Culture : Nîmes veut faire vivre ses monuments antiques au présent

Les arènes de Nîmes. photo : Pierre Terdjam

Le nouveau délégataire, Edeis, veut mettre beaucoup de vie, d’humain et une “dynamique” dans ses propositions d’animation des monuments romains de la capitale du Gard et les faire connaître au plus grand nombre. Une mise en valeur difficile tant ces monuments millénaires sont intégrés au tissu urbain et à la vie quotidienne des Nîmois qui n’en sont pas, à leur corps défendant, les meilleurs ambassadeurs. Directrice du développement culturel, l’ex-productrice, notamment de TV Isabelle Roche détaille le projet dans Dis-Leur !

Nîmes a une particularité rare : c’est une antiquité au présent. Totalement intégrés, ses monuments antiques sont là depuis toujours ; les Nîmois, naissent, circulent, vivent à leurs pieds ; ils les ont continûment sous les yeux ; cela fait partie de leur culture au point qu’ils n’éprouvent pas forcément le besoin de (se) prouver que ce sont des monuments remarquablement bien conservés. Un aveuglement primal qui n’en fait pas les meilleurs ambassadeurs de leur territoire chargé d’une si belle histoire. Frédéric Pastor est adjoint chargé de la tauromachie et des festivités.

“Les Nîmois ont tellement intégré ces monuments à leur vie qu’ils ne les voient plus comme des sites exceptionnels…”

Frédéric Pastor, maire-adjoint

Il confirme cette vision : “Les Nîmois se sont tellement accaparé ces monuments, ils les ont tellement intégrés à leur vie de tous les jours, qu’ils ne les voient plus vraiment comme des sites exceptionnels – c’est vrai aussi pour le foot et la tauromachie – et qu’en effet ils n’en sont pas forcément les meilleurs ambassadeurs…” C’est aussi pour s’ouvrir davantage vers l’extérieur que la ville de Nîmes, qui espère le label Unesco pour sa Maison Carrée, a fait appel à une société, Edeis, un oeil neuf, pour gérer ses monuments exceptionnels et les faire connaître au plus grand nombre. Ancienne élue (dans la majorité de gauche sous Clary, dans l’opposition sous Fournier), Catherine Bernié-Boissard note en effet “une impuissance des municipalités de gauche comme de droite à mettre ces monuments en valeur…”

La maire de Rome confond le Colisée et les arènes…

La tour Magne, à Nîmes. photo : Pierre Terdjam

Nîmes, la petite Rome. Jamais la capitale du Gard n’aura mérité son surnom.  Entre sarcasmes et embarras, tout le monde se souvient de l’énorme bourde de la maire de Rome qui, croyant faire la promotion de son Colisée, avait publié une vidéo des Arènes de Nîmes en avril dernier…! L’erreur, grossière, que ne ferait pas un enfant du primaire, pourrait apparaître, demain, comme une flatterie bienvenue aux yeux des Nîmois, en sachant que, selon la légende, le monument nîmois est inspiré de son cousin romain.

Edeis gère aussi l’aéroport de Nîmes

C’est une piste à explorer en terme de communication que ne renierait sans doute pas le tout nouveau concessionnaire des monuments antiques de Nîmes, Edeis, donc qui prend la succession de Culturespaces. Edeis gère aussi l’aéroport de Nîmes-Garons (avec lequel il y aura forcément des synergies), a réalisé en 2019 un chiffre d’affaires consolidé de plus de 52 M€, employant, en 2020, plus de 543 collaborateurs dont 90 personnels d’encadrement. “Une filiale est dédiée à la gestion de chaque site.” Nîmes aura 21 personnes sur place.

Un nouveau venu dans le monde de la culture

Edeis est un groupe français de “gestion de concessions liées au transport, tourisme et développement économique gère actuellement vingt-deux concessions soit dix-neuf aéroports, deux ports et deux trains touristiques, explique la délibération du conseil municipal. Près de trois  millions de personnes sont accueillies chaque année par ces concessions”. Mais Edeis est néophyte dans le monde de la culture : “Depuis un an, Edeis a opéré un virage stratégique en plaçant l’offre culturelle au cœur de ses concessions dans une logique de promotion territoriale et de rayonnement territorial.

Exit la société Culturespaces

Les arènes de Nîmes. Photo : Dominique Marck, ville de Nîmes.

Couvertes, découvertes… Les Arènes de Nîmes ont été le théâtre de nombreuses expériences et expériences, plus ou moins réussies. Chaque décennie, ce monument de l’Antiquité marque son temps en écho avec la Maison Carrée, candidate à l’Unesco, et la Tour Magne. Et le nouveau musée de la Romanité. Depuis deux mois, la municipalité de Nîmes a donc changé d’architecte culturel pour ses monuments emblématiques à portée mondiale : le développement des Arènes, la Maison Carrée et la Tour Magne sont désormais les monuments romains gérés par la société Edeis en lieu et place d’un précédent acteur privé, Culturespaces, filiale du groupe Engie, qui les gérait pour la ville depuis 2006.

Fréquentation promise de 784 000 visiteurs par an

En échange de cette délégation de service public, la ville reçoit 250 000 € de redevance annuelle de la société Edeis qui promet un investissement de 1,8 M€ pour améliorer la scénographie et la fréquentation de ces lieux historiques en améliorer leur “visibilité” dans des plans com, valoriser la notoriété de ces monuments exceptionnels… La société s’engage à “une fréquentation moyenne globale (monuments et spectacles) de 784 000 personnes par an, générant un chiffre d’affaires total en 3 ans de 18 M€”. Son équilibre économique est bien entendu lié à cet objectif puisque sa rémunération ne dépend que de ses recettes, et non de subventions.

C’est quoi le travail d’une productrice de TV ? C’est quelqu’un qui réunit les meilleurs partenaires pour faire la meilleure émission, le meilleur spectacle possible. C’est ce que l’on a fait pour Nîmes…”

Isabelle Roche, directrice du développement culturel

Comme disent les Québécois, on est tombés en amour devant ces monuments nîmois”, confie Isabelle Roche. Qui est la vraie caution du projet : avant d’être directrice du développement culturel d’Edeis, elle a produit événements et spectacles de TV, notamment entre autres au sein de grands groupes comme Endemol ou Kabo. “Souvent, on m’attaque là dessus mais c’est quoi le travail d’une productrice, notamment de TV ? C’est quelqu’un qui réunit les meilleurs partenaires pour faire la meilleure émission, le meilleur spectacle possible. C’est ce que l’on a fait pour Nîmes. On va chercher des acteurs locaux, on réalise nos projets avec des participants extérieurs et pas seulement entre nous. La force de notre projet, c’est d’aller voir les meilleurs dans leur catégorie. Pour faire le plus de visiteurs possible.”

“Comment respecter l’histoire et sa force pour les mettre en valeur. Compliqué”

Isabelle Roche, Edeis, Nîmes. DR.

Elle aussi concède la difficulté du pari de faire vivre ces monuments antiques au présent. ” J’étais venue il y a quelques années à Nîmes, dit-elle, cette ville était moins lumineuse qu’aujourd’hui. C’est en effet difficile de mettre en valeur des monuments qui appartiennent à l’histoire avec le poids historique qui est le leu et intégrés à cette ville. Elles font corps. On se dit en effet comment respecter l’histoire et sa force pour les mettre en valeur. Compliqué.”

Pour cela, Edeis veut renouveler les parcours de visite (réservations ICI). Et va “essayer de raconter d’autres histoires. Notre prédécesseur était là depuis longtemps. Notre mandat est vraiment basé sur les faits historiques. La véracité et la transmission, cela pourrait limiter notre action mais cela est très inspirant dans le mode de narration”.

Bruno solo et la légende de la Tour Magne

À la Tour Magne, première nouveauté, on y est accompagnés depuis le 3 novembre part la voix du comédien Bruno Solo – qui vient de sortir un livre d’histoire – à travers un audio-guide en accès gratuit qui évoque en sept langues la légende de François Traucat qui a longtemps cherché un trésor dont le “fantôme va donc parler aux visiteurs (1). On ne peut y entrer que 15 personnes maximum à la fois. “Il fallait trouver un moyen ludique quand on monte les marches. Une façon de compléter l’offre qui existait déjà de panneaux et de tables multimédias.”

Raconter toute l’histoire de la Maison Carrée

Maison Carrée, à Nîmes. Photo : Stéphane Ramillon, ville de Nîmes.

Candidate à l’Unesco, la Maison Carré fait l’objet d’un traitement encore plus minutieux. Déjà, quel que soit le concessionnaire, elle devait être fermée pour des travaux de réhabilitation. Isabelle Roche explique : “L’enjeu c’est quelle nouvelle proposition ? Nous sommes partis sur une nouvelle installation muséale ; la dépose de la salle de cinéma a été faite. On va raconter toute l’histoire de la maison carrée, à travers des documents, des expériences numériques, des projections, des installations très modernes respectant le bâti… Tout est fait en accord avec le comité Unesco et le comité scientifique, nous avons un partenariat avec le musée de la Romanité pour être complémentaire et cohérent.”

Quant au plus gros morceau, les arènes – dont un grand événement avait été organisé avec le couturier Christian Lacroix et qui avaient été un temps couvertes, opérations menées par le futur président d’Edeis, “un amoureux de la région et de Nîmes” – on est sur l’exploitation au quotidien et tout ce qui a trait avec la romanité. “Nous avons la concession des arènes, hors tauromachie et concerts. Nous n’avons mandat que pour les événements romains. On nous a dit : “Vous pouvez faire tout ce que vous voulez dès lors que c’est lié à la romanité et quand il y a une véracité historique.” Sans oublier bien entendu les deux spectacles événementiels d’une semaine romaine dont le point d’orgue : Hadrien la Guerre des Pictes (voir supra), spectacle de reconstitution.

Nouveau spectacle basé sur les nouvelles technologies

Et l’été, “nous allons donner six représentations d’un nouveau spectacle très basé sur les nouvelles technologies, des murs de fumée, un travail de sons et de lumières atypique…” Exit donc les Grands jeux romains (le nom appartient à l’ancien concessionnaire), bienvenue à l’Empereur Hadrien, la Guerre des Pictes, nouveau titre-phare d’un spectacle inédit au printemps et à l’été 2022 dans les arènes de Nîmes. Un changement historique.

“Travailler en maillage avec la ville de Nîmes”

Isabelle Roche ajoute que “notre vraie volonté c’est de travailler en maillage avec la ville de Nîmes, en étroite collaboration avec le musée des cultures taurines, par exemple, pour l’alcôve des taureaux. Nous restons liés à la tauromachie mais on réhabilite le taureau dans l’histoire romaine jusqu’à la tauromachie pour que les gens comprennent pourquoi il y a une tête de taureau dans les arènes et pourquoi la tauromachie y est légitime. On essaie aussi d’avoir des prisme différents : par exemple, le visioguide on va le supprimer car avec la luminosité, beaucoup de visiteurs se plaignaient de ne pas voir les images à cause d’une trop forte lumière.”

Quand une journaliste interviewe un gladiateur…

“À la place, comme je parcours la France en visitant beaucoup de lieux, on s’est inspiré de ce qui existe déjà : on va mettre en place un audio-pen. On va fournir une carte des arènes redessinée avec un parcours, le visiteur pourra pointer ce stylo un peu spécial et ils auront un commentaire. Celui-ci ne sera pas classique ; il a été écrit par un auteur et interprété par une jeune femme comédienne jouant le rôle d’une journaliste d’aujourd’hui, sportive, dynamique, qui va interviewer un gladiateur, lui aussi comédien.” Isabelle Roche confie également qu’il y aura des retraites aux flambeaux, de nuit, donc. “Les visites théâtralisées seront un peu différentes d’autrefois. Avec un vrai guide qui va rencontrer sur son parcours des interprètes ou des comédiens qui vont illustrer ses propos par du jeu.”

Les premiers chiffres de fréquentation sont bons

Les arènes de Nîmes, vues du ciel… Photo © Ville de NIMES

Pour Edeis, également en concurrence avec la société Culturespaces, gérer le théâtre antique d’Orange, déjà classé lui à l’Unesco, l’enjeu n’est pas mince. Nîmes est une bonne base pour aller conquérir d’autres villes. Et si l’on en croit les tout premiers chiffres de fréquentation, ça marche ! On retrouve sensiblement les chiffres de 2019 à Nîmes alors que les ventes en ligne ne sont pas encore ouvertes ; elles ne le seront que dans quelques jours”, signale Isabelle Roche (2).

“Quelle sera la contribution réelle et possible des acteurs culturels dans les choix décisionnels ?”

Seules quelques voix “citoyennes” dissonent. Emmenés par la géographe et ancienne élue, Catherine Bernié-Boissard, un groupe de citoyens publient une lettre mensuelle aux Nîmois. Dans la dernière de Controverse(s), ils évoquent leurs griefs : “Edeis affirme qu’elle veut fédérer tous les acteurs de la culture, les associations, le monde économique et les acteurs touristiques. Mais quelle sera la contribution réelle et possible des acteurs culturels dans les choix décisionnels ? Elle se retrouve en situation de monopole sur le territoire de l’agglomération, avec l’aéroport et les monuments romains. C’est un choix politique et idéologique”, renouvelé depuis 2006.

“Il manque une vision globale du génie latin qui se retrouve à la fois dans les monuments, la littérature, l’histoire, la vie quotidienne”

Le Pont du Gard… Photo ©CRTL Occitanie

“Les élus n’ont même pas imaginé valoriser le patrimoine en créant un service dédié bénéficiant de financements publics et/ou privés sous contrôle de la collectivité, comme cela existe au Pont-du-Gard. Au-delà des intentions, quels sont les liens avec la politique culturelle et touristique locale ? Nulle part il n’est fait mention de coopération avec le patrimoine antique d’Arles ou de Narbonne. L’expérience de l’échec d’une première candidature au patrimoine mondial de l’Unesco avec Culturespaces va-t-elle être rééditée pour la Maison carrée avec Edeis ?”

Et de conclure : “Il manque au projet Edeis une vision globale du génie latin qui se retrouve à la fois dans les monuments, la littérature, l’histoire, la vie quotidienne. Ne pourrait-on pas imaginer un cheminement culturel valorisant l’ensemble, s’appuyant à la fois sur la sensibilisation des nouvelles générations et la mémoire collective des habitants ?”

Olivier SCHLAMA

  • (1) En 1601, François Traucat, jardinier nîmois (qui inaugura en France la culture du mûrier pour les vers à soie), obtient du roi Henri IV l’autorisation de fouiller la tour, convaincu par l’une des prédictions de Nostradamus qu’il y découvrirait un trésor gaulois. C’est à cette occasion que la tour a été vidée.
  • (2) Selon Edeis, “rien qu’en comptant la vente au guichet, sans compter les ventes depuis le site, on est est déjà aux chiffres de 2019, d’avant pandémie”. Arènes : novembre et décembre 2021 : 2019 : 18 096 pax et 2021 : 17 582 pax. Tour Magne : novembre et décembre : 2019 : 7 091 pax et 2021 : 7 031 pax. Avec : 85 % de fréquentation française, 15 % d’étrangers sur novembre-décembre 2021 avec 65 % de fréquentation française, 35 % d’étrangers en 2019.

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