, aussi, le projet théorique et un peu fou d’imaginer une passerelle habitée entre Frontignan et sa plage, comme Dis-Leur vous l’a révélé il y a quatre ans.Pour le géographe Montpelliérain Alexandre Brun, l’idée d’une passerelle monumentale était une pure construction de l’esprit. C’est l’exemple-type de solution face au réchauffement climatique dans le Golfe du Lion, adaptée à un site, au climat et à son histoire. Pour ce géographe, “la rénovation des villes côtières et des stations balnéaires créées il y a 50 ans par la mission Racine peut permettre de faire face intelligemment à la montée des eaux. En respectant l’histoire, l’environnement et la géographie de celles-ci. Pour éviter les erreurs du passé.”

On devrait reconfondre cette matière, la géographie, pour expliquer l’histoire et faire ressortir tout l’intérêt de la géographie…”

Ce qui donne de l’eau au moulin de Pierre Bouldoire : “Je pars du principe que les historiens font un travail remarquable sur l’histoire. Les géographes n’ont pas l’équivalent en terme d’intervention dans les médias de ce que les historiens font. Patrick Boucheron, professeur au collège de France, éminent historien, passe sur les ondes radios, à la télé, etc. Aucun géographe ne fait la même chose. Or, je fais partie des gens qui soutiennent que l’histoire ne se fait qu’à partir d’une géographie existante. Nombre de guerres se sont faites autour des frontières naturelles. On devrait reconfondre cette matière, la géographie, pour expliquer l’histoire et faire ressortir tout l’intérêt de la géographie. Et cette maison du littoral vient rappeler la géographie.”

Peut-être sera-t-elle, cette maison du littoral, réalisée en dur, mais qui se déplacerait régulièrement… ? “La problématique qui se pose de plus en plus, c’est ce que préfigure la gestion des promeneurs dans les calanques de Marseille où il faut retenir une place pour s’y rendre dans le but d’éviter leur dégradation. C’est ce qui est mis au débat aujourd’hui. Ce que j’en pense ? Si on continue à faire venir des gens en nombre dans un lieu, on risque de détruire ce lieu ; si on réduit la fréquentation, qui autorise-t-on à y aller ? C’est complexe.” 

Olivier SCHLAMA

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