Economie sociale et solidaire : “700 000 emplois à pourvoir d’ici 2025”

Roger Belot, président de ESS France. Photo : DR.

L’économie sociale et solidaire (ESS) a le vent en poupe. En Occitanie, ce pan de l’économie représente 22 800 établissements, 210 000 salariés et pas moins de 5,2 milliards d’euros en salaires, soit 16% de l’emploi privé en région ». C’est la 3e région française en la matière. A l’automne, un haut commissaire auprès du gouvernement pourrait être nommé pour donner plus de cohérence à un secteur en bonne santé mais qui pourrait apporter davantage à l’économie française en étant bien organisé. Ex-président de la Maif, Roger Belot, président ESS France, appelle, d’ailleurs, le gouvernement à des états généraux. Entretien.

Trois ans après la loi Hamon, votée en 2014, quel bilan tirez-vous de l’économie sociale et solidaire ?

Vous connaissez sans doute la loi Hamon, du 31 juillet 2014, dite loi ESS. Elle distingue des organismes de représentation dont la chambre française de l’économie sociale et solidaire que j’ai l’honneur de présider (ESS France). Nous avons vocation à représenter auprès des pouvoirs publics en France et en Europe, promouvoir et fédérer les têtes de réseaux au niveau national ; ensuite, parallèlement, il y a une déclinaison régionale avec des chambres régionales de l’ESS (CRESS, fédérées par une chambre nationale).

Roger Belot : “Il faudrait faire un Grenelle de l’économie sociale et solidaire”

Quelle est votre définition de l’ESS ?

Personnelle : une autre façon d’entreprendre. Tout le monde a comme référence du système d’entreprises traditionnelles basé sur des capitaux, à travers une rentabilité et des actionnaires. L’ESS, c’est l’opposé : l’objet premier n’est pas la production de bénéfices. C’est un objet social : apporter une réponse à une finalité sociale, qui peut-être économique, environnementale, etc. L’ESS a vocation à s’intéresser à tous les domaines d’activité. Mais avec des principes : il n’y a pas d’actionnaires, principe de solidarité et où la place de l’homme avec un H majuscule est prioritaire par rapport à la recherche du profit. C’est une autre façon d’entreprendre même si nous sommes dans l’économie de marché.

Votre secteur de l’ESS est monté au créneau auprès des candidats à la présidentielle. Qu’est-ce que vous attendez du gouvernement Macron à la rentrée ?

Si on avait un a priori, il serait plutôt favorable. On espère qu’il tiendra ses engagements et ses promesses. Nous souhaitons la réussite du gouvernement Macron sur ce volet-là. Le candidat Macron avait adressé un document, en quelque sorte ses engagements vis-à-vis de l’ESS qui comporte une volonté très claire de lui donner les moyens de se développer. Un social business act qu’il voudrait mettre en place ; nous sommes tout à fait favorables à ça. Il faudrait faire une sorte de Grenelle de l’économie sociale et solidaire.

Pourquoi des états généraux ?

L’ESS est apte à répondre à beaucoup de défis sociaux et économiques et environnementaux. La loi Hamon de 2014 est très bien mais, trois ans après sa promulgation, on peut dynamiser encore ce secteur. Emmanuel Macron en a affiché la volonté. Nous sommes prêts à nous mettre autour d’une table pour discuter des moyens au plan législatif et financier qui pourraient permettre de donner encore plus d’ampleur à l’ESS.

C’est-à-dire, avec un fonds spécial ?

Roger Belot, président ESS France. Photo : DR.

Nous disposons d’un certain nombre d’outils compris dans la loi récente. Mais le constat, c’est qu’il y a des progrès à faire. ESS France a produit un rapport dans ce domaine pour améliorer les financements des entreprises avec 97 propositions de nature très différente. On a beaucoup de choses à dire, notamment sur l’accès au financement. Les moyens financiers existent mais ils sont plus facilement accessibles à des grandes entreprises déjà bien installées. En revanche, pour les petites, ce n’est pas le cas. Il y a tout un tas de dossiers, de documents à remplir pour obtenir ces financements qui découragent le plus souvent ces entrepreneurs. C’est un parcours du combattant. Les entrepreneurs qui se lancent dans la création d’une start-up sous une forme d’économie sociale et solidaire, une Scop par exemple, ont des idées, ils sont volontaristes et entrepreneurs dans leur tête mais n’ont pas forcément les moyens de remplir de lourds dossiers. Il faudrait simplifier tout ça.

Vous espériez un secrétariat d’Etat dédié à l’ESS…?

Oui, comme dans le gouvernement précédent… Or, aujourd’hui, l’ESS n’est plus rattachée au ministère de l’Economie mais au ministère de la Transition écologique et solidaire de Nicolas Hulot. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle : dans le secteur de la transition énergétique, l’ESS est très présente. Il y a par exemple de nouvelles formes de distribution d’énergie, d’électricité comme Ernercoop, qui présentent une alternative aux contrats d’électricité. Sur ce volet-là, je suis persuadé que Hulot peut favoriser leur développement. Par contre, pour tous les autres domaines, nous aurions aimé avoir un secrétariat d’Etat qui les aurait fédérés (économie, éducation, etc.)

La priorité, c’est davantage d’aide financière ?

L’argent, il y en a. C’est sur l’utilisation de ces fonds qu’il faut mieux agir. Par exemple, il existe un organisme, la BPI (banque publique d’investissement). Il a été doté de fonds spécifiques pour l’ESS. Mais le bilan que l’on fait c’est que ce système est très améliorable. Ensuite, on fait des propositions pour développer la culture financière des dirigeants de l’économie sociale parce que, effectivement, ceux qui se lancent n’ont pas eu forcément dans leur cursus scolaire ou universitaire les bonnes formations ; comme les formes de recours à l’endettement. Apporter de l’argent, c’est bien. Mais il faut apporter de l’accompagnement pour ces créateurs d’entreprises. Et de l’accompagnement humain. Du coaching. Il y a encore des progrès à faire.

Plus de 110 créations d’entreprises chaque année

L’ESS représente déjà 2,3 millions de salariés (plus des deux-tiers en CDI et à temps complet), 10, 5% de l’emploi en France et 14% de l’emploi privé. A 60%, nos entreprises sont dans l’action sociale et on est bien présents dans le secteur des sports et loisirs. Cette forme d’économie continue à être créatrice d’emplois et à un rythme supérieur de l’économie traditionnelle. Pourquoi ? Cela montre l’attractivité du système. Dans l’économie traditionnelle, on dégraisse, comme on dit ; dans l’ESS, on est respectueux des personnes. Il y a plus de 110 créations d’entreprises chaque année en France. Et ce ne sont pas des emplois délocalisables.

L’ESS représente dans le pays plus de 164 000 entreprises. On estime à 700 000 emplois à pourvoir d’ici 2025 du fait des départs à la retraite. Notamment dans les métiers de l’action sociale, de la banque coopérative, des arts et spectacles, de la santé ou de l’assurance, les mutuelles où on a des fleurons. Cela veut dire aussi que c’est une source d’emplois. Et des emplois de qualité. Il est aussi bon de souligner que l’ESS ne fonctionnerait pas sans les bénévoles. Ce sont 13 millions de bénévoles qui militent dans une structure. Treize millions…

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA