Sécheresse : Recharger artificiellement les nappes, une solution en vogue

Infiltration des eaux du Rhin pré-filtrée en sol forestier à Lange Erlen (Suisse) pour la recharge des eaux souterraines destinées à l’alimentation en eau potable. Photo : Christian Flierl & IWB

Parmi les solutions, il y a celle, “encore reçue frileusement”, consistant à pomper de l’eau dans les cours d’eau quand leur niveau est haut en hiver pour la réinjecter dans les réserves souterraines en prévision de l’été. C’est la proposition du BRGM qui a cartographié les sites potentiels, dont l’un près de Béziers et un autre à Toulouse. Et pourquoi pas, à Montpellier, réutiliser des eaux usées traitées pour l’irrigation !

L’inquiétant déséquilibre climatique est à l’oeuvre. “Le changement climatique va produire dans certaines régions une réduction des pluies et une hausse des températures. Et par voie de conséquence une baisse de la “recharge” naturelle en eau des nappes aquifères. C’est notamment le cas en Occitanie.” Un chiffre : toujours selon le BRGM, Bureau de recherche géologique et minière, d’ici à 2070, on enregistrera une baisse “de 20 % à 30 % des infiltrations d’eau dans les nappes qui sont beaucoup sollicitées pour l’eau potable et l’irrigation”, indique Jean-Christophe Maréchal, responsable de l’unité nouvelles ressources en eau et économie au BRGM, à Montpellier et de UMR G-eau.

Baisse de 20 % à 30 % des recharges naturelles des nappes

Bassins d’infiltration d’eau usée traitée pour la recharge artificielle de la région de Dan (Tel Aviv, Israël). Ph.© Albatross / Mekorot

Ces nappes rendent aussi des “services écosystémiques”, tel que le maintien des niveaux d’étiage des rivières. Pendant l’été, l’eau des rivières est, d’ailleurs, “essentiellement issue de l’eau souterraine provenant des vidanges de ces nappes. La diminution globale des infiltrations d’eau va donc, là aussi, poser des problèmes sur les milieux aquatiques. Et la biodiversité soutenue par l’apport des eaux souterraines”.

Ce n’est pas aller chercher l’eau chez Paul pour l’amener à Pierre. C’est prendre cette eau quand elle est disponible en abondance dans les cours d’eau et la stocker pour pouvoir l’utiliser plus tard…”

L’une des solutions possibles pour lutter contre ce phénomène ? Augmenter artificiellement la recharge naturelle des nappes par différents moyens, les plus communs étant la création de bassins d’infiltration”. Comme cela se pratique dans plusieurs pays européens, comme l’Allemagne ou la Suisse. Voire Israël. Comment se présentent-ils ? C’est une sorte de retenue dans laquelle on amène de l’eau de surface. Plus précisément, c’est de l’eau récupérée dans fleuves et rivières quand il y a de très grosses précipitations dans nos contrées, notamment à l’automne et l’hiver. “Effectivement. Mais attention, ce n’est pas aller chercher l’eau chez Paul pour l’amener à Pierre. C’est prendre cette eau quand elle est disponible en abondance dans les cours d’eau et la stocker pour pouvoir l’utiliser plus tard.” Dans une même zone géographique.

Tuyaux, bassins et même forages

Etape finale de traitement avancé par osmose inverse des eaux usées traitées à El Prat de Llobregat pour la réalimentation de l’aquifère du delta de Llobregat. Ph. BRGM

Concrètement, il y a deux façons de faire. Soit on prélève de l’eau quand les rivières sont au plus haut, avec des pompes. Cette eau est dirigée par un système de tuyaux dans des bassins à partir desquels, elle va s’infiltrer jusqu’à une nappe souterraine qui voit son niveau ainsi relevé. C’est, certes, une eau qui n’ira pas se jeter à la mer et qui ne s’évaporera pas non plus. “C’est l’avantage de cette technique : il y a beaucoup moins de perte. Ces dispositifs existent déjà, notamment près de Paris ou Lyon ; récemment Suez en a créé un près de la ville de Hyères (Var), là c’était pour lutter contre l’intrusion saline, de l’eau de mer.” Il existe une seconde technique de recharge d’eau des nappes : l’injection par forage. Une fois collectée, l’eau est injectée sous pression via des forages.

L’idée est d’infiltrer en grande quantité de l’eau dans la nappe au Sud de Toulouse ; là, c’est pour un usage un peu particulier : c’est pour soutenir, en été, le débit de la Garonne”

À Boussens, près de Toulouse, il existe déjà un projet visant à infiltrer de l’eau du canal d’irrigation Saint-Martory, qui arrive des Pyrénées, et transportant beaucoup d’eau, notamment lors de la fonte des neiges au printemps. “L’idée est d’infiltrer en grande quantité de l’eau dans la nappe au Sud de Toulouse. Là c’est pour un usage un peu particulier : c’est pour soutenir, en été, le débit de la Garonne”, confie encore Jean-Christophe Maréchal.

Le BRGM a d’ailleurs identifié et cartographié en 2020, à l’échelle du large bassin RMC – Rhône, Méditerranée, Corse -, de Besançon à Narbonne, les lieux pouvant accueillir ce genre de bassin favorisant l’infiltration de l’eau. “Nous avons sorti une carte en zones favorables, moyennement favorables ou très favorables. Beaucoup sont géologiquement favorables.”

“Cette solution est encore reçue assez frileusement”

Bassins d’infiltration d’eau usée traitée pour la recharge artificielle de la région de Dan (Tel Aviv, Israël). Ph.© Albatross / Mekorot

Et qui décidera de créer des bassins ? “Ce sont aux acteurs du territoire de se saisir de cette cartographie.” Le BRGM a proposé ce genre de projet mais l’idée est “extrêmement compliquée à faire comprendre et à faire partager. Cette solution est encore reçue assez frileusement”.  Notamment pour soutenir la nappe de l’Astien, vers Béziers. La question financière est importante : les coûts oscillent entre 10 centimes et 25 centimes d’euro le mètre cube,  quand vraiment il faut traiter l’eau puissamment. Cela intègre l’infiltration, le pompage dans la rivière, les coûts énergétiques, etc.

Un projet de recharge de nappe étudié et en “stand by” à Béziers

Le syndicat mixte d’études et de travaux de l’astien (SMETA) gère une vaste nappe de 450 km2 qui répond aux besoin des 13 communes de l’agglomération de Béziers et de huit autres communes. Et surtout, l’été, là où on en a le plus besoin de 50 campings alentours. “La nappe astienne a fait partie des cinq cas mis à l’étude dans la vaste zone couverte par l’agence Rhône, Méditerranée, Corse”, valide sa directrice. Véronique Dubois explique en substance que l’idée de prendre de l’eau dans le fleuve Hérault est séduisante mais “c’est en stand by”.

Il y a des freins, notamment celui d’un coût évalué à “50 centimes le mètre cube ! Et puis sur le plan physique, il y a des interrogations, précise Véronique Dubois. Il faudrait faire des études complémentaires à cause de la configuration locale des sols : rien ne dit que la circulation de l’eau se fera de l’Hérault vers notre nappe. Et pas l’inverse…” En tout cas, ce syndicat cherche des solutions. Et vite.

“Une vigilance de tous les instants”

Dispositif à El Pratt de Llobregat, en Catalogne. Ph. BRGM

“Tout le monde cherche de l’eau”, dit-elle. Une solution alternative est apportée par le Réseau hydraulique régional (RHR) géré par BRL. “Suite à la mise en eau de l’adducteur AquaDomitia en 2022 et la réalisation d’une extension des périmètres irrigués, des agriculteurs du secteur Servian-Montblanc peuvent substituer l’eau de leurs forages par de l’eau provenant du Rhône”, explique le Groupe BRL. Par ailleurs, un projet d’extension du RHR est en cours d’étude sur le plateau de Vendres, avec un linéaire de réseau d’environ 27 km. Il permettra là aussi de substituer à partir de 2024 l’eau prélevée par forage dans la nappe pour près de 280 hectares de culture, par de l’eau provenant de l’Orb (ressource sécurisée par un barrage) et transférée par le Canal du Midi. Et ce pour éviter, d’ici l’an prochain, des restrictions. Car les économies d’eau demandées se succèdent auprès des professionnels. “C’est une vigilance de tous les instants”, souffle Véronique Dubois.

Montpellier : 50 millions de m3 d’eau consommés par an !

La métropole de Montpellier, 7e ville de France, consomme, elle, la bagatelle de 50 millions de mètres cubes d’eau potable par an : phénoménal ! “À Montpellier, on a la chance d’avoir la source du Lez où l’on pompe 1 000 litres par seconde. C’est le plus gros pompage d’eau souterraine au monde ! Peu de gens le savent. Cela représente 35 des 50 millions de mètres cubes d’eau consommée chaque année par la métropole. On en rejette dans le Lez justement pour maintenir les populations du chabot, un poisson qui ne vit que dans cette rivière.”

Des études pour être sûr de récupérer une grande partie de cette eau qui, la plupart du temps, est en mouvement…”

Le spécialiste ajoute :Ce qui serait intéressant à Montpellier, ce serait de faire éventuellement de l’infiltration d’eaux usées traitées pour s’en servir ensuite pour de l’irrigation, notamment. Rien n’est fait. C’est juste au stade de l’idée. Mais ce pourrait être à l’aval de Montpellier. Il n’y a pas de modèle-type. Les études se font au cas par cas, notamment pour être sûr de récupérer une grande partie de cette eau qui, la plupart du temps, est en mouvement. Il faut avoir des contextes géologiques favorables. Cela n’existe pas, ou plutôt cela n’existe plus en Occitanie ; tout juste y a-t-il eu une expérience, abandonnée, dans le Gard, du côté de Nîmes, près de la nappe de la Vistrenque.”

“Ce mot artificiel fait peur”

Roselière d’Agon-Coutainville. Zone de recharge des eaux usées traitées, station de la Mare à Jore. Ph. BRGM

D’autres réticences, au-delà du coût, trouvent leur source dans le fait que c’est l’homme qui aide “artificiellement” la nature. “Ce mot artificiel fait peur. On a aussi du mal à faire comprendre que l’on ne prend pas de l’eau à un territoire pour l’amener à un autre. Mais que c’est un surplus d’un territoire que l’on garde pour ce même territoire pour qu’il n’en manque pas ensuite. C’est une recharge maîtrisée.”

Une gouvernance à inventer

Autre frein, la gouvernance. “Qui va se lancer dans une telle entreprise concernant une nappe utilisée par plein d’acteurs, des agriculteurs, des sociétés privées comme Suez, etc. ?, pose Jean-Christophe Maréchal,  Quel est aussi les intérêts réels du porteur de projet. Il faut arriver à fédérer tous les usages autour de la ressource et là c’est compliqué. Il peut y avoir des problèmes de colmatages des forages, faut être vigilant. Et savoir pour chaque projet quel pompage maximum on peut y réaliser, sans surexploiter les cours d’eau, au risque de fragiliser tout l’écosystème. La gestion pourrait être confiée à des syndicats de bassin ; des Sage ; Sdage et autres PGRE (Plans de gestion de la ressource en eau).” C’est à inventer.

Olivier SCHLAMA

Carte de faisabilité en Occitanie. Ph. BRGM
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