Emploi : À Céret, la médiation par l’art restaure la confiance des chômeurs

Yves Bertin Ngoma. Le directeur territorial délégué Aude de France Travail : "Souvent les trajectoires des artistes exposés à Céret font écho avec leur propre histoire. Un artiste doué mais qui n'a pas eu la carrière à laquelle il aurait pu prétendre parce qu'il a eu une vie difficile, décousue..." Photo : France Travail.

Estime de soi retrouvée, accompagnement dynamisé, freins à l’emploi assouplis… La convention qui unit le musée d’art moderne et France Travail est un outil remarqué pour une petite dizaine de demandeurs d’emplois par mois : le Louvre-Lens en a repris l’idée et les musées de Marseille s’y intéressent.

Avec cette médiation culturelle auprès des chômeurs de longue durée, on est aux confins d’une art-thérapie qui s’ignore et du groupe de parole psy. Au musée d’art contemporain de Céret, dans les Pyrénées-Orientales, où le taux de chômage est le plus élevé de la région (12,4 %), et dans cette petite ville de 8 000 habitants, c’est une aventure unique en son genre qui y a trouvé sa place et sa justification depuis 2017, dans une relative confidentialité.

Ateliers pour demandeurs d’emploi, à Céret. Ph. DR.

On n’est pas dans l’art par ordonnance qui se pratique à Montpellier. Même si cela participe d’un réel mieux être qui concerne 70 à 80 participants chaque année bénéficiant d’un partenariat entre ce musée, qui reçoit entre 80 000 et 1000 visiteurs chaque année, et France Travail. La belle idée a même été récompensée par le prix Osez le Musée en 2019 et une dotation de 12 000 €. “Je me battrais pour avoir des subventions pour valoriser cette action”, renchérit Nidya Touam, directrice de l’agence France Travail de Céret.

L’oeuvre du musée a le plus marquée

Ph. Musée de Céret.

De quoi s’agit-il ? Le programme se déroule de la façon suivante : le matin, visite du musée en petit groupe de six ou sept personnes. Avec, à la fin, une question : quelle est l’oeuvre qui vous a le plus marquée, en positif ou en négatif ? L’après-midi, c’est la phase d’expression orale.

Peggy Merchez, responsable du service des publics au musée, décrit : “Chaque participant présente l’oeuvre qu’il a retenue au groupe. On n’est pas du tout sur l’histoire de l’art ; mais c’est une façon de s’approprier l’oeuvre. De quoi préparer un entretien d’embauche ; de savoir regarder des interlocuteurs ; sourire ; utiliser un vocabulaire châtié ; oublier les tics de langage. Ensuite, il y a un temps de retour de l’atelier où chacun va exprimer ce qu’il retire de cette expérience.” Certains ont ainsi vaincu une timidité qui les fait découvrir différemment de leur conseiller France Travail, lesquels se mobilisent davantage pour eux.

Il y a aussi de vrais moments de sensibilité : certains parleront en effet de l’oeuvre par rapport à leur parcours, parfois déchirant”

Peggy Merchez ajoute : “Ces ateliers, c’est mon bébé ! Pourquoi ? On vit des moments exceptionnels ; quand des gens, qui n’ont parlé à personne pendant longtemps, arrivent à le faire ; qu’ils nouent des amitiés… Je pense à trois femmes en particulier qui n’avaient aucune amie et qui se retrouvent quinze jours après l’atelier au marché en train de boire un café ensemble et de partager un moment avant de prendre le bus pour aller au cinéma… Certaines mamans osent aussi venir ensuite avec leurs enfants. Il y a de vrais moments de sensibilité : certains parleront en effet de l’oeuvre par rapport à leur parcours, parfois déchirant. Et je trouve au cours de ces ateliers, une candeur, une sensibilité. C’est très gratifiant.”

Avec une belle surprise : 100 % des participants arrivent à prendre la parole, à évoquer une émotion, une pensée et en public. Après cet atelier, les bénéficiaires sont appelés à revenir au musée ; beaucoup le font, sourire aux lèvres, y compris accompagnés de leurs enfants. Qui possède 4 000 oeuvres sur 4 000 mètres carrés.

Reprendre confiance en soi

Musée d’art moderne de Céret. Ph. ©Grimault

Ces bénéficiaires vivent souvent isolés et “ne croient plus tout à fait en eux”, indique Yves Bertin Ngoma. Le directeur territorial délégué Aude de France Travail affirme que cette action – qu’il a mise en place – permet aux “bénéficiaires de reprendre confiance en soi. Cela rend l’art accessible alors que cela pouvait paraître à certains élitiste”, analyse celui qui, en tant qu’habitué du musée de Céret, avait compris d’emblée tout l’intérêt d’un tel partenariat : “L’art est vraiment à la portée de tous.” 

Dans cette zone du Vallespir, un demandeur d’emploi sur deux (49 %) est sans travail depuis plus d’un an. Avec des problématiques de mobilité ; eh bien, certains arrivent à retrouver un job grâce à “estime de soi” et la “confiance en soi” qui ont été regagnées. De quoi carrément “redynamiser sa vie”, rapporte Christophe Colls, de France Travail dans l’Aude, cheville ouvrière du dispositif. “Ils sortent de cet atelier rassérénés”, résume-t-il. Transformés qu’ils sont, après avoir été“presque reçus comme des VIP”, alors qu’ils n’ont, pour certains, “plus beaucoup de vie sociale”.

“Les personnes qui accèdent à des entretiens de recrutement sont plus convaincantes”

Cette approche “permet aux conseillers de France Travail de mieux accompagner les bénéficiaires dans leur parcours professionnel”, reprend Yves Bertin Ngoma, directeur France Travail dans l’Aude. “Quand ils reviennent, ce ne sont plus les mêmes : ils reviennent déjà avec une plus grande assurance. En se disant, oui, je suis capable de faire. Souvent, les trajectoires des artistes exposés à Céret font écho avec leur propre histoire. Un artiste doué, par exemple, mais qui n’a pas eu la carrière à laquelle il aurait pu prétendre parce qu’il a eu une vie difficile, décousue.”

Ça leur permet d’y voir plus clair en eux-mêmes. “Je pense en particulier à un demandeur d’emploi qui pensait avoir quatre ou cinq possibilités de recherche d’emploi ; il n’y arrivait pas. Il s’est recentré sur une seule piste et a alors trouvé assez rapidement. Les personnes qui accèdent à des entretiens de recrutement sont plus convaincantes.”

“Certains ne parlaient plus socialement depuis longtemps et ont retrouvé un emploi grâce à leur passage à Céret”

Ph. DR.

Tout commence par une rencontre entre un responsable de Pôle Emploi, Nicolas Pesquet et Peggy Merchez, responsable du service des publics, par qui ces ateliers seront plébiscités. Sur l’évidence, ils se sont retrouvés. Le projet s’appelait impression, expression. “Les demandeurs d’emploi de longue durée, c’est un public que l’on essaie d’attirer le plus possible, dit-elle. Ce sont des personnes qui cumulent parfois des maladies, des handicaps, des handicaps sociaux ; il y a beaucoup de femmes isolées.Tout le monde a été immédiatement partants ; on a eu à convaincre personne.” Peggy Merchez ajoute : “Les retours sont extrêmement positifs. L’oeuvre d’art est évidemment un prétexte à verbaliser, à prendre la parole devant un groupe. Certains ne parlaient plus avec personne depuis longtemps et ont retrouvé un emploi grâce à leur passage à Céret.”

“Extrêmement positif dans le parcours de ces demandeurs d’emplois qui intègrent ce dispositif”

Jean-Roch Dumont Saint-Priest, directeur du musée de Céret. Ph. DR.

Jean-Roch Dumont Saint Priest, directeur du musée, ajoute : “L’idée, c’est d’avoir un accompagnement de l’insertion sociale via le musée qui a obtenu plusieurs prix sur l’ouverture des personnes en recherche d’emploi. C’est l’accès à la culture pour tous pour partager des émotions, des sensations. De quoi les aider à prendre la parole, avoir confiance en soi… C’est extrêmement positif dans le parcours de ces demandeurs d’emplois qui intègrent ce dispositif.”

Le directeur du musée souligne que les bénéficiaires, qui peuvent être mis en relation ensuite avec des recruteurs, n’avaient pas, à l’origine, d’intérêt particulier pour le domaine artistique. De quoi renforcer l’une des missions du musée de Céret : “Notre public prioritaire c’est un public empêché qui n’a pas forcément les ressources financières pour venir nous voir et nous voulons casser ces barrières. Pour que tout le monde soit complètement légitime et à sa place au musée.”

Pionnier“, le musée de Céret l’a été assurément. Son initiative a fait florès : “Le Louvres-Lens a repris cette idée et assure désormais le lead sur ce sujet en France”, confie Jean-Roch Dumont Saint Priest. “C’est une action que nous voulons développer et approfondir. Plusieurs musées – pas en Occitanie – nous ont contactés, comme les 11 musées de la ville de Marseille qui sont très engagés sur ce thème.”

“Il existe même un appel à projets auquel nous allons par ailleurs participer, là aussi avec France Travail, basé aussi sur l’art”, rebondit Peggy Merchez.

Olivier SCHLAMA

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