Visa pour l’Image à Perpignan : “Tous photoreporters…”

Dominique Quet, qui expose ses 34 ans de photojournalisme à la Gazette café, à Montpellier. Pour lui, Visa pour l'image, à Perpignan, temple de la profession ,est un paradoxe vivant : il y a de plus en plus de festivals de photos mais de moins en moins de photoreporters... Photo Dominique QUET.

Chaque année, à Perpignan (P.-O.), le festival international Visa pour l’image, sélectionne les meilleures productions de photojournalistes du monde entier, visibles gratuitement. Quelque 300 000 visiteurs se pressent, pour cette 29e édition, jusqu’au 17 septembre dans l’un des 25 lieux d’exposition. Pour Dominique Quet, qui expose ses 34 ans de photojournalisme à la Gazette café (1), ce temple de la profession est un paradoxe vivant : il y a de plus en plus de festivals de photos mais de moins en moins de photoreporters. Explications.

Daniel Berehulak (New York Times) nous fait plonger dans la guerre contre la drogue aux Philippines ; Michaël Nichols (National Geographic) nous touche, lui, avec ses paysages et ses créatures pami les plus sauvages ; Angela Ponce Romero, elle, nous tire par la manche avec ses photos figeant l’émotion indicible dans le Pérou des années 1980-1990 lors du conflit du Sentier Lumineux (Parti communiste) et le gouvernement, faisant des dizaines de milliers de morts… Que dire du travail de Lu Guang ? Dans la périphérie de la ville chinoise Huolin Gol, les émanations toxiques des usines empêchent toute herbe de pousser, faisant disparaître les moutons, remplacés par des sculptures morbides, éternellement figées… Tous ces photoreporters sont des artistes reconnus.

Le directeur de Visa pour l’image aux jeunes photoreporters : “Pas besoin de couvrir des conflits pour se faire connaître.”

“L’américain Mike Powell, deuxième au saut en longueur dans le stade de Montjuic aux Jeux Olympiques de Barcelone. Ce mois de juillet 1992 restera l’évènement sportif le plus marquant de ma carrière. Plus de vingt jours au cœur d’une actualité planétaire, parmi 777 photographes accrédités…” Photo Dominique QUET.

Mais il y a l’envers du décor de Visa pour l’image :Ne partez pas sur des zones de guerre, vous n’avez pas besoin de couvrir des conflits pour vous faire connaître.” Directeur de Visa, Jean-François disperse ces instants d’éternité et d’humanité, avertissant les jeunes qui prennent des risques inconsidérés en partant sur les théâtres de guerre “sans commande d’un media ni assurance…” Sans parler du barème minimum pour la pige salariée, adopté par décret en mai 2017, qui va plonger davantage encore la profession dans la précarité : 60 euros les cinq heures de travail…” “C’est une blague…” maugrée Jean-François Leroy.

Les photos de Visa pour l’image sont toutes à couper le souffle. Mais, une fois les oeuvres descendues des cimaises, le soufflet retombe et la profession de photojournaliste continue de s’éteindre à petit feu.

Dominique Quet : “Il y a de plus en plus de festivals de photos, mais de moins en moins de photographes…”

Simple, discret et professionnel, Dominique Quet, 34 ans de photojournalisme en bandoulière, renchérit : “Visa, c’est le rendez-vous incontournable des photoreporters. Le problème, c’est qu’il y a de plus en plus de festivals, plus ou moins prestigieux, mais de moins en moins de photoreporters. Les rédactions en envoient de moins en moins sur les grands reportages.” Trop cher. Pas assez rentable. Même le prix de la photo publiée a chuté.

“Certes, la plupart des médias ont du mal à rentabiliser l’investissement ; certes, il y a la crise de la presse, mais la bonne photo est toujours très appréciée. Et puis si on en met de moins en moins forcément ce sera une raison de plus pour que les gens n’achètent plus le journal. Plus on propose des choses plus on intéresse.” Et le monde, de plus en plus complexe, nécessite un décryptage. La photo de presse y a toute sa place. “C’est une écriture qui complète l’écrit”, définit Dominique Quet. Autre argument du professionnel :  “Avec une technique très avancée embarquée dans les appareils photos et de plus en plus dans de simples smartphones, on a fait croire à tout-un-chacun qu’il est capable de produire des photos professionnelles. C’est faux. Tout le monde se prétend photoreporter. Or, derrière l’outil et la technique, il y a des individus. Un pro apporte son regard, sa connaissance du sujet et du terrain, fait un choix, trouve un angle, un endroit, un instant bien précis… Certains arrivent même à s’imprégner de ce qui se passe autour d’eux.” Des éponges qui arrivent parfois à retranscrire une atmosphère en une seule image. “C’est comme au resto : il y a le fait maison et ceux qui font tinter le four à micro-ondes…”

“Durrés, Tirana et, ici, kukës. Dix jours en Albanie en avril 1999. Dix jours aux portes d’un Kosovo en guerre. Dix jours à la rencontre d’un peuple qui fuit la peur. Dix jours qui me marqueront à jamais.” Photo : Dominique QUET.

La photo, c’est aussi une rencontre avec soi-même : “J’ai fait l’école des Gobelins. C’est, certes, de la photo mais plutôt à visée publicitaire ou industrielle. C’est par le hasard d’un remplacement de photographe que je suis entré à Midi Libre. J’ai pris goût au reportage. A rencontrer des gens totalement différents, des politiques, commerçants, artistes, etc. J’ai eu une grande activité locale et régionale mais, chaque année, j’étais envoyé sur un sujet fort. Le Kosovo à deux reprises, dans des camps de réfugiés, c’est le sujet qui m’a le plus marqué. Toi, tu y viens pour dix à quinze jours. Tu as ton ticket retour dans la poche. Eux, ils sont là pour toujours… C’est dur.”

Et d’ajouter : “J’ai vécu toute l’évolution des techniques ; le négatif noir et blanc, la diapo, le numérique.” Aux JO de Barcelone, il est fier de faire partie des seuls 777 accrédités. Fier aussi même si cela paraît inconcevable aujourd’hui “de devoir sélectionner un minimum de photos à envoyer au journal. La seule technique existante, c’était la téléphoto via un appareil qui s’appelait le Belin : il fallait 22 minutes minimum – quand ça passait bien!  – pour transmettre parce procédé téléphonique une image en couleurs…” L’avenir de la profession ? Il n’a qu’un seul mot : “Sombre” mais l’avenir de la photographie “radieux”.

Olivier SCHLAMA

  • (1) Dominique Quet expose à la Gazette Café au 6, rue Levat, à Montpellier, où une quarantaine de clichés de sa riche carrière sont à voir jusqu’au 30 septembre. Les vendredis matins du 15 et 22 septembre “Parlons photos, rencontre avec le photoreporter à partir de 10 h 30.
  • J”‘ai toujours aimé les œuvres de Salvator Dali et le personnage me fascinait. Malheureusement je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer et la seule fois où je l’ai approché c’était le 25 janvier 1989 dans son cercueil.” Photo : Dominique QUET.