Frontignan : Des spécialistes phosphorent pour s’adapter au réchauffement climatique

Illustration: Anna Delalande, Katia-Océane Mendès de Castro étudiantes S6 ENSAM 2021

Écologues, architectes, urbanistes… Frontignan est un “territoire pédagogique” idéal pour une trentaine d’équipes pluridisciplinaires pour sensibiliser élus et populations à une élévation inquiétante du niveau de la mer et des chamboulements climatiques à venir. Les résultats de ce concours d’idées, Habiter le littoral demain ! seront connus le 15 juin.

S’adapter pour survivre. C’est le sens des experts  : entre un tiers et la moitié de la planète doit être protégée pour garantir l’approvisionnement en nourriture et en eau douce, indique le tout dernier rapport du Giec, publié fin février 2022. Ces experts ajoutent que les villes côtières ont besoin de plans pour protéger les populations des tempêtes et de la montée des eaux. Ce que confirme et précise le Réseau d’expertise du changement climatique en Occitanie (Reco).

De + 2 degrés à + 3,7 degrés en moyenne d’ici 2050

En clair, d’ici 2050, on peut assister à une hausse des température dans notre région de 2 degrés à 3,5 degrés en moyenne et même jusqu’à 5,7 degrés si le pire des scénarios se réalisait. Déjà en marche, les conséquences seront désastreuses : on a déjà enregistré une montée des eaux de 20 centimètres entre 1900 et 1918. Désormais, l’engeance s’accélère : si on considère une hausse de 3 degrés, une élévation du niveau de la Méditerranée pourrait atteindre 50 cm à 60 cm à la fin de ce siècle ! C’est colossal. Et il faut au plus vite se préparer à ce futur. Car l’Agence européenne de l’environnement est encore plus inquiète…

Questionner l’aménagement, le devenir, la mutation d’un territoire face aux aléas climatiques et aux risques de submersion marine”

Vue du camping de Frontignan sur une vieille carte postale… Ph. Archives Départementales Pierres-Vives

Michel Pieyre, directeur de la mission développement durable et études et prospective du département de l’Hérault pose : “Avec le département de l’Hérault, qui fait beaucoup pour cette adaptation au changement climatique, et la ville de Frontignan, nous avons voulu lancer un concours d’idées qui s’adresse aux étudiants et aux professionnels de l’architecture, de l’urbanisme, du paysage et de l’environnement.” Son nom : Habiter le littoral, demain ! a pour objectif de “questionner l’aménagement, le devenir, la mutation d’un territoire face aux aléas climatiques et aux risques de submersion marine”. Les équipes candidates seront invitées à penser l’aménagement d’un quartier résidentiel ou mixte, faire des propositions écologiques, fondées sur la nature et résilientes aux effets attendus des dérèglements climatiques à l’horizon 2050-2100.

Travailler sur la vaste zone des Hierles

Et les professionnels ne se sont pas fait prier pour participer à ce concours, doté, de plus, de 30 000 € de récompenses pour dix prix. “À quelques jours, le 3 avril de la clôture des inscriptions, une trentaine d’équipes pluridisciplinaires nous ont fait part de leur participation”, note Michel Pieyre. L’idée qui leur est proposée est de travailler sur le cas concret de la vaste zone des Hierles, à Frontignan, support de ce concours d’idées. Un site atypique proposant un étang, des vignes, le canal du Rhône à Sète, les fameux gants de stockage d’hydrocarbures, une zone agricole, des quartiers pavillonnaires, lotissements, collège…

“Avoir des exemples positifs de solutions pour s’adapter”

Frontignan vue du ciel. @Ville de Frontignan.

Pourquoi cette partie de Frontignan coincée entre la Méditerranée et le massif de la Gardiole ? Michel Pieyre répond :C’est une zone rétro-littorale et nous cherchons à avoir des exemples, des avis de représentations positives de solutions pour s’adapter au changement climatique en cours. Il faudra résister à la chaleur de plus en plus forte ; à l’intensification des pluies à certaines périodes ; à la perte de biodiversité, etc.” Frontignan, c’est aussi parce que le conseiller général Pierre Bouldoire, en est l’ex-maire, et qu’il préside une structure satellite du département, Hérault Littoral.

Frontignan est, depuis des années, un cas d’école, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, avec la venue de dizaines d’architectes en herbe. De part sa situation, c’est aussi un “outil pédagogique idéal. Un territoire volontariste en la matière. La restitution des projets se fera d’ici le 15 juin.”

“Un espace naturel aujourd’hui fragilisé par l’étalement urbain, la pression sur les ressources et la tension immobilière…”

Méditerranée, étangs, canal du Midi, habitations, cuves géantes d’hydrocarbures… Photo : Ville de Frontignan.

On en fera quoi ensuite de ces jus de crâne ? “Le département de l’Hérault fait déjà beaucoup quant à la gestion du littoral”, rappelle Patrick Buffard, architecte urbaniste au CAUE de l’Hérault (Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement). C’est vrai. Le littoral Héraultais, de la pose de la première pierre du môle Saint-Louis en 1666 donnant naissance au port de Sète, à la mission d’aménagement Racine en 1963, “le littoral attire toutes les attentions, lui conférant une place à part dans le cœur des Héraultais”, est-il indiqué dans le prologue du règlement du concours. “Un espace naturel aujourd’hui fragilisé par l’étalement urbain, la pression sur les ressources et la tension immobilière, accélérant ainsi la perte d’une partie de notre littoral déjà de plus en plus menacé par les effets du changement climatique”.

Ressources, mobilités, attractivités…

Depuis dix ans, le département a investi 230 M€ afin de protéger lagunes, étangs et lidos – notamment entre Sète et Marseillan – tout en développant une activité économique précieuse autour de la pêche et de la conchyliculture, mais aussi des activités nautiques et du tourisme. Pour les 10 prochaines années, Hérault Littoral fixe le cap pour répondre aux nombreux défis à venir : “La protection des ressources, la fluidification de la mobilité sur le littoral, l’attractivité du territoire, la démoustication et l’adaptation au changement climatique.”

Attirer l’attention des élus, les sensibiliser

L’érosion ne cesse de gagner du terrain. Comme ici sur la plage de Frontignan ce lundi 22 février 2021. L’érosion gagne à chaque tempête… Photo : Olivier SCHLAMA

Les solutions imaginées par ces différentes équipes de spécialistes feront dans doute l’objet d’une exposition, probablement à ma maison du littoral qui doit être érigée par le département. “C’est aussi une façon d’attirer l’attention des élus, de les sensibiliser, analyse Patrick Buffard. Il y en a encore besoin, oui. Cela permet aussi de dédramatiser ce sujet sans avoir recours à un cadre rigide et réglementaire comme un PPRI, d’un Scot ou un PLU intercommunal. Et puis le déclic est peut-être apparu quand, récemment, les secours n’arrivaient pas à faire leur travail à Frontignan-plage, du fait d’une forte tempête en cours. Ce genre de situation engage aussi la responsabilités des élus…”

“Le recul stratégique est inévitable”

Vias, à quelques kilomètres de Frontignan, est l’exemple de l’efficacité contrariée de lourdes dépenses publiques. En novembre, la chambre régionale des comptes d’Occitanie avait émis un rapport retentissant, comme Dis-Leur ! vous l’a expliqué ICI. Une première en France. Pointant : absence de stratégie d’ensemble locale mais pas de solutions juridiques nationales : telle est la complexité d’intervention des collectivités. Les magistrats reconnaissent la grande difficulté pour les collectivités de gérer cette problématique qui engloutit beaucoup d’argent.Le recul stratégique est inévitable”, jugeait ainsi la présidente en novembre dernier sur Dis-Leur !

Une passerelle monumentale !

En 2018, le Montpelliérain Alexandre Brun avait même avancé l’idée d’une passerelle monumentale adaptée à un site, au climat et à son histoire (à lire ICI). Pour ce géographe, “la rénovation des villes côtières et des stations balnéaires créées il y a 50 ans par la mission Racine peut permettre de faire face intelligemment à la montée des eaux. En respectant l’histoire, l’environnement et la géographie de celles-ci. Pour éviter les erreurs du passé”.

Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui, les maisons se vendent très cher !”

A Vias, Sète, Frontignan ou ailleurs, il faudra faire avec la nature… Faudra-t-il, dans la ville du muscat, en arriver à des solutions extrêmes, comme “le repli stratégique” sur le massif de la Gardiole ? “A voir…”, répond Patrick Buffard. En tout cas, il faut anticiper. Avoir une vision globale ; savoir comment on se redéploie ; faudra-t-il déconstruire ? Dépolluer ? Revoir des ambitions sur une zone urbanisable aujourd’hui ? Peut-être que, déjà, grâce à ce concours d’idées, le cahier des charges sera amendé.” Il y aura aussi la problématique du rachat des maisons, en première ligne. “Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui, celles-ci se vendent très cher ! Il y a aussi le problème des productions agricoles. Déjà, à Frontignan, ils ont déjà des problèmes pour planter des arbres à cause des remontées d’eaux salées…”

Olivier SCHLAMA

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