Écoles : Les syndicats lancent une “alerte sociale” avant une possible grève

Écoliers... DR.

Pas le temps de préparer l’hommage à Samuel Paty, manque cruel de personnels, etc. Secrétaire générale du premier syndicat d’enseignants du premier degré, Guislaine David est remontée contre le ministre de l’Education nationale auquel elle demande que le protocole de continuité pédagogique élaboré par le ministère de l’Education nationale lui-même soit respecté. Elle craint que “d’ici trois semaines, on soit obligé de fermer les écoles”…

À 48 heures de la rentrée des vacances de la Toussaint, Guislaine David, secrétaire nationale du Snuipp, premier syndicat des enseignants dans les écoles, réagit au nouveau protocole annoncé par le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer. Il se résume à peu de choses : une nouvelle manière d’être en classe pour éviter “au maximum le brassage” ; en étalant arrivées et départs pour chaque classe ; en organisant des récréations organisées par groupes et une cantine laissant un mètre de distance entre chaque élève, sans oublier masques à partir de 6 ans et “désinfection renforcée”.

Le ministère a-t-il tiré des leçons du 1er confinement ?

Guislaine David. Ph. Naja Millerand.

Non, pas du tout. Si ce n’est qu’il a augmenté les inégalités scolaires… Ça, on le savait avant de fermer les écoles. Et on n’en pas tiré les leçons non plus… On n’a pas fait de bilan avec le ministère, on n’a pas fait de bilan sur le terrain… Comme il n’y a pas eu de bilan il est difficile de savoir ce qu’il faudrait faire. Dès la semaine prochaine, ça va être une catastrophe dans les écoles : il n’y aura pas assez de personnels enseignant. Il aurait fallu recruter massivement pendant les vacances d’été.

Pourquoi recruter ?

À l’instar d’autres pays européens, il aurait fallu recruter massivement lors de cette rentrée. On savait qu’il allait y avoir une deuxième vague. On savait que l’on aurait des enseignants pas en poste soit parce qu’ils sont atteints de covid ; et il y en aura d’ici décembre ; soit parce qu’ils sont personnels vulnérables et qu’il faut mettre à l’abri sinon, si on les envoie au front, ils risquent de se retrouver en réanimation et même à contribuer à les engorger. Ils ne seront donc pas dans les écoles, conformément à ce qu’a prévu le ministère.

Or, on n’a pas suffisamment de remplaçants parce que depuis un certain nombre d’années, ces postes de remplaçants sont supprimés. Quand on passe le concours, il y a ceux qui sont reçus dans la liste principale et ceux qui sont sur liste complémentaire. Nous pourrions dès à présent appeler ces futurs enseignants qui ont déjà obtenu un master en enseignement. Car notre objectif – et c’est bien le seul que l’on partage avec l’Education nationale – c’est de laisser les écoles ouvertes.

Combien d’enseignants faudrait-il ?

École à la maison. Photo : Olivier SCHLAMA

On n’a pas fait le calcul. Mais c’est de l’ordre de plusieurs milliers sans doute. Et si on veut également pouvoir dédoubler les classes, comme nous le demandons, la liste complémentaire ne sera pas suffisante. Cela rejoint une autre demande faite depuis plusieurs mois : que le ministère applique simplement son plan de continuité pédagogique qu’il a concocté cet été ! Il existe mais il est resté dans les cartons. Le virus circule très activement sur le territoire. L’idée, c’est de dédoubler les classes. Et de mettre la moitié de la classe à la maison. Ce qui permet quand même d’avoir école un jour sur deux ou deux jours sur quatre pour chaque enfant, selon les modalités locales. Du coup, on peut assurer la distanciation physique dans les classes ; on évite le brassage d’élèves à la cantine…

Il était aussi prévu des partenariats locaux avec des associations pour les activités péri-scolaires ?

On réclame en effet que les associations complémentaires de l’école publique prennent en charge les élèves pour des activités, oui. Pour cela, il fallait que dès la rentrée, que ministère et municipalités recherchent des salles, des classes, des endroits pour accueillir les élèves. Et donner les moyens aux communes d’embaucher des personnels péri-scolaires. On le demande depuis la rentrée parce qu’on savait que ce scénario du reconfinement allait arriver.

Les enseignants sont dans quel état d’esprit ?

Les collègues ne se sentent pas en sécurité à l’école ; il ne se sentent pas protégés par l’institution. Nous avions fait un sondage il y a un mois qui confirme cela. Ils n’iront pas au travail lundi de façon sereine. Ils seront angoissés. Ce protocole ne suffit pas. Cette impréparation, le problème, c’est qu’on la subit depuis le mois de mars. À chaque nouveau protocole, c’est l’impréparation alors que, bizarrement, encore une fois, en juillet ils ont préparé un plan de continuité pédagogique qui est prêt à être mis en oeuvre. On aurait pu dire la semaine dernière, ok, on l’actionne. Depuis septembre, on avait alors le temps de le faire avec les familles et les collectivités locales.

Vous considérez que c’est pareil pour l’hommage à Samuel Paty ?

Photo : Ville de Conflans-Sainte-Honorine

Rentrée à 10 heures pour donner le temps aux enseignants de s’organiser et discuter de cette séquence pédagogique puis 9 heures… Ordres, contre-ordres… On avait travaillé depuis 15 jours avec le ministère sur un protocole pour rendre hommage dignement à Samuel Paty… Les enseignants dont meurtris. Ils ont besoin d’en discuter avec les élèves. Les élèves ont besoin d’en discuter dans les classes. On avait donc ce protocole. La minute de silence, la lecture de la lettre de Jean-Jaurès. Et là, hier à 17 heures, le ministre envoie un message – alors que les enseignants avaient commencé à s’organiser – à tous les enseignants pour leur dire que ce n’est pas à 10 heures que l’on accueillera les enfants… ! La séquence pédagogique, vous ne la ferez pas lundi matin ; vous ferez juste la minute de silence à 11 heures. Et à 11 heures et 2 minutes, c’est bâclé. Les enseignants se sont pris une claque. Ça a été d’une violence…! On peut parler de mépris et de maltraitance de l’institution.

La grève est-elle envisageable ?

Pour faire grève, il aurait fallu se déclarer hier soir à minuit. Mobiliser la profession dans un temps très court, pendant les vacances, c’est difficile. Dans le second degré c’est immédiat. Nous avons déposé une alerte sociale en intersyndicale (1). On rencontrera l’entourage du ministre ; on réitèrera nos demandes à propos du protocole prévu cet été, comprenant des enseignants en plus. S’il n’y a pas de réponse positive, nous irons jusqu’à la grève. Les enseignants ne peuvent pas aller jusqu’à l’insécurité totale.

Photo : Olivier SCHLAMA

Autre chose : quand il y a un cas de covid dans une classe, il est retiré. Mais les autres élèves ne sont pas comptés comme cas contact. Ce qui permet de dire au ministre : “on ne ferme plus de classe, il n’y a plus de contamination dans les écoles”... Ce n’est pas vrai. Il y a des cas. Mais il n’y a pas forcément des tests. On demande que quand il y a un cas, on mette toute la classe à l’abri. Si on peut les tester, on les teste car ils peuvent contaminer leur famille. C’est l’enjeu : si on laisse les écoles ouvertes et qu’il y a des contaminations, on va fermer toutes les écoles. Et nous nous ne souhaitons pas fermer les écoles !

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

(1) L’intersyndicale SNUipp-FSU, SE-UNSA, SNUDI-FO, SGEN-CFDT, CGT Educ’Action, SUD Education ont donc lancé cet après-midi une alerte sociale dans les écoles “pour dénoncer la gestion de la crise sanitaire par le ministère qui dégrade les conditions de travail déjà largement détériorées. Cela conduit à une surcharge de travail et à une mise sous pression intenable pour l’ensemble des personnels épuisés et exaspérés notamment  les directrices et directeurs d’école chargés de contacter les familles et les collectivités”. Elles réclament “des mesures d’urgence pour assurer, dans ce contexte épidémique, la protection de tous et toutes, personnels comme élèves et notamment la fourniture de masques plus protecteurs et en quantité suffisante pour couvrir le temps de travail et de transport ainsi que l’équipement en purificateurs d’air.” Et également : “Cela passe aussi par la nécessité de procéder dans les plus brefs délais aux recrutements nécessaires en particulier de tous les candidats aux concours inscrits sur la liste complémentaire pour pourvoir notamment au remplacement des personnels vulnérables ou en congés maladie.”

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