Érosion : Vias, exemple de l’efficacité contrariée de lourdes dépenses publiques

Érosion : Vias, Portiragnes, Sérignan... Le littoral pris entre deux vagues

C’est une première. Absence de stratégie d’ensemble locale mais pas de solutions juridiques nationales : telle est la complexité d’intervention des collectivités. À Vias, les magistrats de la chambre régionale des comptes reconnaissent la grande difficulté pour les collectivités de gérer cette problématique qui engloutit beaucoup d’argent. “Le recul stratégique est inévitable”, juge la présidente.

“On en a marre de jeter de l’argent à la mer !” C’est avec cette antienne que feu l’ancien 1er adjoint, à Sète, Antoine de Rinaldo, avait justifié jadis la volonté de stopper le renflouement à fonds perdus des plages. Et le lancement d’un projet pharaonique, unique en France, du recul de la route entre Sète et Marseillan, soutenu par l’Europe, et ayant réclamé un budget à la mesure : 55 M€. Une gestion de trait de côte qui demanda de grands moyens. Malheureusement, la problématique n’est pas isolée. Ailleurs, le long des 200 km de littoral languedocien, des communes et intercommunalités se battent toujours contre les éléments – au Racou, par exemple, ou au Grand Travers – et parfois ne gagnent qu’un peu de temps, la mer reprenant toujours ses droits.

Une zone de 80 000 habitants dans 20 communes

Érosion : Vias, Portiragnes, Sérignan... Le littoral pris entre deux vaguesC’est dans ce contexte d’élévation du niveau de la mer et d’une érosion galopante que la Chambre régionale des comptes d’Occitanie (CRC) vient de publier pour la première fois un rapport sur la gestion de ce trait de côte, en prenant l’exemple de Vias, une commune de 5 535 habitants près de Béziers (Hérault) et de l’intercommunalité à laquelle elle appartient, soit 80 000 habitants répartis dans 20 communes.

“Nous avons analysé la question du trait de côte à travers le contrôle de la commune de Vias, de la communauté d’agglomération Hérault Méditerranée avec un focus sur l’efficacité de la gestion du trait de côte”, explique Marie-Aimée Gaspari, présidente de la CRC Occitanie. Pourquoi Vias ? “C’est un bon exemple des enjeux intéressants avec des mesures de protection ces dernières années.” C’est aussi un segment de la côte qui accueille de nombreux campings, beaucoup de touristes. 

Une érosion galopante

L’érosion ne cesse de gagner du terrain. Comme ici sur la plage de Frontignan ce lundi 22 février 20121. L’érosion gagne à chaque tempête… Photo : Olivier SCHLAMA

Au total, a analysé la CRC, quelque 350 hectares, 13 campings, 2 500 parcelles cabanisées, 400 habitants à l’année mais 30 000 résidents en été. Avec “un afflux” de touristes important sur cette portion du littoral. Dans ce secteur, le recul du trait de côte est spectaculaire. “Un phénomène qui semble s’accélérer : la côte recule de 200 mètres en un siècle, entre 1857 et 1957. De 100 mètres les 50 années suivantes, entre 1955 et 1990. Et dans les dix dernières années, au lieu de perdre un à deux mètres par an, on en est entre un et trois mètres et demi perdus par an”, explicite Marie-Aimée Gaspari. Une érosion dont on peut penser qu’elle va s’accroître avec le réchauffement climatique, avec l’augmentation et la force des tempêtes et de la montée du niveau de la mer.

Campings, parcelles privées, Xynthia…

Tout le monde a en tête les risques liés à l’érosion, notamment depuis la tempête Xynthia. Avec la menace sur la sécurité des personnes et des biens, notamment pour ceux qui sont en première ligne, les campings et les parcelles privées, et une aggravation des probabilités de submersion marine, avec un risque d’inondation fluviale, avec notamment le Libron et le Canal du Midi, le vent empêchant un écoulement naturel.

©DOMINIQUE ANDRE/PHOTOBIM/MAXPPP TEMPETE SUR LE LITTORAL MEDITERRANEEN / PALAVAS LE 09/11/1982

Quelles ont été, face à ces enjeux, les interventions des collectivités ? La présidente de la CRC Occitanie précise : “Il y a deux axes. D’abord, des actions de  protection, des travaux sur le trait de côte avec des apports périodiques de sable. Ensuite le lancement de mesures d’adaptation essentiellement par le recul stratégique des habitations, ce qui nécessitait de repenser l’occupation du littoral.”

5,8 M€ mobilisés, de 2014 à 2019, pour renflouer la plage

Entre 2014 et 2019, la communauté d’agglomération a ainsi mobilisé 5,8 M€ pour à la fois acquérir des terrains pour reconstituer le cordon dunaire, financer des études et réaliser des travaux. Avec une forte part de cofinancement, toutefois, à hauteur de 63 % via l’Etat, à 41 %, le Feder, un fonds européen à 35 %, et la Région Occitanie, à 24 %.

Ce site a ensuite été rapidement endommagé par la mer : en 2018, on a une nouvelle destruction à 60 % et une ouverture d’une brèche…”

Marie-Aimée Gaspari, présidente de la CRC

La présidente dit : “Ce que l’on constate, c’est que ces collectivités ont eu beaucoup de mal à mettre en oeuvre cette stratégie de protection parce qu’ils n’ont pas réussi à acquérir tous les terrains qu’ils souhaitaient, parce que les gens ne veulent pas partir. Les travaux engagés n’ont couvert qu’un tiers du tracé initialement prévu. Mais surtout ce site a ensuite été rapidement endommagé par la mer : en 2018, on a une nouvelle destruction à 60 % et une ouverture d’une brèche, ce qui faisait que le cordon dunaire n’était plus qu’à 19 mètres de la mer… Et il a fallu encore renflouer… C’est là que l’efficacité d’intervention est sujette à caution. On constate ainsi deux ans après que la mer a repris ses droits.” Un tonneau des Danaïdes…

Variation de prix dans l’achat de terrains

Ce n’est pas tout. “On s’est aperçus qu’il y avait des variations de prix dans l’acquisition des terrains que Vias collectivités a acquis. Des écarts de un à trois et pas toujours justifiés. Face à des terrains, dont la dévalorisation est inéluctable, la CRC préconise de s’appuyer à l’avenir sur un référentiel de prix pour les négociations avec les propriétaires et garantir la transparence.”

Durcissement de la loi, bloquant le projet de repli stratégique…

Pour le projet de recomposition spatiale, conduit l’agglo, on a “le même constat d’inefficacité. Elle a consacré 600 000 €, engagés des actions de médiation, ce qui est bien, avec des propriétaires de parcelles. Et construit des projets d’aménagement. Dans le même temps, entre 2014 et 2019, Vias a acquis des terrains, pour un montant de quasiment 700 000 € dans ce secteur pour envisager de relocaliser des gens et des activités, comme les campings. Mais il y a eu un durcissement du cadre juridique ce qui a bloqué ce projet de recul stratégique. Ce secteur a alors été classé en 2014 par l’Etat en zone rouge du PPRI, plan de prévention des risques d’inondation.” Et d’ajouter : “Entre 2012 et 2015, Vias avait souhaité participer à une expérimentation nationale sur la relocalisation, {qui avait mobilisé 583 000 €, Ndlr} mais celle-ci a donc été stoppée en raison de ces contraintes juridiques”. 

Réforme de la loi littoral…

lido de Portiragnes
Le lido de Portiragnes a subi une érosion dû aux coups de mer. Et qui a commencé à être rétabli. Mais qu’il faut protéger comme ici à Vias, commune proche. Photos : P. Calas. d’urgence. Photo :

Autre écueil, il y eut également, en 2018, une réforme de la loi littoral qui supprime la possibilité d’avoir un habitat dispersé, l’habitat doit être en continuité avec un secteur déjà urbanisé. Impossible de relocaliser de la même manière dans ces terrains déjà acquis. Pour autant, “ces parcelles acquises sont assez dispersés et qu’il manquait une stratégie réelle d’ensemble”, juge Marie-Aimée Gaspari.

“Les gens ont l’impression de gagner, 10, 15 ou 20 ans…”

Ce que reprochent les magistrats, plus globalement : “Quand vous organisez des actions de protection, vous laissez croire aux gens que vous allez pouvoir retarder leur départ de manière suffisamment pérenne pour qu’ils puissent ne pas se préoccuper de l’avenir et d’un éventuel départ” lié à la montée inéluctable de la Méditerranée. “Ils ont donc l’impression de gagner, dix, quinze ou vingt ans pour éviter de déménager. Ce que l’on reproche à cette politique qui joue sur les deux tableaux, c’est que ces deux solutions, avec la relocalisation, ne sont pas conciliables, sauf à expliquer clairement que la protection ne peut être qu’une solution à court terme, sur quatre à cinq ans.”

“Des conditions d’intervention des collectivités extrêmement complexes…”

La présidente de la CRC reconnaît que “l’on a un coût d’intervention important pour une efficacité diminuée à cause de la mer qui reprend ses droits. Les actions de protection ont été les plus coûteuses, 5,8 M€, la dépense la moins efficace”. Et nuance, soulignant “des conditions d’intervention des collectivités extrêmement complexes : il y a une très faible adhésion des propriétaires, ce qui peut se comprendre, ceux qui ont une activité économique qu’ils souhaitent préserver, car plus on s’éloigne de la mer, moins on est attractif. Le repli stratégique se heurte à cela. Mais le risque c’est l’attentisme qui signifie accroissement du risque en terme de sécurité…”

“La loi ne donne pas toutes les solutions juridiques”

“C’est un sujet extrêmement sensible et complexe d’autant que la loi ne donne pas de toutes les solutions juridiques aux collectivités. La loi climat et résilience du 22 août 2020 doit notamment permettre des contrats de bails réels immobiliers de longue durée, ce qui permettrait aux collectivités d’acquérir des terrains et d’amortir leur investissement en les louant sur une longue durée aux propriétaires de campings ou à des privés. Mais on n’a pas encore ces outils-là.Comme nous n’avons pas encore de politique nationale de recomposition spatiale. Les collectivités ne peuvent pas tout. “C’est un sujet national.”

Nul doute que la CRC va continuer à expertiser les dépenses dans ce domaine sur d’autres tronçons du littoral menacé. En 2022, la Chambre poursuivra l’examen des sites et des politiques conduites dans ce domaine par certaines collectivités.

Comme Dis-Leur vous l’a expliqué, le constat est sans appel. Les dunes veulent, mais ne peuvent, sortir la tête de l’eau. “Sept des neuf écosystèmes constituant les cordons dunaires et rivages sableux méditerranéens, représentant environ 26 % du linéaire méditerranéen en France, dont la Corse, sont évalués en danger ou vulnérable”, indique le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’UICN (1) selon les résultats d’une étude inédite menée avec l’Office français de la biodiversité (OFB) et le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN). “Le bassin méditerranéen constitue l’un des 36 points chauds de la biodiversité dans le monde, où la biodiversité est particulièrement riche, mais aussi particulièrement menacée”.

Olivier SCHLAMA

👉 A Lire le rapport d’observations définitives de la CRC et ses réponses ICI : 

Promenoir de 2 M€ érigé… sans permis

Dans le cadre du contrôle de Vias, de 2014 à 2019, ces enjeux tombent sur une commune à la “situation financière fragile”. Il y eut une forte augmentation des dépenses de personnels ( +32 %), sans aucun suivi des effectifs ; des dépenses d’équipement qui ont très très fortement augmenté avec plus de 29 M€ de dépenses dans la période alors que la commune n’avait une capacité d’autofinancement que de 3,3 M€. Ils ont donc eu recours massivement à l’emprunt, pour 13,9 M€, avec un endettement par habitant de 2 500 €, fin 2019, alors que la moyenne de la strate était de 828 €. A lire ICI le rapport complet avec les réponses associées.

Le patrimoine, variable d’ajustement

érosion des plages
Avenir de nos plages : l’État avait lancé  une grande consultation inédite auprès de la population. Photo : Olivier SCHLAMA

Une magistrate de la CRC explique : “La situation s’est cependant améliorée en 2020 : ils ont su baisser leurs charges de gestion. Et massivement baissé leurs charges d’investissement pour partie. C’est lié à l’effet du covid, la commune ayant pris conscience de sa fragilité a reporté ses annuité d’emprunt. Ils restent dans une situation fragile et nous leur avons recommandé de mettre en oeuvre un plan pluriannuel tout en maintenant leurs dépenses d’entretien ; car on a constaté que durant la période précédente, la variable d’ajustement c’était justement de ne pas entretenir leur patrimoine.”

Un investissement de 3 M€ dans un lieu inconstructible

Et elle poursuit : “Ce que l’on a aussi constaté, c’est que le principal investissement de la commune dans cette période, c’est un promenoir, une structure en bois qui permet d’accéder à la mer, au bout de l’avenue de la Méditerranée. Il s’agit d’un investissement de 3 M€, entre 2018 et 2019. On est dans une partie du PLU d’abord suspendu puis annulé par la justice administrative et confirmé en juin 2021 par la Cour administrative d’appel : cette zone est bien inconstructible, parce que l’on est dans la zone des 100 mètres du littoral. Ce promenoir avait donc été construit sans permis de construire…”

O.SC.

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