Féminicides : En 2020, 102 femmes ont été tuées par leur compagnon

L’étude annuelle, toujours très attendue encore davantage cette année dans le contexte de la crise sanitaire, montre une baisse historique même si c’est toujours trop. En Occitanie, le département de la Haute-Garonne se démarque avec quatre victimes recensées. Fondatrice de #Noustoutes, Caroline de Haas revendique : “Les moyens pour appliquer les annonces sont en réalité les grands absents des déclarations. Et sans moyens, il n’y aura pas de changement majeur.”

L’année dernière, 125 morts violentes ont été enregistrées au sein du couple par les services de police et la gendarmerie, contre 173 l’année précédente (48 victimes de moins, soit une baisse de 28 %). C’est “le chiffre le plus bas enregistré depuis le début  de l’étude décès annuelle en 2006”, fait savoir le ministère de l’Intérieur. Sur ces 125 morts violentes, on compte 102 féminicides – soit un décès tous les trois jours – et donc 23 sont des compagnons ou ex-compagnons tués par leur moitié. À ces 102 féminicides il faut ajouter 238 tentatives au sein du couple sur un total général de 2 761 tentatives. Par ailleurs, 14 enfants mineurs sont décédés dans ce contexte de violences familiales.

L’étude intervient après des féminicides retentissants

Photo d’illustration. DR.

Cette étude intervient après des drames retentissants. Comme celui de Saint-Just dans le Puy-de-Dôme (1) rappellant l’urgence de mise en oeuvre des mesures issues du Grenelle des violences conjugales. Celles-ci se traduisent par “de meilleures doctrines et formations des forces de secours ; création de maisons de protection des familles ; pôle psychosociaux ; grille d’évaluation du danger traduite en 15 langues ; mise en oeuvre du bracelet anti-rapprochement ; création de 100 postes supplémentaires d’intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries…”, souligne le ministre de l’Intérieur.

Autre exemple marquant le 4 mai à Mérignac, une femme de 31 ans a été brûlée vive par son mari contre qui elle avait déposé plainte deux mois plus tôt, avec un prolongement il y a quelques jours, en juillet, où le Canard enchaîné révèle que le policier chargé de recueillir sa plainte avait lui-même été condamné pour… violences intrafamiliales en février 2021.

Le portrait-type du féminicide : un homme, français, de 30 ans à 49 ans ou de 70 ans et plus, sans emploi

Le portrait-type de l’auteur de ces morts violentes ? Majoritairement masculin, le plus souvent vivant en couple, de nationalité française, âgé de 30 à 49 ans ou de 70 ans et plus et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle. “La dispute et le refus de séparation demeurent les principaux mobile du passage à l’acte”. Les faits se produisent en grande partie au domicile conjugal, de la victime ou de l’auteur, sans préméditation et principalement avec une arme à feu ou une arme blanche. Quelque 35 % de ces femmes victimes avaient déjà subi des violences et 67 % avaient déjà signalé ces faits ; parmi lesquelles 75 % avaient déjà posé plainte contre l’auteur.

“On découvre que le traitement des plaintes pour violences conjugales n’était apparemment pas prioritaire…”

Caroline de Haas
Photo d’illustration. DR.

Gérald Darmanin a affirmé lundi que la lutte contre les violences devrait être “une priorité des forces de l’ordre”. Caroline de Haas, ex-conseillère de Najat Vallaud-Belkacem, est une défenseure historique des droits des femmes et fondatrice du collectif #Noustoutes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. C’est elle qui alerta sur les risques de recrudescence de ces violences durant la crise du covid-19 et des confinements. Sa réaction ne s’est pas fait attendre : “On découvre que le traitement des plaintes pour violences conjugales n’était apparemment pas prioritaire jusque là. (Le ministre de l’Intérieur annonce qu’il le devient). À quoi donc a servi la soi-disant grande cause du quinquennat ?”

Toujours selon cette étude annuelle, ces féminicides représentent en 2020 17 % (20 % en 2019) de l’ensemble des homicides “non crapuleux et violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner”, commis sur le territoire national en 2020.

“Sans moyens, il n’y aura pas de changement majeur”

Caroline de Haas enfonce le clou : “Le ministre de l’Intérieur annonce à grand renfort de communication des mesures qui existent déjà. Le fait de refuser les mains courantes pour violences conjugales est déjà une consigne donnée aux commissariats. Le fait d’avoir des équipes spécialisées sur le sujet dans tous les départements existe déjà mais n’est pas appliquée par manque de moyens financiers. Concernant le recrutement d’officiers de police judiciaire, le ministre promet mais n’annonce aucun chiffre.” Et de revendiquer : “Les moyens pour appliquer les annonces sont en réalité les grands absents de ses déclarations. Et sans moyens, il n’y aura pas de changement majeur.”

Des milliers de femmes confrontées au refus de prendre leur plainte

Photo illustration.

Caroline de Haas précise : “Lors de l’enquête #Prendsmaplainte, publiée par #NousToutes en mars 2021, il était ressorti que des milliers de femmes victimes de violences au sein du couple avaient été confrontées au refus de prendre leur plainte, à la banalisation des faits ou à une solidarité avec le conjoint violent de la part des forces de l’ordre. Ce n’est pas étonnant quand on voit que certains officiers condamnés pour violences conjugales sont toujours en poste.”

Cette enquête de #NousToutes “vient confirmer ce que disent tous les rapports d’inspection sur le sujet : l’enjeu est de former l’ensemble des forces de l’ordre à accueillir la parole et à prendre au sérieux les victimes. Et pour cela, il faut également des moyens”, conclut la militante.

“L’an dernier, à cette date, 57 femmes avaient été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint. Le ministre s’est réjouit de cette baisse qui de fait était liée au confinement. Nous sommes cette année à 70 féminicides. Il faudra plus qu’une interview du ministre de l’Intérieur qui annonce des mesures déjà existantes pour changer la donne. Nous avons besoin de moyens supplémentaires.”

Olivier SCHLAMA

(1) Un forcené avait, en décembre 2020, tué trois gendarmes. Son ex-femme accuse les autorités d’être restées sourdes à ses appels à l’aide. Elle avait déposé au moins trois plaintes.

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