L’art à l’école : Nos enfants, tous artistes !

Ces résidences d'artiste, c'est une parenthèse bénéfique, hors notation et exercices, et qui apportent un bol d'air. "Et au delà de la technique, de l'expérimentation, de la manipulation, c'est le fait même de créer et de partager, qui est au coeur de cette expérience pas si anodine que cela. Emerge "l'idée de tous les possibles", comme l'explique Frédérique Chevé, qui intervient à l'école Eugénie-Cotton, à Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

Animés par des artistes, les ateliers d’arts plastiques sont plébiscités dans les écoles. Le rectorat s’en félicite. “Ces interventions d’artistes et de plasticiens se sont fortement développées dans l’Hérault et connaît un coup d’accélérateur depuis la rentrée 2017”, note Christian Maccotta, conseiller pédagogique. Reportage à l’école Eugénie-Cotton, à Sète (Hérault) et avec Sunra, l’artiste au – gros – coeur rouge qui a la cote, en résidence à l’école Sarah-Bernard, à Montpellier.

Un enchantement. Quand Vaena, cinq ans, rentre de l’école ce jour-là, une urgence la saisit. Pas question de buller devant un dessin animé. Ou de prolonger avidement son goûter. Elle se débarrasse en un instant de son cartable et, de son bras gauche, elle pousse avec l’assurance des évidences ce qui la gêne sur la table de la salle à manger familiale. Elle demande à son papa de découper dare-dare un bon morceau de carton. Comme un appel irréfragable, elle investit, yeux dessillés, toute son “oeuvre” en cours de réalisation : regard, respiration, attention. Application. Menottes saisissants les crayons avec passion. Et du bout de ses petits doigts nait l’évocation d’une maison – grâce à des collages en reliefs – surmontée de nuages s’estompant dans un ciel bleu… Bout de langue que l’application intense laisse dépasser de sa bouche, là voilà artiste ! Une révélation. Entre technique, expression et poésie.

Comme Vaena, des centaines de milliers d’écoliers dans l’Hexagone sont associés aux ateliers d’un(e) plasticienne(e). Parfois, comme à l’école Eugénie-Cottton, à Sète (Hérault), ils ont même la chance de bénéficier des conseils avisés d’une plasticienne pendant plusieurs jours d’affilée. On appelle ça une résidence d’artiste. Ce sont des choses simples que les enfants y apprennent. C’est une parenthèse bénéfique, hors notation et exercices, et qui apporte un bol d’air. Et au delà de la technique, de l’expérimentation, de la manipulation, c’est le fait même de créer et de partager, qui est au coeur de cette expérience pas si anodine que cela. Emerge “l’idée de tous les possibles”.

“L’idée, c’est que les souvenirs restent même si les murs disparaissent…

Frédérique Chevé
Des grigris porte-bonheur secrets que Frédérique Chevé a réalisés… Photo : F.C.

La plasticienne qui intervient dans cette école, c’est Frédérique Chevé, 41 ans. Cette Bretonne installée à Lunel, agréée par la Drac, le service déconcentré du ministère de la Culture, et choisie par l’Education nationale, a un double diplôme : arts plastiques à Rennes et histoire de l’art à Lille. A travers son association, une Bobine dans la Soupe, elle a passé quatre jours dans cette école “très accueillante où je me sens bien, où l’équipe est sensible à ce que je fais”, confie Frédérique Chevé qui était déjà venue l’an passé. Et où elle sait capter l’intérêt des enfants. Le résultat est bluffant : elle a réalisé elle-même une série d’assemblage dans des boîtes évoquant les souvenirs d’une famille dans leur maison. Que les enfants pourront ensuite reproduire ou s’en inspirer. “L’idée, c’est que les souvenirs restent même si les murs disparaissent après un déménagement ou une destruction par exemple. Et comment une maison joue son rôle d’abri, de cocon, d’enveloppe, garde en elle les mémoires individuelles et collectives de ses habitants.”

A l’opposé du tout-écran

Vaena et son oeuvre “urgente”. Photo : Olivier SCHLAMA

“Etre ainsi en résidence demande une énergie folle, confie-t-elle. Mais j’adore bosser avec des jeunes enfants. Le partage est au coeur de chacune de mes missions. Il faut dépasser le travail technique… Je donne beaucoup de choses. Il ne faut pas être fausse sinon ça ne fonctionne pas.” Une résidence qui a un coût (300 euros la journée) supporté, dans ce cas précis, par l’argent de la coopérative scolaire de l’école alimenté par les versements volontaires des parents. La directrice de l’école Eugénie-Cotton, Mathilde Lahoz, espère décrocher des aides.

 

“L’échec n’existe pas dans cette démarche : l’enfant imagine et fabrique. Point. Il n’y a pas d’exigence de résultats, pas de notes.”

Ces interventions où l’on malaxe la matière, parfois simplement récupérée, coud, peint, assemble, où l’on imagine des formes, c’est l’opposé du tout-écran. Les interactions sont multiples. Le grand écart qui n’est pas pour déplaire à Frédérique Chevé. “D’abord, le résultat est immédiat pour les enfants qui profitent donc de cette auto-satisfaction et d’un regard très positif sur leur propre personne. C’est la magie de la création“, analyse la plasticienne. Ensuite, “l’échec n’existe pas dans cette démarche : l’enfant imagine et fabrique. Point. Il n’y a pas d’exigence de résultats, pas de notes.”

Frédérique Chevé a réalisé elle-même une série d’assemblage dans des boîtes évoquant les souvenirs d’une famille dans leur maison. Que les enfants pourront ensuite reproduire ou s’en inspirer. Photo : F.C.

Tout ce que je fais n’est pas seulement esthétique. Il faut que ça ait du sens, que cela raconte une histoire.”

Sunra

Sunra est l’un des artistes de street-art qui monte dans la région. Très esthétiques, philosophiques, ses pochoirs interpellent. Derrière la signature, campe Ghassen Mtimet. L’artiste est né en Tunisie et a fait ses études à Montpellier, dont on croise le coeur rouge dupliqué à l’infini, fanal-symbole d’un humanisme qui cherche à faire comprendre la ville, un peu partout, notamment à Montpellier et à Sète. Animé des meilleurs sentiments, il s’est pourtant fait remarquer, à son corps défendant, lors du festival K-Live en 2017, à Sète, lorsque sa fresque murale du foyer des jeunes travailleurs a été en partie repeinte : une partie du voisinage ne supportait pas l’étalement de son rouge puissant. “Cela pose la question de l’art en milieu urbain ; comment fait-on pour satisfaire tout le monde ? “, philosophe Sunra.

En résidence à l’école Florian de Montpellier

L’artiste, qui s’inspire de l’une des stars de street art, le britannique Banksy, était en résidence à l’école Florian à Montpellier l’an dernier. Il double son expérience cette année à l’école Sarah-Bernard toujours au Clapas. “J’utilise beaucoup la technique du pochoir, dit-il. Les enfants regardent mon travail et le reproduisent en classe. Ce que ça leur apporte ? Une ouverture sur le monde. Jouer avec l’architecture et le mobilier urbain.” Une façon d’observer qui transmet aussi aux parents et à la famille “un message. Tout ce que je fais n’est pas seulement esthétique. Il faut que ça ait du sens, que cela raconte une histoire.” C’est pour cela qu’il y a souvent une phrase ou une citation en exergue de mes oeuvres, décrypte Sunra.

Montpellier réunit 11 des 25 artistes en résidence des écoles de l’Hérault

Sunra à l’oeuvre dans les rues de Montpellier. Photo : Maria Algara Regas.

Ces interventions d’artistes et de plasticiens se sont fortement développées dans l’Hérault et connaîssent un coup d’accélérateur depuis la rentrée 2017″, explique Christian Maccotta, conseiller pédagogique chargé de mission arts et culture humaniste à la DSDEN (l’inspection académique). “Actuellement, on compte 11 artistes en résidence à Montpellier (soit 40 h par résidence pour un coût de 2 000 euros, avec financement tripartite Ville-DRAC-DSDEN, mais majoritairement ville) et 14 sur le département hors-Montpellier (20 heures en moyenne par projet, pour un coût de 1 000 euros chacun, selon les apports financiers locaux). D’autres résidences peuvent exister, mais sur financement local, sans apport DSDEN (direction des services départementaux de l’éducation nationale) ou DRAC, si ce n’est celui des personnels. Et d’autres dispositifs d’action culturelle sont aussi à l’oeuvre dans les écoles (interventions plus ponctuelles ou dispositifs territoriaux soutenus par la DSDEN).

“Ces interventions existaient surtout dans les collèges et les lycées et nous avons décidé de les étendre aux écoles.” Et puis, dans l’Hérault il y a “un vivier non négligeable d’artistes, ce qui nous permet de répondre à la demande et d’avoir du choix”, ajoute-t-il. Tout compris, l’enveloppe globale annuelle pour le département atteint les 56 000 euros. A Montpellier, une résidence c’est 40 heures à 50 euros de l’heure, ce qui représente donc une enveloppe annuelle de 22 000 euros, dont le financement est abondé par d’autres ressources que l’Education nationale. Pour les 14 opérations hors Montpellier, qui sont des résidences moins importantes, coûtant entre 800 euros et 1 200 euros chacune soit 14 000 euros. Avec, parfois, des aides de collectivités au coup par coup.” Sans oublier des initiatives hors dispositif, comme l’école Eugénie-Cotton de Sète, où ce sont les parents qui paient la plasticienne via la coopérative.

On essaie de faire émerger l’essence de l’art qui fait irruption et bouscule l’utilisation de l’espace. Une porte va devenir tout autre chose que ce pourquoi elle est utilisée, idem pour un mur qui va devenir par exemple un panneau… On détourne les choses…

Sunra et ses coeurs-fanal d’humanisme. Photo : DR.

“Ces résidences sont désormais bien établies en primaires ou maternelle, reprend Christian Maccotta. L’idée c’est d’installer l’atelier de l’artiste au coeur de l’école pour qu’il ait son espace, son temps et des moyens matériels suffisants in situ. Il y a plusieurs formules d’intervention. Au-delà de la transmission des techniques, c’est une démarche. Il y a un dérangement des repères habituels, on n’obéit pas aux mêmes contraintes, les personnels non enseignants peuvent être associés au projet… On essaie de faire émerger l’essence de l’art qui fait irruption et bouscule l’utilisation de l’espace. Une porte va devenir tout autre chose que ce pourquoi elle est utilisée, idem pour un mur qui va devenir par exemple un panneau… On détourne les choses…”, souligne Christian Maccotta.

Le conseiller pédagogique précise que les établissements scolaires du quartier sensible du Petit-Bard, à Montpellier, font l’objet d’une attention toute particulière et d’une enveloppe financière à part dans le cadre de la politique de la ville. “Au collège Simone-Veil, on a lancé des interventions d’ampleur autour du théâtre, explicite Christian Maccota. Auparavant, certaines classes du quartier y avaient été sensibilisées.” A l’école Louis-Armstrong, dans le même quartier, les enfants de 10 ans de CM2 montent ainsi sur scène deux heures par semaine ! “Pourquoi y a-t-on mis le paquet ? C’est un secteur où la maîtrise de la langue peut être un problème et où il peut y avoir des problèmes de comportements.” Le théâtre, comme mise à distance salutaire.

L’enfant oublie tout. Il y a un vrai engouement pour les arts plastiques dans les écoles ;  on n’est pas dans une certaine sur-consommation d’ateliers dans les centres aérés, par exemple

Frédérique Chevé, plasticienne

“Parfois, reprend Frédérique Chevé, la plasticienne de Lunel qui intervient à Sète, ce travail d’art plastique fait remonter chez l’enfant des émotions personnelles, un souvenir familial fort qui peut être très lourd. Eh bien, on s’en saisit. C’est toujours surprenant mais on travaille avec cette donnée”. C’est ainsi que l’un des bambins ayant évoqué son grand-père mort, le défunt a pris toute sa symbolique place dans l’oeuvre du petit-fils, dans la fameuse évocation de la “maison”. “Dans cette activité, l’enfant oublie tout. Il y a un vrai engouement pour les arts plastiques dans les écoles ;  on n’est pas dans une certaine sur-consommation d’ateliers dans les centres aérés, par exemple”, confie encore Frédérique Chevé. Sauf son âme d’artiste.

Olivier SCHLAMA