Conservatoire du littoral a 45 ans : “Sur nos côtes, on a limité le bétonnage”

Phare de Cap Béar, à Port-Vendres, à quelques encablures de l'Espagne. Photo : Fred Larrey/Conservatoire du littoral

Bonne nouvelle ! Les réalisations, enjeux et projets de protection de sites sur le littoral languedocien ne manquent pas, comme l’explique Claudine Loste, directrice-adjointe du Conservatoire.

Quel bilan tirez-vous de l’action du Conservatoire du littoral depuis sa création, en 1975 ?

Au niveau national, on en est à 240 000 hectares protégés. Cela représente environ 12 % du linéaire côtier national. En Occitanie, on en est à 14 000 hectares. Ce qui représente 25 %, un quart du linéaire côtier et lagunaire. Notre action va jusqu’aux territoires rétro-littoraux puisqu’on s’occupe de berges et de lagunes, jusqu’à quelques kilomètres du rivage méditerranéen. Notre plan stratégique qui va jusqu’en 2050 avec des objectifs chiffrés d’acquisition foncière, un périmètre d’intervention qui est cartographié et où nous avons l’intention d’intervenir. Notre mission est de protéger le patrimoine naturel et culturel du littoral et de le donner à voir au public. La plus clair du temps, nos sites sont ouverts au public, sauf exception. Ces fenêtres littorales, nous les multiplions au fil des ans.

C’est extrêmement satisfaisant. Quand on dit que l’on protège 25 % du linéaire, c’est significatif. Il y a des territoires où c’est vraiment visible.”

Claudine Loste, directrice-adjointe du Conservatoire du littoral

C’est un bon bilan face à une pression immobilière et démographique très fortes ?

Phare de l’Espiguette. Photo : Fred Larrey/Conservatoire du littoral

Oui, c’est extrêmement satisfaisant. Quand on dit que l’on protège 25 % du linéaire, c’est significatif. Il y a des territoires où c’est vraiment visible. On pourrait parler des Aresquiers, par exemple. Il y a de grandes fenêtres littorales comme cela qui sont entièrement naturelles, entièrement accessibles à tous, certes à pied ou à vélo. On a vraiment un littoral qui conserve sa naturalité. Et son aspect sauvage sur beaucoup d’endroits. Il y a aussi des plages urbaines. Il en faut pour tous les publics. Et tous les goûts.

Quels sont vos sites emblématiques ?

On peut parler de la baie de Paulilles à Port-Vendres (P.-O.). C’est un site que nous avons acquis dans les années 1990. Il est emblématique et très original : c’est un ancien site industriel investi par Alfred Nobel, où l’on fabriquait de la dynamite. Le site a été mis en valeur avec le soutien du conseil départemental, de l’Europe, de la Région Occitanie… Pour nous, c’est un site phare où l’on a un accueil du public exemplaire. Il y a au total soixante sites que nous protégeons dans la région (1). Et une quarantaine qui sont vraiment actifs qui ont un gestionnaire, un plan de gestion, des moyens dédiés. Il y en a une vingtaine où l’on n’a pas suffisamment de terrain : on continue notre action foncière pour mieux organiser tout cela.

Phare de Cap Béar, réserve Sainte-Lucie…

À côté de Paulilles, y a-t-il des projets ?

Dunes de la plage rendue naturelle à Sainte-Lucie, qui atteint parfois trois mètres de haut ! Conséquence de l’interdiction des voitures… Photo : Emmanuella Meloni/Conservatoire du littoral.

Oui, il y a le phare de Bear. On s’est fait affecter le phare par l’État. Du coup, avec celui de l’Espiguette, on a hérité des deux phares, l’un à chaque bout de la région. Sur ces deux phares nous avons des programmes de restauration des Monuments historiques. On va les restaurer mais aussi les espaces naturels attenants. A Cap Béar, à Port-Vendres, par exemple, il y a eu beaucoup de dégradation sur la pointe dues aux randonneurs.

Nous allons réaménager le sentier du littoral en protégeant les milieux sensibles, restaurer les bâtiments (le phare dispose d’un escalier de 110 marches en marbre rose de Villefranche encadré de blocs de granit gris ; l’intérieur étant carrelé d’opaline bleue du plus bel effet, NDLR), etc. Il y aura des visites encadrées à partir de la fin de 2022. Il  y aura une halte entre Paulilles et Port-Vendres, à mi-chemin et où l’on pourra s’asseoir, boire un coup…

Il y a aussi la réserve régionale de Sainte-Lucie ?

Nous sommes dans un partenariat étroit avec la région Occitanie. On est en train de restaurer le domaine. Nous avons inauguré la première tranche en 2019. À l’issue de la deuxième tranche, on ouvrira un refuge du littoral. Comme un refuge de montagne mais dans un très beau domaine agricole. On va accueillir les gens pour une nuit ou deux dans cet espace naturel protégé. Y manger. Ils y viendront à pied ou à vélo. C’est pour la fin 2022. On est sur toute une série de projets emblématiques – cinq ou six – qui sont dans le programme Féder actuel (un fonds européen).

Domaine du Grand Castelou, à Narbonne

Barques, à Canet. Photo : Emmanuella Meloni/Conservatoire du littoral.

On peut aussi parler du Domaine du Grand Castelou dans le Grand Narbonnais, sur la commune de Narbonne. Là, il y a un énorme programme de maison de la Narbonnaise et maison du parc régional de la Narbonnaise. Le parc est gestionnaire de tous nos sites sur ce territoire. Ce sera un équipement-repère où l’ambition est d’accueillir tous les publics, scolaires, handicapés, touristes, et locaux pour les sensibiliser au patrimoine  culturel et naturel. Nous travaillons en lien avec le musée de la romanité, Narbovia, car sur notre site nous avons retrouvé des vestiges d’un fameux port romain. Nous y avons un chantier de charpenterie marine d’insertion qui va reconstruire un bateau romain… Ce sera un musée vivant prévu pour 2023.

Quels autres projets avez-vous sur le littoral ?

Si on remonte encore, on trouve le site des Orpellières, à l’embouchure de l’Orb. Là nous y faisons un réalisation originale : une maison de la nature qui accueille les oeuvres d’un artiste monténégrin, Dado. C’est un peu le même niveau de travail et de célébrité de César, en France. C’est un plasticien qui a énormément travaillé sur la guerre. Ce n’est pas très gai, certes, mais c’est une oeuvre à conserver. Nous travaillons d’ailleurs avec la Drac. Il s’est installé pendant des années sur cet ancien domaine agricole. Le maire de Sérignan, féru d’art contemporain, l’a fait venir sur ce site. Pendant dix ans, Dado a élaboré une oeuvre. Construit des installations ; couverts des murs de tags, etc. Tout sur le thème de la guerre. Nous ouvrirons ce domaine au public et de faire une maison nature-culture en mélangeant les publics, celui du musée touristes des campings…  C’est en plein travaux.

Salin de Frontignan, évocation des stations de pompage

Etang de Vendres, basse plaine de l’Aude. Photo : Fred Larrey.Conservatoire du littoral

Il y a aussi Gruissan. Dans la Clape, il y a la chapelle des Auzils, site culturel très visité. C’est un magnifique belvédère sur la mer. Il fallait l’aménager avec aire de stationnement, sentier… quasiment terminés. On y restaure le patrimoine cénotaphe, également. On s’est aussi occupé des salins de Frontignan, gérés par l’Agglopôle de Sète : on a démoli une partie des bâtiments, en ruines ; restaurer ceux qui étaient restaurables. Il faudra voir quels projets peuvent y être réalisés. Il faudra y donner à voir le patrimoine salinier. Et d’offrir au public des évocations de stations de pompage, etc. Il y a un belvédère pour observer les oiseaux. On va aussi requalifier tout le parcours, le sentier et les entrées. En tenant compte de la liaison avec le Bois des Aresquiers.

Au Bois des Aresquiers, on en a profité pour déconstruire tous les vestiges de l’ancien camping, inesthétiques et parfois dangereux. On restaure aussi la maison du littoral. Dans la même veine, tout le lido des Aresquiers a été renaturé, c’est-à-dire que l’on y a fait disparaître toute trace de constructions, y compris celles bourrées d’amiante ; ôter la ligne électrique ; restaurer le milieu dunaire et arrière-dunaire. Tout est rendu à la nature et on a retrouvé pleinement les caractéristiques d’un site classé. On travaille aussi à redonner la dynamique naturelle du littoral avec, en arrière-plan, la volonté de ralentir  la montée des eaux et l’érosion.

Y a-t-il aussi des aménagements envisagés plus modestes comme des mares d’un hectare ou deux…?

Tout fait. Dans notre stratégie, on a repéré tous les enjeux. Parfois, typiquement, les mares temporaires. C’est très important. Cela peut être des sites avec des oiseaux, des enjeux de reconstruction dunaire, de dynamique naturelle. Des enjeux de coupure d’urbanisation, de reconquêtes paysagères dans des zones cabanisées ; d’accueil de gestion : il nous manque une mare, eh bien il faut qu’on l’achète… Après on fait du démarchage, de la préemption, de l’amiable – essentiellement – et très rarement de l’expropriation.

Etang de Vendres. Photo : Fred Larrey/Conservatoire du littoral

De la même façon, Listel nous a vendu une parcelle en 2015 tous les espaces naturels et une quarantaine d’hectares de vignes qui sont sur le lido de Sète-Marseillan, côté étang de Thau. Il y a aussi un bois classé. Eux ont gardé celles côté mer. Nous avons un projet de requalifier l’accueil du public, aménager le sentier, les entrées, côté salins de Villeroy. Sur le coeur du site, nous ne souhaitons pas y amener du public. Il y a beaucoup d’enjeux naturalistes.

Au niveau national, le Conservatoire dispose d’un budget modeste, de 50 M€. Est-ce bien suffisant ?

Ces 50 M€ qui nous viennent essentiellement de la taxe de francisation des bateaux de plaisance, par Chirac. Cela représente 36 M€-37 M€ par an et ensuite nous avons des subventions des collectivités, de l’Europe… Nous n’avons pas de budget dédié en Occitanie mais nous “tirons” sur ces 50 M€ en fonction de l’opportunité des projets. Une année, nous allons faire une grosse acquisition foncière qui va nous coûter deux à trois millions d’euros. mais cela fait dix ans qu’on la prépare. Et puis sur les grands projets, ils sont portés par nos gestionnaires dans lesquels nous finançons à hauteur de seulement 10 % à 20 %. Il y a toujours dans le tour de table de l’Europe, de la Région, les départements, etc. Nous avons des partenariats très construits avec les collectivités. On fait un travail “d’assemblier”.

Etang du Méjean à Lattes. Photo : Fred Larrey. Conservatoire du littoral

On co-construit avec les collectivités et on va aller chercher les subventions. Pour l’acquisition, c’est essentiellement notre budget mais avec une aide appuyée de l’Agence de l’eau lorsqu’il s’agit de zones humides. Nous sommes une petite équipe de neuf personnes. Nous sommes relayés dans notre action par les gestionnaires de sites. Nous en avons une quarantaine. Historiquement, c’étaient les communes. Aujourd’hui, ce sont les Métropoles de Montpellier, les agglos de Sète, Agde, Béziers, Perpignan… Même si certaines communes comme Narbonne ou le Grau-du-Roi restent nos gestionnaires de sites.

Des établissements publics comme l’ONF participent aussi parfois à la gestion. De grosses associations comme le Conservatoire d’espaces naturels qu’on associe très souvent à nos projets. Il y a aussi de grosses associations comme le Conservatoire d’espaces naturels qu’on associe très souvent à nos projets. Toutes ces structures recrutent des gardes du littoral ou on des conservateurs de sites qui sont nos bras et nos yeux sur le terrain.

Trouvez-vous que la côte languedocienne a limité le bétonnage ?

Le site de Notre Dame de l’Agenouillade, 4 ha gérés par l’agglo d’Agde. Une mare magnifique d’un hectare. Ph. Renaud Dupuy de la Grandrive.

Totalement. Ce qui est intéressant, c’est de regarder les ambitions de l’État dans la mission Racine qui a présidé à la création des stations balnéaires – La Grande-Motte, Port-Leucate, Port-Barcarès…– sur notre littoral il y a 50 ans qui restent un aménagement raisonné. À l’époque on faisait les cartes à la main, de grandes cartes que l’on peut consulter aux archives départementales. Entre ces stations, de “grosses patates” avaient dessinées à la main. Pour ces gens de la Datar, mettent de façon marquée : “coupures naturelles”. C’est saisissant. Eh bien presque toutes ces coupures naturelles ont été acquises par le Conservatoire du littoral. Il y a une constance d’une vision de l’État. On a acheté tout ce que l’on pouvait. Ce qui est très original pour l’époque. Ce n’est pas le cas sur la Côte d’Azur…

Notre but, ce n’est pas d’acheter et empêcher les communes de réaliser leur développement (…) Par contre, si on voit qu’une zone naturelle pourrait être urbanisée, on va se dépêcher d’intervenir. Pour que ce soit sanctuarisé”

L’Iris d’Espagne qui ne pousse que sur un seul site dans la Région : la Grande Maïre à Portiragnes. Photo : Renaud Dupuy de la Grandrive.

On n’intervient pas sur la définition des Plu (Plans locaux d’urbanisme) ; on peut donner notre avis mais nous ne faisons pas les Plu. À chaque fois qu’une zone est déclarée constructible, nous on n’y va plus. Notre but, ce n’est pas d’acheter et empêcher les communes de réaliser leur développement. Nous n’intervenons qu’en zone naturelle. Par contre si on voit qu’une zone naturelle pourrait être urbanisée, on va se dépêcher d’intervenir. Pour que ce soit sanctuarisé. Mais c’est assez rare.

On n’a pas pu récupérer, par exemple, le triangle de Villeroy, à Sète, désormais complètement bâti, mais on a eu des aménagements compensatoires : la gestion des Salins. On a le droit de préemption dans le foncier. Sur certains sites, les choses peuvent mettre 30 ans à bouger mais parfois il suffit d’attendre. Les gens ont besoin vraiment de nature de se reconnecter avec les espaces naturels, de retrouver de la quiétude. Trouver du sens. Pour nous, l’accès à la mer, est presque un droit constitutionnel.

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

Les sites emblématiques :
La géographie : 

1- Côte rocheuse des Albères
2- Plaine et littoral roussillonnais
3- Complexe lagunaire de Salses-Leucate
4- Complexe lagunaire du Narbonnais
5- Massif de la Clape
6- Basse plaine de l’Aude
7- Littoral biterrois
8- Bassin de Thau
9- Etangs palavasiens
10- Etang de l’Or
11- Camargue gardoise

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