Cultura Viva : Comment la région impulse une reconquête de l’occitan et du catalan

Une large concertation de mai au 30 septembre, des propositions et un plan ambitieux de 4 M€ soumis au vote en décembre : dans une interview à Dis-Leur !, Benjamin Assié en explique l’architecture. Elle se base sur trois enjeux majeurs : davantage de visibilité ; davantage de pratique en multipliant les occasions d’usage, lors de pratiques culturelles, sportives ; et lever les blocages liés à “la méconnaissance” des langues du territoire.

L’Audois Benjamin Assié, 42 ans, élu régional, est à la tête d’une délégation élaborant un plan baptisé Cultura Viva. Et qui n’a rien d’un gadget. En moins d’un an, de mai à décembre 2022, c’est l’avenir de nos langues régionales, occitan et catalan, qui va en partie se jouer. Sous la houlette de ce spécialiste, une vaste concertation s’est tenue jusqu’au 30 septembre dernier. Une réussite : 2 600 personnes ont participé à l’enquête sur le Plan Cultura viva, mobilisons-nous pour l’avenir de nos langues occitane et catalane, et à faire part de propositions pour favoriser la transmission et l’usage du catalan et de l’occitan dans la société.

Occitan et catalan font partie de l’identité du territoire

Autre enseignement, près de 60 % d’entre eux associent l’occitan et le catalan à leur propre identité et près de 70 % à leur territoire. Et, pour près de 80 % des répondants, ces langues affirment la diversité culturelle de notre région. “La transmission d’une culture, le respect des différences et l’esprit d’ouverture sont les principales valeurs que vous associez aux langues et cultures occitane et catalane”, souligne la Région Occitanie.

Enfin, 80 % d’entre-eux souhaiteraient voir ou entendre, prioritairement, de l’occitan ou du catalan dans les établissements scolaires, lors d’événements culturels et festifs (54  %), et sur les panneaux routiers ou signalétiques (50 %).

Pouvez-vous définir ce qu’est le plan Cultura Viva ?

L’Occitanie est parmi les régions les plus volontaristes sur les langues des territoires. Dès le début du mandat, la présidente, Carole Delga, a souhaité que l’on repense un peu les choses. En se disant : au final, on met beaucoup de moyens, c’est une politique à laquelle on tient ; à laquelle les habitants tiennent mais est-ce que l’on met en oeuvre les bonnes solutions ? Car, au fil des ans, la courbe du nombre de locuteurs de ces langues continue de baisser, même si c’est moins rapide qu’avant. Or, notre ambition c’est que catalan et occitan soient justement partagées le plus largement.

C’est quand même avant tout l’État qui ne met pas assez de moyens… ?

En partie, évidemment…

Aujourd’hui, tout le monde se félicite d’une ouverture d’une classe avec option occitan, au collège Victor Hugo, à Sète, comme si c’était exceptionnel…

Oui, tout à fait. Le plan que nous menons, c’est aussi de voir où sont les blocages et de les lever. Nous cherchons des solutions et sortons du jeu du chat et de la souris avec l’État. Avec une volonté politique de ne plus jouer en défense sur ce genre de sujet. Pour cela, il faut des propositions concrètes et une vision très claire. Très vite, on en est arrivé à la conclusion suivante : l’avenir d’une langue, ça ne se joue pas uniquement qu’avec la volonté politique. Surtout dans un pays où l’État porte peu ces enjeux-là. S’il n’y a pas une mobilisation plus large des habitants pour pratiquer ces langues, on va arroser le désert.

Nous avons entre les mains quatre enquêtes différentes sur le sujet. Sur des territoires différents. Sur des échantillons différents. Les quatre disent la même chose : quand on leur pose la question, les habitants d’Occitanie se disent massivement très attachés à nos langues régionales et nos politiques publiques, avec des taux records, le plus faible étant 75 % et jusqu’à 90 % dans certains territoires.

D’où cette vaste concertation que vous avez organisée…?

Oui. Pour surtout mobiliser davantage pour prendre en main cette question de rendre visible, de pratiquer, promouvoir l’usage des deux langues, nous avons utilisé l’outil de la concertation participative {avec 3 350 participants et 3 372 contributions, Ndlr). J’ai aussi, personnellement, conduit des concertations dans les territoires, notamment dans chaque département avec l’appui des Maisons de la Région et on a rencontré physiquement 600 personnes.

Avec une vraie bonne surprise, c’est que les élus locaux se montrent très mobilisés. Ils nous disent qu’il y a une volonté de faire mais le sentiment de ne pas savoir quoi faire. Et qu’il y a un besoin d’accompagnement de la Région auprès des collectivités. On aura, parmi les propositions, des actions partenariales avec les différentes collectivités. À l’échelle de nos académies, pour cette rentrée, c’est quand même 55 000 enfants, du primaire au lycée, qui sont en apprentissage de l’occitan et du catalan. Même si on a aussi perdu 5 000 lycéens occitanistes sur l’académie de Toulouse en trois rien que par les effets induits de la réforme Blanquer.

Nous constatons que beaucoup d’enfants parlent déjà nos langues du territoire. L’enjeu, dans ces communes-là, c’est d’identifier ce qui se passe en dehors de l’école : est-ce que les enfants retrouvent cette langue dans la vie de tous les jours ? Y a-t-il des activités avec l’occitan ? Il y a tout un travail à faire pour faire sortir occitan et catalan de l’école pour de meilleurs apprentissages et partages.

Pour que ces langues cimentent notre nouvelle région ?

Tout à fait. Sur les 2 600 contributions en ligne, il y avait une question ouverte : Qu’est-ce que perdrait notre région si l’occitan et le catalan ne se parlaient plus ? Eh bien, sur les 2 600 réponses, 2 400 ou 2 500 fois a été répondu : “Son identité”. C’est l’âme de la région, même si l’occitan est devenu minoritaire : entre 7 % et 10 % de la population la parlent ; ce qui est moins vrai pour le catalan. C’est consubstentiel à notre région. À ses valeurs, son histoire, ses traditions. À ce qu’elle fait de commun.

On le retrouve aussi dans l’intérêt qu’ont les nouveaux arrivants pour cette question. D’ailleurs, le taux d’adhésion ne varie pas que l’on soit natif d’Occitanie ou que l’on vienne de s’y installer. Les deux populations y sont très attachées. Je suis enseignant bilingue en collège. Les enfants de ma classe sont originaires d’un peu partout : Angleterre, Nord de la France… Pour les gens, les langues régionales, c’est aussi une façon de s’inclure dans un collectif. Et on est dans une société qui manque cruellement de ça.

Quelle sera la teneur du plan Cultura Viva ?

Il y a eu des propositions très intéressantes tous azimuts répertoriées par thématiques sur notre site web, d’une part {à consulter ICI} C’était pour faire émerger des idées. Et cela va beaucoup nourrir des pistes où la Région Occitanie ne serait pas allée ; c’était moins nos savoir-faire. Les concertations sur le territoire et avec les filières professionnelles, spectacle vivant, médias, etc., nous ont permis de construire aussi un certain nombre de propositions, parfois très techniques, qui va toucher à tout : à la signalétique, à l’enseignement, la culture, aux transports.

On a, d’ailleurs, lancé, par expérimentation, les signalisations sonores trilingues dans les trains régionaux ; c’est le cas pour la ligne Cerbère-Toulouse, avec dans l’idée de généraliser cette mesure. On croit beaucoup au travail avec les radios associatives régionales, catalanes, occitanes et généralistes. De la même façon, on avait voté un voeu pour que le service public audio-visuel donne davantage de temps d’antenne à l’occitan et au catalan.

Vous avez déjà une architecture du plan Cultura Viva ?

C’est un travail qui a commencé dès le début de l’année 2022, avec beaucoup de rencontres. Le premier enjeu, c’est que les langues du territoire soient beaucoup plus audibles et visibles. Et ce, dans la vie quotidienne. Si on ne les voit jamais et que l’on ne les entend jamais dans l’espace public quotidien, ça ne peut pas se transmettre. Il faut les assumer comme des langues vivantes faisant partie de l’identité du territoire.

Le second enjeu, c’est davantage de pratique. On a des milliers de gens qui savent parler occitan ou catalan mais qui n’ont pas l’occasion de le faire. Donc la langue reste enfouie et non pratiquée. Il faut multiplier les occasions d’usage, lors de pratiques culturelles, sportives… Ne serait-ce que d’avoir mené cette concertation, y compris avec tous les membres de la majorité, eux-mêmes se sont mis à reparler, à dire quelques mots d’occitan ou de catalan. Ils comprennent que c’est important. On a aussi écrit, pour les sensibiliser, à quelque 4 500 maires de la région, élus d’intercommunalités et départementaux. Eh bien, on note une large adhésion de leur part. Eux-mêmes sont d’accord pour promouvoir nos langues.

C’est une attitude très courante dans les Pyrénées-Orientales, par exemple. Les élus locaux catalans, c’est normal de commencer un discours officiel ou de le clore avec au moins un passage en catalan. C’est moins le cas en occitan. Il faut y travailler. Par ailleurs, il faut que ces langues se pratiquent ; c’est la question de l’usage. Je connais des maires dans la Haute Vallée de l’Aude qui parlaient jadis l’occitan couramment et qui ne le parlaient plus depuis 20 ans. Dommage !

Devant l’Hôtel de Région, à Montpellier… Les drapeaux occitan et catalan flottent… Photo Ph.-M.

Troisième grand enjeu que nous avons identifié : les blocages de l’administration ou de la part d’un interlocuteur sur un projet vis-à-vis de nos langues de territoire viennent de la méconnaissance. Il y a un énorme enjeu de formation professionnelle (il y a une forte demande), de diffusion dans la culture générale. On ne connaît pas assez ce que sont nos langues, ce que sont nos cultures occitane et catalane. Plus il y aura de connaissance, mieux ça ira.

Ces trois enjeux articuleront ce plan Cultura Viva ?

C’est cela. Nous disposerons grosso modo de 4 M€, c’est un engagement fort. Et puis il y a pas mal de choses de positives que l’on peut faire pour la promotion de nos langues et qui ne coûtent pas grand chose. Faire des annonces dans les trains régionaux en -occitan et catalan, les transports scolaires, c’est énorme en terme de visibilité mais cela ne coûte presque rien. Des actions comme celle-là, on peut en trouver beaucoup. Ce n’est pas un plan qui se cantonne à la culture. Il est élaboré avec l’ensemble des compétences et services de la région Occitanie où tout le monde se demande comment on intègre cette dimension linguistique.

Olivier SCHLAMA