Initiative : Deux Héraultais créent un réseau social pour aider les pilotes dans la crise

Les compagnies recrutent en direct ; mais il y a peut-être 100 000 pilotes sans travail. Pour une annonce, il y a des milliers de candidats..."dit Jonathan Prieur, pilote de ligne et cofondateur d'Avionlinx. Ph. DR.

Créée par deux pilotes, Aviationlinx est une plate-forme dont la vocation est d’aider les personnels navigants jusqu’à retrouver un cockpit. Elle n’en est qu’à ses balbutiements mais elle peut répondre à un réel besoin : 100 000 pilotes ont été brutalement débarqués en 2020 à cause de la pandémie qui a déjà coûté 120 milliards de dollars au transport aérien.

Depuis un an, pour piloter leur vie professionnelle, les pilotes de ligne ont été contraints de laisser tomber le pilotage automatique de leur carrière. Déshabitués soudainement de cette vie toute tracée, par la force des choses, ils tentent depuis de tenir fermement le manche de leur vie, jadis prestigieuse pour tous, comme Dis-Leur vous l’a expliqué. C’est le cas de Jonathan Prieur, 44 ans.

Ce natif d’Aix-en-Provence, qui a grandi à Montpellier, est un globe-trotter. Il vit en Lettonie – sa femme est Lettone – et vient de décrocher, depuis Bruxelles, un CDD de quatre mois auprès de la compagnie de charters Tui “en acceptant de diviser mon salaire par trois, à 3 500 € mensuels. Ce qui est peu vu les responsabilités à assumer et les heures de simulateur, entre autres, qu’il faut payer et qui sont assez chères pour pouvoir rester au niveau…”

“Je me sens rouillé et même quand je revole à raison de cinq à six vols par mois, je fais attention. Tout le monde est rouillé…”

Jonathan Prieur, pilote

Heureusement que ce pilote chevronné a l’habitude de voyager et que son réseau professionnel est important : frappé de plein fouet par la crise sanitaire qui a cloué l’aviation mondiale au sol pendant des mois entiers, ce commandant de bord a dû gérer dans l’urgence une carrière qui aurait pu aller au crash.

Alors même qu’il cumule déjà plus de 10 000 heures de vol, “je me sens rouillé et même quand je revole à raison de cinq à six vols par mois, je fais attention. Les automatismes ne sont pas les mêmes. Tout le monde est rouillé : le personnel au sol est rouillé parce qu’il n’a pas travaillé pendant un an ; les gens de la tour de contrôle sont, eux aussi, rouillés parce qu’ils n’ont plus ni la même intensité ni le même volume de travail. Ni le même stress. C’est toute l’industrie aérienne qui marche au ralenti. Mais on est responsable. Je dis à mon copilote de me surveiller davantage.”

Embauché puis remercié…

Jonathan précise : “J’étais pilote sur Boeing pour l’une des compagnies qui a le plus souffert de cette crise, Norwegian, et qui a réussi à survivre au prix de coupes drastiques. Passant de 150 avions à 50 qui volent encore et de 2 800 à 400 pilotes encore dans la boîte. Il faut multiplier par quatre l’hécatombe pour les personnels de cabine. Je pilotais des Boeing 737 moyens courriers depuis Malaga en Espagne, principalement pour l’Europe du Nord, la Scandinavie notamment.” Jusqu’à ce que la crise oblige les compagnies à licencier massivement.

Ph. O.SC.

Juste avant la crise Johnathan Prieur, lui, avait démissionné de Norwegian et ambitionné, juste avant le début de la crise, d’aller bosser chez Qatar Airways. Patatras : son contrat, pourtant signé, ne sera pas honoré… Cet entre-deux lui a été fatal : il n’a même pas eu le temps d’entrer dans le cockpit qu’on le remercia… Il se retrouva donc dangereusement sans boulot. Comme des milliers d’autres. 2020 ayant été une année catastrophique pour le trafic aérien.

J’espère en faire un site pour trouver du travail ; créer un CV en ligne et pourquoi pas permettre aux recruteurs d’y avoir accès…”

D’où l’idée de créer un site, une plate-forme destinée à mettre en relation compagnies et pilotes frappés de plein fouet par la crise. Et de “faciliter la mise en contact de pilotes qui ne travaillent plus ; qui ont besoin d’un binôme pour aller sur simulateur ; qui ont besoin de se retrouver pour discuter car le plus souvent les pilotes travaillent à un endroit et vivent dans un autre, etc. Et qu’à la base, ils ne sont pas très proches, pas très solidaires. Il y a des disparités géographiques, culturelles…”

Même en Polynésie, la crise frappe. Ph. O.SC.

Jonathan Prieur ajoute : “Cette idée a germé il y a un an environ. Nous l’avons lancée avec un ami, Nicolas Martin, webmaster de profession, habitant Béziers, et que je connais depuis nos 17 ans. Et aussi un troisième associé, un pilote comme moi, remercié brutalement par Qatar Airways… La plate-forme s’appelle AviationLinx. “J’espère en faire un site pour trouver du travail ; créer un CV en ligne et pourquoi pas permettre aux recruteurs d’y avoir accès.”

Postuler depuis le site à l’avenir

Les compagnies ne reçoivent-elle pas directement des milliers de CV ? “C’est justement là le problème, réagit Jonathan Prieur. Les compagnies recrutent en direct ; mais il y a peut-être 100 000 pilotes sans travail. Pour une annonce, il y a des milliers de candidats. C’est un travail de titan pour sélectionner même s’il y a des agences de recrutement qui filtrent mais elles n’ont pas forcément accès à tous ces jobs et à chaque fois que l’on s’adresse à ce genre d’intermédiaire il faut remplir un nouveau dossier… Ce site peut devenir un point central d’échanges.”

On pourrait également “à l’avenir postuler directement depuis le site”. Restera aussi à animer le site. “Certains ont même dû changer de métier. J’ai un copain qui n’a pas pu revoler et a trouvé un travail dans une boîte de sécurité où il vend des systèmes d’alarme. Beaucoup de pilotes ont pris une retraite anticipée…”

…Des contrats en auto entrepreneurs et autres inventions bafouant le droits du travail en plus d’évasion fiscale…

Pierre-André Dornès, syndicaliste dans l’aérien

Pierre-André Dornès, commandant de bord chez Norwegian, est l’un des représentants syndical du Sepla en Espagne. Il dit : “Le concept parait bon, il faudra voir à la pratique. Notre profession est malheureusement gangrenée par des pratiques de recrutements plus que discutables. Avec des contrats en auto entrepreneurs et autres inventions bafouant le droits du travail en plus d’évasion fiscale.”

Le syndicaliste ajoute : “Toute initiative visant à aider les pilotes dans ces moments difficiles et compliqués sera la bienvenue pour notre profession. Pour l’instant, beaucoup de compagnies baissent les conditions de travaille et c’est bien malheureux.
En ce moment il y a une effervescence à créer des plate-formes d’entraide pour pilotes certaines sont bien attentionnées, d’autre moins. Mais il est certain que les passagers veulent voyager et que le marché reviendra. L’aviation marche comme une succession de vagues et maintenant à cause du covid l’offre a baissé dans des proportions jamais expérimentées dans le passé. Je souhaite pleins de courage à Jonathan prieur et salut son initiative.”

Olivier SCHLAMA

Aéronautique, etc.