Conservatoire du Littoral : “L’enjeu, c’est l’adaptation au changement climatique”

Agnès Langevine, nouvelle présidente du Conservatoire du Littoral lors de l'inauguration du Refuge Sainte-Lucie, dans l'Aude. Photo : Olivier SCHLAMA

En bientôt un demi-siècle d’existence, l’établissement public, outil anti-béton à l’origine, devenu opérateur “de projets de territoires”, est à la croisée des chemins : pour assurer ses missions, il a besoin de davantage de moyens, plaide sa nouvelle présidente nationale, Agnès Langevine, par ailleurs vice-présidente de la Région Occitanie.

Vice-présidente écologiste de la Région Occitanie, Agnès Langevine a été élue présidente du Conservatoire national du Littoral il y a cinq mois, avec une prise de fonction en janvier dernier. “C’est un mandat de trois ans dont je suis fière, dit-elle. C’est l’un des plus beaux établissements publics, créé en 1975, de part ses missions de protection du littoral, doté d’un outil puissant d’acquisition foncière et dont la vocation est de préserver le bien commun. Quand il s’agissait d’acquérir des hectares d’un site, c’était au départ pour le soustraire à la spéculation foncière et le reverser au domaine public.”

On a tous une histoire avec le littoral ; moi, c’était un cabanon, un casot comme on dit en catalan, familial…”

Site du Méjean. Photo : Conservatoire du Littoral.

Agnès Langevine a été élue“à l’unanimité” par les personnalités amenés à voter : les présidents de conseils de rivage ; des parlementaires, représentants d’au moins une douzaine de ministères… “J’avais aussi, dans cette candidature, un attachement très personnel au Conservatoire. On a tous une histoire avec le littoral ; moi, c’était un cabanon, un casot comme on dit en catalan, familial, où l’on y passait des vacances, au Bourdigou, un lieu très populaire un peu anar’, près de Torreilles (Pyrénées-Orientales), aujourd’hui propriété… du Conservatoire. Il y a des choses comme celle-là très affectives liées à l’enfance Et dans l’histoire du Conservatoire, il y a souvent à l’origine des combats écolos. Au Bourdigou, comme un peu plus loin à Paulilles.

“Un plaidoyer pour doter cet organisme des moyens à la hauteur des enjeux de ses missions”

C’est aussi pour cette écolo “une continuité avec mon mandat régional et mes engagements, comme le conseil de rivage méditerranéen que je présidais”. Ses objectifs ? Le Conservatoire “bénéficie d’une très belle image”, avec ses sites emblématiques mis magnifiquement en valeur. “Ce que je veux porter, c’est un plaidoyer pour doter cet organisme des moyens à la hauteur des enjeux de ses missions.”

Davantage de moyens pour le Conservatoire

Marais du Narbonnais, Réserve naturelle Sainte Lucie. Photo : Conservatoire du Littoral.

Cet établissement, garant de la protection du littoral, dispose d’un petit budget (50 M€) et veille sur quelque 240 000 hectares protégés sur le littoral français : cela représente environ 12 % du linéaire côtier national. En Occitanie, on en est à 14 000 hectares. Ce qui représente 25 %, un quart du linéaire côtier et lagunaire. “Au regard de nos objectifs – acquérir un tiers du littoral marin de l’Hexagone et ultramarin – au gré des opportunités et savoir repérer ces lieux, savoir mobiliser des financements, il nous faut davantage de personnes, de “super” chargés de mission. Il nous faut aussi continuer mobiliser des partenariats très très locaux avec des plans de gestion, des projets de valorisation, comme la réserve et le refuge Sainte-Lucie, dans l’Aude, dont Dis-Leur vous a parlés ICI.

De l’outil anti-béton au partenariat avec les maires

Site du Lido de l’Or dans l’Hérault. Photo : Conservatoire du Littoral.

À l’origine, cet établissement était considéré comme un outil anti-béton. Aujourd’hui, il s’inscrit davantage dans la co-construction avec les maires qui savent y faire appel et bénéficier de beaux projets qui mettent en valeur leur commune. Ceux-ci deviennent un argument, y compris touristique, parfois. “Le Conservatoire, ce sont 180 salariés. Nous venons d’obtenir huit équivalents temps plein supplémentaires pour 2023 pour nos effectifs. Il nous en faudrait au moins trois fois plus. Nous sommes en négociation avec Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique. Le Conservatoire est devenu un acteur de l’aménagement du territoire et de projets de territoires ; on le voit bien, avec ces valorisations touristiques avec l’enjeu de régularisation de flux.”

Le conservatoire peut aussi être partie prenante de projets de renaturation, de recréation de mares, d’espaces entre mer et étangs… “Nous pouvons aussi participer à des expérimentations pour s’adapter au changement climatique avec une gestion souple du trait de côte, dit-elle C’est un outil d’adaptation au changement climatique. Nous allons travailler avec les collectivités sur le recul stratégique ; l’érosion…”

Gestion souple du trait de côte

Phare de l’Espiguette. Photo : Fred Larrey/Conservatoire du littoral

Vias, Frontignan… De nombreuses communes sont justement dans l’impasse face à l’érosion et la montée des eaux. “Le Conservatoire est lauréat d’un Life, d’un projet européen qui s’appelle Adapto, pour une gestion souple du trait de côte car, aujourd’hui, on ne construit plus de digues ou de points durs mais on s’adapte. Ce sont des solutions fondées sur la nature. Il va y avoir un Adapto 2, une suite, pour éprouver, mieux connaître les dynamiques de gestions souples du trait de côte pour mieux s’adapter au changement climatique. En appliquant des méthodes robustes scientifiquement. Il faut que nous “montions” en retours d’expérience et en connaissances. Le rôle de notre conseil scientifique est très important pour se fixer une doctrine d’intervention. L’adaptation au changement climatique est un enjeu très important qui croise aussi la question de la biodiversité. Et la gestion qualitative de l’eau.”

Dans le Midi, le Conservatoire a plusieurs projets. “Nous continuons à travailler sur le site du Grand Castelou dans le PNR de la Narbonaise ; nous avons des enjeux forts de biodiversité, de gestion des zones humides en Camargue face à l’adaptation au changement climatique. Sur les pratiques, la riziculture aussi… Nous allons continuer à travailler sur les Petit et Grand-Travers ; sur tous les cordons dunaires, notamment de l’Hérault.”

Une soixantaine de sites protégés en Occitanie

Phare de Cap Béar, à Port-Vendres, à quelques encablures de l’Espagne. Photo : Fred Larrey/Conservatoire du littoral

Il y a au total une soixantaine de sites que le Conservatoire protège (1). Et une quarantaine qui sont vraiment actifs qui ont un gestionnaire, un plan de gestion, des moyens dédiés. Il y a, entre autres, le Domaine du Grand Castelou, à Narbonne, dont le parc est gestionnaire. Ce sera un équipement-repère où l’ambition est d’accueillir tous les publics, scolaires, handicapés, touristes, et locaux pour les sensibiliser au patrimoine  culturel et naturel. En lien avec le musée de la romanité, Narbovia, car sur ce site nous avons retrouvé des vestiges d’un fameux port romain. Il s’y trouve un chantier de charpenterie marine d’insertion qui va reconstruire un bateau romain… Ce sera un musée vivant prévu pour cette année.

Travailler en vue d’une “contagion” du voisinage

Chapelle des Auzils – La Clappe. Photo : Conservatoire du Littoral.

Certains peuvent avoir l’impression que cette action quotidienne qui a limité le bétonnage sur un quart du littoral languedocien – comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI – peut dédouaner certaines atteintes en dehors de ces sites protégés ? “On contribue effectivement à une stratégie de création d’aires protégées. On s’aperçoit, quand on va en Paca, par exemple, qu’il y a de sites enclavés. L’idée, c’est “d’interroger” le voisinage qui n’est pas protégé, lui. C’est très important. La question des accès, par exemple, en se demandant quel est le site protégé que je vais traverser. On l’a vu à Sainte-Lucie, à Port-la-Nouvelle, près d’un site industrialo-portuaire. Cela nous permet aussi, soit parce qu’il faut traverser des sites protégés propriétés du Conservatoire pour atteindre une zone, soit parce qu’on est consultés au titre de l’intégration paysagère de nous montrer et de “travailler” en vue d’une contagion”.

“Les élus ont intégré l’action du Conservatoire du Littoral”

Un effet vertueux par la force de l’exemple. “On a des élus tellement contents que l’image de leur plage ou d’un site ait changé parce qu’on a enlevé un parking, par exemple, qui viennent nous demander d’acquérir ou de gérer une zone contiguë. Je pense plus particulièrement à Banyuls, à Port-Vendres. Entre le phare du Cap Béar, la baie de Paulilles, Cerbère… Les élus du territoire ont intégré l’action du Conservatoire du Littoral. Pour le sentier du littoral, par exemple, ils veulent maintenant faire la jonction entre Cap Béar et Paulilles. Notre action fait tâche d’huile.”

À chaque gestion de projet doivent être associés l’histoire du lieu, un récit : cela peut être des combats écolos ; une histoire riche…”

Agnès Langevine. Ph. O.SC.

Prône-t-elle la régulation des flux touristiques en certains lieux hyper-fréquentés, comme aux Calanques de Marseille ? “Plus il y a de monde, plus les sites sont fréquentés, y compris par des populations qui n’ont pas été forcément sensibilisées à la nidification ; qui n’ont pas l’habitude de randonner. Il faut donc des moyens de sensibilisation pour commencer. Il existe des régulations dans les parcours”, comme à la réserve de Sainte-Lucie où les gros tas de bois morts sont posés de sorte que les touristes sont amenés à ne pas trop sortir du chemin balisé.

“Il faut aussi que l’on puisse à la fois, et c’est l’un des marqueurs du Conservatoire, que ces lieux exceptionnels puissent continuer à être visités et ce, gratuitement. C’est toute la difficulté. C’est pour cela que nous travaillons beaucoup avec des paysagistes et des architectes spécialisés : parce que à chaque gestion de projet doivent être associés l’histoire du lieu, un récit : cela peut être des combats écolos ; une histoire riche : sur les côtes normandes, il y a tout ce mémoriel liée à la Seconde Guerre mondiale ; à Calais, l’ancien camp, etc. Derrière chaque site il y a une histoire forte, des acteurs… C’est un cheminement, comme lorsque l’on a inauguré le Refuge Sainte-Lucie, à VTT, pour mieux s’immerger.”

Sensibiliser et réguler les flux

Plage de Sainte-Lucie (Aude). Photo : Conservatoire du Littoral.

Elle précise : “Ce cheminement jusqu’au site doit permettre de sensibiliser et de réguler les flux. On le fait beaucoup avec les aires des stationnement que l’on éloigne pour cheminer, par exemple. Il y a bien sûr d’autres méthodes comme aux Calanques de Marseille que l’on ne peut visiter que sur réservation et suivant un quota ou de réduire les horaires d’ouverture ou encore quand l’accès est payant, mais là nous ne sommes plus dans la vocation du Conservatoire.” Elle ajoute : “Nous allons devoir répondre à une grande question, y compris pour le modèle de Refuge Sainte-Lucie, c’est celle du risque incendie. À cause de la sécheresse, des lieux seront sans doute fermé pour réguler ce risque.”

Et puis, commence à émerger une conscience collective. “Non seulement certains touristes ne dégradent pas le milieu ; non seulement ils sont sensibilisés mais que lui-même puisse participer à la regénération du site. C’est ce que l’on appelle le tourisme régénératif, ce qui se fait beaucoup au Népal, par exemple.”

Olivier SCHLAMA

Les sites emblématiques d’Occitanie

La géographie :

1- Côte rocheuse des Albères
2- Plaine et littoral roussillonnais
3- Complexe lagunaire de Salses-Leucate
4- Complexe lagunaire du Narbonnais
5- Massif de la Clape
6- Basse plaine de l’Aude
7- Littoral biterrois
8- Bassin de Thau
9- Etangs palavasiens
10- Etang de l’Or
11- Camargue gardoise

À lire également sur Dis-Leur !

Le Littoral face à ses défis : “Le Golfe du Lion peut servir de vitrine aux régions riveraines de la Méditerranée”

Bilan de la mission d’inspection : “Seules 7 paillotes sur 81 respectent la loi littoral…”

Conservatoire du littoral a 45 ans : “Sur nos côtes, on a limité le bétonnage”