Escale à Sète : 120 navires de légende et une encombrante frégate… russe

Le Mircea, fleuron de la marine Roumaine était présent à Escale à Sète. DR

Des couleurs, des chants, du vent qui claque dans les voiles épaisses de l’histoire… Seul rassemblement de vieux gréements en Méditerranée, la manifestation bisannuelle vient de resigner son partenariat avec la Marine nationale et le musée de la Marine, à Toulon. On attend 300 000 visiteurs sur les quais de Sète, du 12 au 18 avril. L’association doit décider ou non de la venue du Shtandart, voilier qui n’a de russe que le pavillon. Le capitaine a rompu avec le régime de Poutine. Mais Escale a Sète ne veut prendre aucun risque.

Sous le regard bienveillant de Neptune, figure de proue géante en bois massif, de maquettes de vaisseaux d’époque empire et d’un tableau monumental, Combat d’un vaisseau français contre deux galères barbaresques du fameux Théodore Gudin, l’inventeur, entre autres, du secours en mer, le directeur général d’Escale à Sète, Wolfgang Idiri, dit : “Comme Sète, Toulon a ses pêcheurs ; comme Sète, Toulon a un port de commerce. Ce n’est pas un port aseptisé. Il y a de la vie…”

Quelque 300 000 visiteurs attendus à Sète

Neptune… Ph. O.SC.

Dans cette atmosphère propice du musée de la Marine, à Toulon, le directeur général d’Escale à Sète, seule manifestation de vieux gréements et de bateaux de travail en Méditerranée, d’une ampleur grandissante, labellisée Unesco, est comme ça : il aime la vie. Et les quelque 300 000 visiteurs qui viendront lors de cette semaine ressentiront sa ferveur vivace, comme à chaque fois depuis la première édition, en 2010. Et pas seulement grâce à ses cinquante groupes de musique folklorique.

400 bénévoles qui “donnent plus que tout”

Comme ils ressentiront, à n’en pas douter, le travail de fond et l’énergie de “ses” 400 bénévoles “qui donnent plus que tout et engagent leur entièreté” pour un festival – gratuit – qui s’est forgé une vraie identité tout en agglomérant, çà et là, celle, éparpillée, de ces gens d’une drôle de mer, celle d’ici, à mille miles des manifestations mercantiles de par l’Hexagone. Avec son accent, sa jovialité, ses chants, ses rires jolis, ses chansons paillardes. “Un engagement très fort des bénévoles”, souligné par le préfet maritime.

Pas moins de 15 M€ de retombées économiques directes

Wolfgang Idiri et le préfet maritime de Méditerranée. Photo : Olivier SCHLAMA

Le crédo ? Le partage et le respect de la tradition. La municipalité l’a compris qui a laissé cette manifestation grandir sans la contingenter ni s’offusquer de sa charte déontologique. Ils se frottent ensemble les mains des 15 M€ de retombées économiques directes, sans parler de l’image de marque qui brille de mille feux. Le calcul, basé sur l’empreinte numérique des téléphones, est fiable. Quinze millions d’euros c’est considérable en le comparant au 1 M€ de budget du festival, apporté “à 70% par les sponsors et mécènes. L’alchimie est fragile mais elle tient.”

Des centaines d’ateliers proposés gratuitement

D’ailleurs, cette année, Escale franchit cette étape du partage en organisant des centaines d’ateliers auprès des festivaliers intéressés. Il suffit de s’inscrire sur le site de l’office de tourisme pour participer à des initiations, “des valeurs cardinales” en matière de culture maritime (dispensée par le musée de la marine de Toulon), d’environnement (Ifremer) ; d’enseignement (rectorat de Montpellier) ; de solidarité (SNSM), etc. Mais aussi des ateliers de gréements, de musique , des métiers de la mer... Avec une langue occitane longtemps malmenée ; des professions comme la pêche régulièrement en crise, la transmission de cet esprit marin en Méditerranée a bien failli disparaître. Vitale, elle va continuer à s’accentuer.

Nous partageons les mêmes valeurs que le festival qui évoque quatre valeurs cardinales d’Escale…”

Gilles Boidevezi, préfet maritime de Méditerranée

“Marraine” de la manifestation, Cristina Baron, conservatrice du musée de la Marine, s’est félicitée de ce lien très fort avec le festival, des liens d’amitié”, a-t-elle dit avec émotion. Wolfgang Idiri s’est dit “extrêmement honoré que la Marine nationale et le musée soient aux côtés d’Escale à Sète. À Sète, les joutes et la pêche, ce n’est pas du folklore…” Escale non plus. De son côté, le préfet maritime, Gilles Boidevezi a expliqué les deux principales raisons de ce partenariat : “Je suis compétent sur trois régions : Paca, la Corse et l’Occitanie. Cette dernière représente, avec son tourisme et ses activités de pêche, un tiers de notre activité et Sète, emblématique, est le 2e port de pêche en Méditerranée. Ensuite, nous partageons les mêmes valeurs que le festival qui évoque quatre valeurs cardinales d’Escale (ci-dessus).”

Le problème de la venue du voilier russe, le Shtandart

Sous le soleil généreux d’un avril céruléen, les 120 navires retenus pour cette 6e édition feront des vire-vire dans la tête des visiteurs éclaboussés par la beauté de ces géants des mers. À ce propos, il y en a un qui joue les matamores sans le vouloir dans un festival qui n’a cure de la politique et qui au contraire fait se marier les marins de tous bords. L’un des navires de prestige qui espère pouvoir mettre le cap sur Sète, c’est le Shtandart (étendard en russe) de 1999, réplique d’une frégate russe du même nom, le navire amiral du tsar Pierre le Grand.

“Je ne prendrais aucun risque pour la sécurité”

Le fameux bateau russe. DR.

Sauf que, sans explications conséquentes, ce trois-mâts pourrait faire désordre au coeur d’Escale à Sète et en pleine guerre en Ukraine. “Ce ne serait pas normal qu’il soit considéré par certains comme un pestiféré… En même temps, je ne prendrais aucun risque pour la sécurité des 300 000 personnes qui viendront à Escales à Sète”, maugrée Wolfgang Idiri qui déplore par avance le mauvais procès d’intention que certains pourraient faire, par amalgame simpliste.

Né d’un père urkainien et d’une mère russe, Vladimir Martus, le capitaine, a une bien belle tête de loup de mer “mais ce n’est en aucun cas un émissaire de Poutine”. Au contraire !, poursuit Wolfgang Idiri, il a renié la Russie de Poutine depuis 2009 et arbore au mât de son bâteau un second pavillon, Ukrainien, celui-Là. Ce qui en fait un symbole, “un bateau de la paix qui arbore aussi le pavillon ukrainien”, formule le Sétois, expliquant “que ce n’est pas facile de changer de pavillon”.

“Pas d’obstacle administratif” pour le préfet maritime

Interrogé ce vendredi, au musée de la marine, à Toulon, parrain d’Escale à Sète, le préfet maritime de Méditerranée, le vice-amiral Gilles Boidevezi, qui validait le partenariat avec Escale lui, ne voit “pas d’obstacle administratif” à ce que le festival reçoive ce navire (lire la vidéo). Reste la décision attendue du préfet de l’Hérault, seul compétent à terre. Notre association organisatrice prendra la décision in fine et si un seul de nos partenaires émet la moindre des réserves sur la sécurité, nous refuserons le bateau”, dit-il craignant “l’amalgame de quelques personnes virulentes. On se donne encore une mince chance en retardant notre décision…” Le port de la Rochelle, où le Shtandart doit se rendre en juin, étudie aussi la question.

Si l’on veut refaire une chapelle romane, on ne la fait pas en plâtre. C’est pareil pour un bateau…”

Raymond Dublanc
Le Morgen. DR.

Les vieux gréements viennent à Sète comme un pèlerinage agréable. Les drisses et les voilent y chahutent et chacun des spectateurs retrouve son sourire d’enfant… La formule est simple : “Si les bateaux ne sont pas des répliques farfelues et respectent les traditions, ils y ont leur place”, confie l’exigeant Raymond Dublanc qui a écrit la charte. Le charpentier est l’éminence grise d’Escale. Il dit : “Si l’on veut refaire une chapelle romane, on ne la fait pas en plâtre. C’est pareil pour un bateau. S’il est du 18e siècle, faut qu’il soit fait dans le même esprit.”

L’organisation pense déjà à 2024, année des JO

Ainsi donc, ce festival de grands voiliers a pour invité d’honneur les Pays Bas, cette année. L’ambassadeur devrait apprécier la fête comme la directrice générale de l’Unesco en France, Audrey Azoulay. Le navire-étoile, c’est le Mircéa. “Les Roumains ont tout fait pour qu’ils viennent à Sète car le passage des détroits turcs est compliqué en ce moment…” L’équation est simple : Nous affrétons les bateaux qui sont retenus pour venir à Escale et les bateaux peuvent faire payer les visites.”

“Nous pensons déjà à la prochaine édition, en 2024 qui est aussi l’année des Jeux Olympiques en France. Nous aimerions entre autres faire venir des grands voiliers  d’Etat, notamment italiens.” Le Graal, en la matière, c’est l’Amerigo Vespucci, un voilier école. Le voilier le plus connu au monde. “Nous aimerions aussi que le public soit davantage acteur du festival et investir la question culturelle…” Escale à Sète toutes voiles dehors !

De notre envoyé spécial à Toulon, Olivier SCHLAMA

👉 Tout le programme ICI

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