Chronique livre : La génération covid et ses variantes

Tous les mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie. C’est au tour d’Audrey Besset et son Les Survivantes ; Richard Douieb, avec À la Croisée des Chemins ou Jean Vicente, avec son opus Des ombres Dans les Yeux.

Un patchwork ambitieux

Il y a déjà, en littérature, une génération covid-19. Audrey Besset fait partie de ces confinés hyperactifs que les contraintes de l’isolement sanitaire ont fait basculer du plaisir de la lecture à la passion de l’écriture. Cette passion est même devenue si pressante, chez cette jeune maman de Castelnau-le-Lez (Hérault), qu’après avoir publié, l’an dernier, La Nuit des Oracles, un polar imprégné de références à la mythologie gréco-romaine, elle s’aventure, cette année, dans la science-fiction, un champ littéraire si couru qu’il est toujours difficile, pour les nouveaux auteurs, d’y tracer un sillon original. Quand, en plus, on écrit vite, le risque devient grand de verser dans la facilité des stéréotypes.

Une ado qui semble sortie d’un thriller de Nora Roberts ou d’un film de Luc Besson

Audrey Besset donne elle-même l’impression de s’engager dans les sentiers battus de la science-fiction américaine. Le titre de son ouvrage, Ionad Dôme, évoque le Dôme de Stephen King ; son sous-titre, Les survivantes, renvoie au scénario de Divergente, la saga de Veronica Roth ; son héroïne principale, Aude – “une adolescente comme les autres dont le destin bascule au moment où éclate une nouvelle guerre mondiale : elle est enlevée par des inconnus et se réveille, amnésique, sous un dôme mystérieux…” – semble sortie d’un thriller de Nora Roberts ou d’un film de Luc Besson.

À la fois BD, histoire d’amours juvéniles, polar, western…

Mais cette première impression n’est qu’un trompe-l’œil. Car l’auteure a assez de talent et d’imagination pour s’affranchir de ses références. Son écriture est limpide, sa trame bien ficelée, son intrigue bien menée, ses personnages attachants, ses trouvailles nombreuses, son récit maîtrisé à un rythme échevelé. Il en résulte un patchwork étonnant : ce livre est à la fois une bande dessinée, une histoire d’amours juvéniles, un polar, un western, un jeu vidéo. C’est un livre de notre temps, sans fioritures, dont l’action se déroule à fond la caisse. Il y a de l’amour, de la baston, des coups de théâtre, l’ABC du succès. Les ados et les jeunes adultes seront séduits. La question est de savoir si Audrey Besset, qui amorce-là un ambitieux projet de trilogie, tiendra la distance. Il serait sage qu’elle prenne un peu le temps de respirer pour ne pas s’essouffler… !
Audrey Besset, Ionad Dôme. Les Survivantes, Vérone éditions, 230 pages, 19€.

Gare au gorille !

La littérature de science-fiction n’a pas attendu les atrocités de la guerre en Ukraine pour phosphorer sur les moyens de remédier à la part d’inhumanité qui plombe, depuis toujours, l’espèce humaine. Les auteurs qui cherchent leur inspiration dans les recherches scientifiques exploitent volontiers, par exemple, les connaissances accumulées sur les particularités génétiques de certaines espèces végétales. L’une d’entre elles, en particulier, l’Arabette des Dames (Arabidopsis thaliana) les intrigue beaucoup. Cette “mauvaise herbe” – le premier végétal dont le génome ait été complètement séquencé – a, en effet, le pouvoir, au fil de son évolution, de corriger ses défauts génétiques.

La mauvaise herbe qui corrige ses défauts génétiques

Un romancier héraultais, Richard Douieb, qui cultive son jardin secret du côté de Mauguio, propose une piste analogue à celle de l’Arabette des Dames. Il part implicitement du postulat que si une “mauvaise herbe” détient un tel pouvoir il n’y a aucune raison que cela soit absolument impossible à l’espèce humaine. Cette idée n’est pas farfelue. Puisque l’homo sapiens est le produit de croisements génétiques répertoriés, il n’est pas impossible que sa descendance accouche un jour, à la suite d’autres croisements, d’une espèce humaine moins bestiale… Ou, au contraire, pire que la nôtre.

Histoire courte et haletante

Cette problématique universelle inspire à Richard Douieb un distrayant western des temps modernes dont le jeune héros, aux origines mystérieuses, s’apparente à la fois à Tarzan et à King-Kong et s’interroge sur son identité ambivalente dans une jungle plus proche de celle de Calais que de celle du Congo. L’histoire est courte, habilement construite, haletante ; elle ferait un bon scénario de film d’action pour la génération Netflix.
Richard Douieb, À la Croisée des Chemins, Les Editions Baudelaire, 105 pages, 13,50€

Un polar d’actualité

Le temps du confinement aura aussi été l’âge d’or de l’autoédition qui est à la littérature ce qu’est l’information en continu au journalisme digne de ce nom : une foire aux produits dérivés. Combien de livres autoédités ne rencontrent jamais aucun lecteur ? Il en existe pourtant qui mériteraient toute l’attention des professionnels de l’édition. C’est le cas du premier roman – Des Ombres dans les Yeux – que vient de publier à ses frais un jeune Toulousain passionné d’art et de rap, Jean Vicente, un pur produit de la génération du web qui a fait le choix d’écrire avec ses tripes parce qu’il en avait marre de se taper la tête contre les murs de l’inculture sur internet. C’est le roman de ses propres peurs.

On y respire le shit, la haine, la baise… Mais on y parle de Kundera aussi bien que de Youssoupha et, entre deux joints, on a même droit à des séances de psychanalyse…”

Un polar d’actualité post-électorale : le président-empereur, un certain Manuel Barron, a été réélu en 2022 mais il est incapable de restaurer la paix dans une France gangrenée par les violences. Les artistes sont devenus les principaux adversaires de son pouvoir répressif ; alors ce président jupitérien a interdit toutes les formes d’expression et de création. C’est dans cet univers pré-apocalyptique qu’un dealer d’art aux amours compliquées survit en vendant sous le manteau des œuvres d’art prohibées qu’il télécharge sur des clefs USB.

Cela donne un polar sur fond de pamphlet social. Il y a là-dessous le vécu des Gilets jaunes, des antivax, des insoumis, parfois un relent de complotisme… On y transpire le quotidien des êtres en manque de tout qui hantent l’underground universel. On y respire le shit, la haine, la baise… Mais on y parle de Kundera aussi bien que de Youssoupha et, entre deux joints, on a même droit à des séances de psychanalyse.

Authentique écrivain

Cela dit, Jean Vicente, c’est surtout un ton, un style, une écriture, des réparties de rappeur. Le suspense psychologique qu’il étire a de la profondeur ; ses personnages ont de l’épaisseur ; son verbe est truculent ; son langage oralisé. L’ensemble fait penser, pour la forme, à Frédéric Dard et, pour le fond, à Romain Gary. C’est la marque d’un authentique écrivain. Que l’ouvrage ne soit pas épargné par les scories typographiques et lexicales inhérentes à l’autoédition ne change rien à cette belle découverte. On kiffe.
Jean Vicente, Des ombres Dans les Yeux, Publishroom factory, 284 pages, 15€

Alain ROLLAT
alain.rollat@orange.fr