Complotisme, “spiritualité”… : Toujours plus de sectes et de signalements

Le dernier rapport de la Miviludes fait état de plus de 4 000 signalements en 2021. Face à l’une des conséquences de la crise sanitaire, le gouvernement prévoit des Assises des dérives sectaires en 2023.

Communautés complotistes, gourous-santé, développement personnel, du bien-être, chamans, coaches de vie, thérapeutes psychocorporels… De nouvelles formes de sectes, utilisant un champ lexical pompeux et vide, organisant souvent des pseudos-stages ruineux, ont grandi à l’ombre de la crise sanitaire, poussées par les réseaux sociaux, paradoxalement en délaissant un peu l’habituel champ de la santé justement. De quoi motiver le gouvernement à “réveiller” l’instance nationale de la lutte contre les dérives sectaires en France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes.

4 020 signalements, un record

Survivalisme, séparatisme, radicalisation remettant en cause la vie en société mais la Miviludes reste très attentive aux “multinationale de la spiritualité” dont la Scientologie ou les Témoins de Jéhovah ou encore l’anthroposophie (ensemble de croyances et de pratiques ésotériques réunies ensemble) mais aussi des éco-villages qui vivent en autosuffisance ; néo-chamanisme, toujours très présents. Ou encore Masculinisme, virilisme et anti-féminisme ; mais aussi le culte de soi ou encore la médiation de pleine conscience pouvant être “dévoyée”… L’enseignement principal du rapport annuel 2020-2021 est l’augmentation continue, d’une année sur l’autre, du nombre des signalements à la Miviludes : plus de 33 % entre 2020 et 2021, plus de 44 % entre 2018 et 2021 et, enfin, plus de 86 % entre 2015 et 2021. Les 4 020 signalements comptabilisés pour l’année 2021 représentent un record (3008 signalement en 2020, déjà en hausse de 30 % en cinq ans). Ces chiffres alarment d’autant plus les pouvoirs publics qu’ils ne constituent que la seule part visible d’un phénomène plus large. Une hausse des saisines mais il y a aussi “de nombreuses victimes totalement indécelables. Plongées dans un état de dépendance et de perte d’autonomie psychique…”

10 % des dossiers concerne des mineurs

Sur les 4 020 signalement comptabilisés en 2021, environ 20 % concernent le champ de la santé, soit 744 dossiers dont 70 % relèvent de pratiques de thérapies non conventionnelles (520 dossiers). Quelque 10 % des saisines concernent des mineurs, directement ou indirectement (soit 396 dossiers). Enfin, presque 4 % des saisines concernent le complotisme et le mouvement antivax (soit 148 dossiers). Ces saisines ont déjà donné lieu à une vingtaine de signalements au Procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.

Thérapies non conventionnelles, réseaux sociaux et complotisme

Les suicides collectifs du Temple solaire en Suisse et dans le Vercors en passant par les Bouddhas géants du Mandarom à Castellane (Alpes-de-Haute-Provence) : les années 1990 et 2 000 avaient imprimé un imaginaire collectif des mouvements sectaires précis : des communautés installées physiquement dans des lieux isolés, coupés du monde avec des adeptes vivant sous l’emprise d’un gourou, sans partage. Certes, ce genre de folie existe toujours mais, parallèlement, le Web et les réseaux sociaux ont fait apparaître une autre dimension aux sectes, davantage focalisées sur le “développement” personnel.

On constate davantage de micro-groupes sectaires par exemple, difficile à contrôler et à débusquer. “La crise sanitaire doublée d’une crise sociale ont instauré un climat anxiogène empreint de défiance, propice à la déstabilisation des personnes vulnérables”, est-il écrit dans le rapport de la Miviludes (ci-dessous), constatant un “émiettement des dérives sectaires dans des domaines bien plus larges que la spiritualité, tels que la santé”. Il est aussi noté qu’il existe de plus en plus de dérives sectaires dissimulées derrière un statut associatif. “Un nombre non négligeable de groupes sectaires se dote d’une structure associative et jouit d’un statut parfaitement légal (…)”

Multiplication des petites structures

Le dernier rapport note la permanence des “multinationales de la spiritualité” que sont la Scientologie et les témoins de Jéhovah. Ces organismes – bien identifiés par les institutions – continuent de faire l’objet de nombreux signalements.

Le rapport souligne une évolution générale du phénomène sectaire, mettant en exergue la multiplication de petites structures dans les domaines de la santé, du bien-être et de l’alimentation. Les thérapies non conventionnelles se sont développées dans le cadre de la crise sanitaire et portent un risque important en matière de santé publique.

Manipulateurs isolés et autonomes

Le rapport constate aussi la multiplication des “gourou 2.0”. Il s’agit de manipulateurs isolés et autonomes qui propagent leur doctrine sur les réseaux sociaux. Ces nouvelles touchent fortement les plus jeunes – notamment les mineurs, très vulnérables – qui sont d’importants utilisateurs des réseaux sociaux.

Enfin le rapport dresse un lien clair entre les phénomènes sectaires et les thèses complotistes. La porosité entre les deux phénomènes et leur interdépendance tend à s’accroître, les théories du complot nourrissant largement les mouvements sectaires.

Assises des dérives sectaires et du complotisme

Face à ces constats, Sonia Backès, Secrétaire d’état chargée de la Citoyenneté, tiendra au début de l’année 2023, les premières assises des dérives sectaires et du complotisme. Ces assises réuniront les services de l’État, des responsables politiques, des scientifiques, des experts ainsi que les associations engagées dans la lutte contre les dérives sectaires et le complotisme.

Cet événement poursuivra trois objectifs. Sensibiliser l’opinion publique aux dérives sectaires ; créer des modalités de coopération renouvelées favorisant l’identification et le signalement des dérives sectaires ; élaborer un plan d’action pluriannuel permettant d’adapter notre organisation ainsi que notre arsenal juridique à l’évolution du phénomène. Pour Sonia Backès, “la problématique des dérives sectaires, en plus d’être un sujet qui me touche personnellement, représente un danger majeur de séparatisme et de santé publique. Le rapport de la Miviludes nous montre que le phénomène sectaire s’accroît en France et se renforce par la modification de sa structure. La réponse de l’État se doit de changer d’échelle si nous voulons proposer des solutions efficaces. J’entends donc adapter l’action de l’État, au sortir des assises des dérives sectaires et du complotisme, afin de pouvoir bénéficier de tous les outils nécessaires pour combattre efficacement ce fléau”.

Olivier SCHLAMA

MIVILUDES-RAPPORT2021_0