Première en France : 40 000 moustiques tigres stériles largués par drones !

Une expérience pilote a été menée à Prades-le-Lez (Hérault) cet été dont les résultats encourageants ont été révélés ce mardi. Pour la 1er fois en France, des scientifiques montrent que l'on peut stériliser des palanquées de moustiques tigres mâles pour qu'ils n'aient aucune descendance et les épandre à 50 mètres du sol. Photo : EID.

(Avec vidéos). Une expérience pilote a été menée à Prades-le-Lez (Hérault) cet été dont les résultats encourageants ont été révélés ce mardi. Pour la 1er fois en France, des scientifiques montrent que l’on peut stériliser des palanquées de moustiques tigres mâles pour qu’ils n’aient aucune descendance et les épandre à 50 mètres du sol. Il reste des écueils à franchir avant de valider et d’utiliser cette méthode féconde.

Stériliser le moustique tigre, l’idée va faire des petits. D’ici “cinq ans”, peut-être, comme évoqué par les participants, le temps de mobiliser les élus, de convaincre les populations de l’innocuité de la méthode, de réunir un budget forcément conséquent, le moustique tigre, espèce invasive – 64 départements sont infestés à ce jour, dont l’Aine, au Nord de Paris – arrivée à Menton en 2004 dans des pneus importés d’Asie, et dans l’Hérault en 2011, et désormais présent dans une grande partie de l’Hexagone, pourra être mieux combattu.

Plaie” du quotidien, l’une des espèces les plus invasives

Redouté pour marquer la peau au fer rouge et véhiculer des maladies graves, aedes albopictus, présent de mai à novembre dans nos contrées, et peut-être bien plus longtemps à l’avenir, à cause du réchauffement, ce moustique est “une plaie” du quotidien, l’une des cent plus invasives au monde, qui nous suit à la trace. Il vit avec nous et pond invariablement dans la moindre goutte d’eau de son jardin, balcon, etc. Sa durée de vie est de seulement un mois en moyenne mais il assure continûment sa descendance sans qu’aucun prédateur ne soit en capacité de lui barrer la route. Surtout que nous n’avons que très peu d’armes à notre disposition, si ce n’est un seul produit, le BTI, bacillus thuringiensis israelensis, utilisable que sur les larves. Il se délecte d’avance du réchauffement climatique et de nos zones pavillonnaires où il trouve gîtes et couverts en abondance.

40 000 moustiques largués par drone à 50 mètres du sol

Ph. O.SC.

C’est justement là, à deux pas de Montpellier, dans deux quartiers de Prades-le-Lez, dont celui du Nouau, que les scientifiques ont mené une expérimentation innovante : la technique de l’insecte stérile (TIS) puis, effectué des lâchers de ces moustiques tigres, rendus stériles, par drones à 50 mètres du sol ! Les essais ont été effectués entre juin et août 2021. Quelque 40 000 insectes ont ainsi été “épandus” dans une zone de dix hectares. “Nous avons d’ailleurs eu des autorisations exceptionnelles pour cela”, a précisé Remi Cluset, directeur technique de l’EID.

Dix cas importés chaque année dans la région

Bannis par l’Europe pour ses effets néfastes sur les écosystèmes, les insecticides d’antan, eux, ne servent qu’en cas d’urgence, à “nettoyer” le foyer (principalement avec la deltaméthrine), et ses alentours, supposé d’un porteur de chikungunya, de dengue ou de zika que le “tigre” lui aura transmis en revenant d’un pays infesté. Et qu’il ne faut pas qu’un moustique “local” transporte ailleurs. On compte ainsi dans notre région une dizaine de cas importés chaque année (1).

Une expérience aux résultats “prometteurs”

Bonne nouvelle, donc : les scientifiques ont déjà franchi une étape et validé technique et processus de stérilisation et de dispersion de ses tigres stériles. De toute façon, ce ne sera qu’une arme supplémentaire dans notre maigre arsenal de lutte. “On ne pourra jamais éradiquer cet insecte” vu le nombre incalculable de gîtes”, a souligné de son côté Charles Jannin, entomologiste à l’EID, Entente interdépartementale de démoustication, un opérateur public, spécialiste de la lutte anti-moustique.

Marlène Dupraz, du Cirad. Ph. OSC. moustique tigre, EID

Pour autant, les scientifiques de l’EID et du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), associés dans cette expérience, arboraient un large sourire ce mardi matin, à Prades-le-Lez, au Nord de Montpellier (Hérault) face “aux résultats prometteurs” de leur expérience. Entendez : une majorité de “tigres” ont survécu jusqu’à leur larguage ; les drones ont été efficaces, un bon taux de recapture “énorme, de 2 % à 10 %”, au moyen de 40 pièges sentinelles, 32 547 moustiques adultes collectés, une légère baisse de ponte…

Étudier les conditions réelles dans un petit périmètre

Cette étude pilote, qui fait partie d’un projet plus vaste financé à hauteur de 150 000 € par l’Europe, Mosquarel, tend à démontrer qu’il existe un chemin possible avec cette méthode. Emanation d’un projet plus vaste, ERC Revolinc, financé par l’European Research Council et porté par le Cirad, a pour objectif d’étudier en conditions réelles, mais dans un espace circonscrit, la faisabilité de lâchers de moustiques à Valence, en Espagne, sur l’île de la Réunion et la région montpelliéraine.

“D’autres essais, plus vastes, seront indispensables”, souligne Rémi Cluset. Il y a des écueils, nombreux, à franchir pour envisager un jour utiliser cette arme, dont le seul but est de diminuer, pas éradiquer, des populations de moustiques tigre sur nos terrasses et dans nos jardins. Il faut trouver les fonds pour construire une usine à rayons gamma ou rayons X ; convaincre les collectivités et les population de l’innocuité de cette technique et de son intérêt. Quant aux coûts, que l’on imagine pharaoniques, ils sont plutôt low cost en Chine, l’un des rares pays à recourir à cette méthode. “Pour produire ces moustiques stériles, la Chine dit que ça lui coûte 1 100 € chaque million de ces insectes”, a révélé Claire Garros, une entomologiste du Cirad placée dans le public. On peut déjà en douter… En Italie, le coût serait de 100 € à 200 € par hectare et par an mais la dispersion des “tigres” se fait au sol.

Il faut… dix fois plus de mâles stériles que de sauvages !

“C’est le rôle d’une collectivité comme la nôtre de participer à cette expérience et à l’intérêt général”, a témoigné la maire de Prades-le-Lez. Florence Brau s’est même interrogée : “Cette méthode n’est-elle pas plus utile dans des zones problématiques au niveau de la santé…? En tout cas, je ne pense pas que ce soit pour simplement améliorer demain matin le confort des habitants ou alors à très long terme…?” Directeur général de l’EID, Bruno Tourre est intervenu pour rappeler des choses importantes : “Cette stérilisation et ces lâchers ne fonctionnent que parce que les moustiques ne procèdent qu’à un seul accouplement et il faut relâcher environ dix fois plus de mâles stériles qu’il n’y a de moustiques sauvages…”

Livrés à Montpellier en colis isothermes par avion !

Les moustiques, dont on a sélectionné une souche, ont été élevés en masse et bombardés de rayons gamma, pour les stériliser, au CAA (Centro Agricoltura Giorgio Nicole) à Crevalcore, près de Bologne, en Italie. Ils ont été livrés par avion à Montpellier en 14 heures dans des colis isothermes à une température en dessous de 10 degrés pour les garder endormis ! Avant larguage, ces mâles ont été marqués par une poudre fluorescente, pour mieux les reconnaître, une fois une partie recapturés, et passés sous une lampe à lumière ultraviolette. Des analyses plus fines seront encore nécessaires ; “sachant que l’objectif de l’expérimentation n’était pas tant de démontrer l’efficacité réelle de ces moustiques stériles que de la faisabilité du processus”, souligne-t-on à l’EID.

L’EID a fait un gros travail pour rassurer les familles volontaires qui ont participé à l’expérience…”

Rémi Cluset, Charles Jannin de l’EID ont participé à l’expérience. Ph. O.SC.

“Techniquement, on sait stériliser les moustiques en France”, a complété Marlène Dupraz du Cirad. Mais il faut trouver l’argent pour construire une usine pour stériliser les moustiques par millions, à grande échelle ; convaincre les pouvoirs publics de dédier cette belle enveloppe budgétaire pour réaliser cet équipement et “tenir compte de l’acceptation sociale.”

Il faut que la population accepte pendant quelques jours une arrivée artificielle, massive, d’insectes supplémentaires dans leur quartier… Même si ce ne sont que des mâles – stériles – et qui, contrairement aux femelles, ne piquent jamais. “L’EID a fait un gros travail pour rassurer les familles volontaires qui ont participé à l’expérience, a surligné la maire de Prades-le-Lez. Pour leur dire qu’il n’y aura aucune maladie qui en sera issue, par exemple…”

D’autres solutions de lutte sont à l’étude

Les moustiques stérilisés sont enduits d’un produit phosphorescent pour être reconnus lors de la recapture. DR.

Cet essai de faisabilité est une première dans l’Hexagone. Des essais ont eu lieu au Brésil en 2018 et à la Réunion cette année “Précurseure, la Réunion avait certes pris dix ans d’avance”, comme l’a souligné Marlène Dupraz, du Cirad, mais elle avait mis cinq ans à convaincre les élus locaux de l’intérêt de cette méthode. “Nous travaillons à d’autres solutions de lutte, comme les pièges, dont l’efficacité est à démontrer”, a encore confié Remi Cluset, directeur technique de l’EID.

En Polynésie, comme vous l’a expliqué ICI Dis-Leur, un groupe de chercheurs travaillent sur des atols infestés notamment celui de Marlon Brando, Tétiaora, avec une bactérie, volbakia, qui donne d’excellent résultats : elle rend là les femelles stériles. L’avenir n’est pas à une seule méthode mais bien à un bouquet de solutions. Il y a aussi le moustique transgénique stérile. Cela ne pose pas de problèmes éthiques en Inde ou au Brésil…

Olivier SCHLAMA

  • Maladies. La dengue, c’est 3,34 millions de cas en 2016 dans 128 pays à risques ; le chikungunya, c’est 1,2 million de cas rapportés en 2015 et le zika, c’est 1,5 million de cas estimés en 2016. 

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