Chronique : Quand le Midi était terre de droit romain

Le pont du Gard... Photo : DR.

En 476, l’Empire Romain s’effondre. Romulus Augustus, empereur romain d’Occident est dépossédé du trône, ses insignes impériales sont envoyées à Constantinople, siège de l’Empire Romain d’Orient. Cet évènement bouleverse près d’un millénaire de construction et d’exercice du droit romain. C’est une nouvelle chronique de l’historien Samuel Touron.

Avec la chute de Rome, les peuples barbares s’installent dans l’Empire, ils y apportent leur droit de tradition orale. On entre dans une pluralité juridique qui dura près de 1 400 ans. La lente construction du droit français qui suit la formation de l’Etat puis de la nation française témoigne de la place particulière du droit méridional de la chute de Rome à la Révolution française.

Contrairement à l’idée répandue selon laquelle Rome se serait effondrée en un jour laissant soudainement place à l’anarchie, la décadence puis la chute de l’Empire se fait sur le temps long, aussi, le droit romain ne disparait pas subitement des territoires où il s’exerçait. Lorsque les peuples barbares germaniques franchissent les limes de l’Empire ils s’installent sur une terre où vivent entre 12 et 15 millions de gallo- romains, eux, ne représentent qu’une minorité. Un principe s’instaure alors: chaque peuple conserve son droit.

Les tribunaux débutent chaque séance en demandant à chaque partie : “Sous quelle loi vis-tu ?” traduisant ainsi la conception ethnique de la loi à cette époque.”

Les peuples gallo-romains conservent le droit romain et les peuples germaniques conservent leurs droits. Jusqu’au IXe- Xe siècle, le droit dont on dépend est le droit sous lequel vivaient nos ancêtres paternels. Les tribunaux débutent chaque séance en demandant à chaque partie : “Sous quelle loi vis-tu ?” traduisant ainsi la conception ethnique de la loi à cette époque.

En Languedoc, le roi Wisigoth Alaric II qui règne alors sur l’actuelle Espagne et sur la Septimanie (Languedoc méditerranéen) promulgue une loi romaine pour ses habitants d’origine romaine, qui constituent l’écrasante majorité du peuple sur lequel il règne, afin de rendre plus accessible le complexe code Théodosien, compilation des textes du droit romain.

Clovis écrase les wisigoths et s’empare du Midi de la France

Victorieux lors de la bataille de Vouillé, Clovis écrase les wisigoths et s’empare du Midi de la France, il décide également de rendre applicable la “loi romaine” d’Alaric II à l’ensemble de la Gaule qu’il dirige désormais depuis Paris en lieu et place de Tournai, son ancienne capitale.

Une minorité dans les terres

Près d’un demi-siècle après la chute de Rome, le morcellement ethnique des anciens territoires de l’Empire s’estompe, peu à peu, les nouvelles générations perdent la mémoire de leurs anciennes origines. Une ligne s’établit entre le Nord de la France, à la fois plus densément peuplé de descendants des peuples barbares germaniques et aussi plus proche des lieux de pouvoirs contrôlés par les Francs ; et le Sud de la France, où l’héritage gallo-romain est d’autant plus fort que les barbares qui ont envahi la région ne se sont pas installés sur les côtes, craignant d’être intégrés aux moeurs romaines.

Ils représentent ainsi une minorité installée dans les terres. Aussi, l’effacement de l’appartenance ethnique entraîne une montée en puissance de l’appartenance liée au sol, on se définit désormais par son origine géographique : la terre sur laquelle on vit, plutôt que par son origine ethnique ; la terre sur laquelle vivaient nos ancêtres. Le droit se morcelle ainsi entre les différentes seigneuries et principautés territoriales plus ou moins indépendantes qui se constituent. Le travail du monarque et des dynasties successives consiste alors à faire reconnaître l’institution monarchique comme suzeraine sur l’ensemble de ces territoires.

Main coupée…

Nous l’avons dit, à partir de ce moment, le droit prend deux voies différentes qu’il soit au Nord ou au Sud de la Loire. Au nord de cette ligne, dans les territoires les plus anciennement sous la domination des Francs, c’est la loi salique qui s’impose. Au Sud, c’est le droit romain qui s’impose. La loi salique est pour l’essentiel un code pénal, en cas de crime, le criminel doit se soumettre à la volonté de sa victime, c’est une logique de vengeance, donnant-donnant, on peut dédommager la victime par une compensation financière ou par le prix du sang. Ainsi, celui qui coupe la main d’un Franc doit s’acquitter de la somme de 4 000 deniers, si elle n’est pas entièrement séparée du bras, alors la somme est de 2 500 deniers. Cependant, l’influence croissante de l’Eglise tend à limiter l’effectivité de la loi salique en promouvant le pardon et la paix.

Dans les provinces du Sud, le développement des universités notamment à Toulouse, Montpellier, Avignon et Aix-en-Provence entraîne une redécouverte de l’étude du droit. Débutée en Italie du Nord, majoritairement à Bologne, cette renaissance juridique entraine la rédaction par les grandes villes des coutumes locales, sont ainsi rédigés, les statuts des villes d’Arles, d’Avignon, de Toulouse, de Montpellier etc. Ces textes sont sanctionnés par une autorité officielle : royale, municipale, seigneuriale, donnant ainsi force de loi au texte. En 1454, l’ensemble du Royaume de France décide de s’inspirer de ce qui se fait dans les provinces du Midi en promulguant l’ensemble des coutumes dans les textes officiels.

Les notaires méridionaux s’inspirent notamment de la formulation du droit romain

À la même époque, on redécouvre également le droit romain, les compilations de textes juridiques de l’Empire Romain d’Orient sont en effet découvertes par ceux de l’Occident et étudiées à Bologne et dans tout le nord de l’Italie. Le mouvement gagne alors le Midi qui s’inspire également de ce code civil romain. Les notaires méridionaux s’inspirent notamment de la formulation du droit romain, les municipalités reprennent le modèle antique du consulat. Ce modèle consiste à donner l’autorité municipale à un collège de “consuls” municipaux, élus chaque année et qui débattent et régissent l’action publique. Ainsi, entre le XIIe et le XIVe siècle, le Midi devient un “pays romain”.

Au XVe siècle, la “romanisation” du droit dans les provinces du Midi se poursuit. Les juristes formés dans les universités italiennes ou méridionales, nourris au droit civil romain, usent des textes romains plutôt que des anciennes coutumes pour rédiger les testaments, les jugements ou encore différentes sortes de contrats. En 1444, le roi, crée le Parlement de Toulouse qui a compétence sur l’immense province du Languedoc. En 1501 c’est au tour du Parlement d’Aix-en-Provence de voir le jour à la suite du rattachement de la Provence à la France.

Révolution française

C’est le droit écrit de tradition romaine qui s’inspire au sein de ces parlements, il en va de même pour le Parlement de Bordeaux et pour celui de Grenoble. Le roi n’interfère pas dans le droit des provinces du Midi, le droit écrit répond à la volonté générale des peuples du Midi, ce qui le rend respectable et donc légitime. Dans les provinces du Nord, le droit coutumier lié donc à la coutume et aux traditions du droit local, reste de mise. En 1674, Louis XIV fait du droit coutumier une matière enseignée à l’université lui donnant in fine une légitimité au même titre que le droit romain et le droit canonique. C’est finalement la Révolution française inspirée par les idéaux des Lumières qui permettra l’unification du droit français. Napoléon Ier en 1804 dota pour sa part la France d’un Code civil, monument et fondement de l’ensemble du droit français actuel, mettant ainsi fin à près de 1 400 ans de pluralité juridique en France.

Samuel TOURON