Chronique littéraire : Curiosités à la mode des réseaux sociaux

Chaque mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie. C’est au tour des Héraultaises Sarah Mohamed Feti et Mélissia Lataye et de la Toulousaine Caroline Suarez.

Une première fois trop pudique

Il y a toujours eu des curiosités littéraires. Celles de notre époque découlent souvent de la prolifération des réseaux sociaux qui permettent de porter instantanément à la connaissance de tout le monde les écrits les plus personnels que, par pudeur ou par gêne, l’on gardait naguère par-devers soi. Le moindre journal intime devient vite, aujourd’hui, un produit imprimé mis à la disposition du public par de nouvelles maisons d’édition qui se posent en alternatives aux éditeurs traditionnels. Vérone éditions, dont le siège est à Paris, fait partie de celles-ci et l’un de ses derniers titres, Au périple de ma vie, est très représentatif de cette évolution de l’expression littéraire.

Comores, Mayotte, Montpellier…

Il s’agit de la première œuvre d’une jeune femme, Sarah Mohamed Feti, qui, à l’âge de six ans, a quitté son île natale, l’île de Mohéli, aux Comores, pour vivre à Mayotte, l’île française où était née sa grand-mère, et qui a, dès lors, gravi, non sans mal mais avec succès, les marches de l’Ecole de la République jusqu’à l’Université de Montpellier. Elle a aujourd’hui vingt-trois ans et considère que sa “mission”, dans la vie, “c’est de raconter des histoires et d’inspirer les gens”, en commençant par raconter son propre parcours.

“L’alphabet, c’est trop beau !”

Sarah Mohamed Feti a, en effet, déjà, malgré sa jeunesse, beaucoup de choses à raconter : la vie ordinaire d’une famille nombreuse écartelée ; la vie étonnée d’une petite fille auquel son père raconte que l’émigration est un sentier enchanteur vers le paradis ; l’émerveillement d’une écolière qui apprend à lire (“L’alphabet, c’est trop beau !…”) ; la prise de conscience d’une adolescente ingénue qui, découvrant la France métropolitaine, découvre aussi le racisme ; la précarité de la vie étudiante qui oblige, pour subsister, à passer par la case des petits boulots dégradants….

Et, toutes ces choses-là, Sarah Mohamed Feti les raconte bien. Par besoin. Pour s’affranchir de son passé. Pour affirmer son identité. J’existe, donc j’écris… C’est sincère, touchant. Mais ce vécu-là mériterait mieux qu’un récit linéaire, qu’un premier jet d’écriture, et surtout mieux qu’un format court façon post de Facebook. Le jour où cette jeune femme courageuse, en prenant de l’âge, prendra aussi du recul sur elle-même et se remettra à sa table de travail pour pétrir sans retenue ses émotions, cette esquisse prometteuse fera un beau roman.

  • Au périple de ma vie, Sarah Mohamed Feti, Vérone éditions, 145 p 15,50 €.

Un exutoire très “pédagogique”

Autre curiosité littéraire propre aux réseaux sociaux : le blog cathartique. Ce mode d’expression consiste à déballer ses souffrances urbi et orbi pour essayer de s’en libérer. Les Éditions Baudelaire viennent de publier un modèle du genre, intitulé Hantise et Couloir, sous la plume d’une jeune Héraultaise, Mélissia Lataye, qui raconte dans le détail les épouvantables cauchemars qui ont traumatisé son enfance. Son but est de livrer au public un exutoire “pédagogique”.

Plus près de Shining que du Petit Chaperon Rouge

Le récit ne s’étale pas mais il plonge le lecteur dans un univers plus proche de Shining que du Petit Chaperon Rouge. On y subit l’assaut de loups monstrueux qui dévorent les petites filles, de sorcières abominables qui les étripent, de peluches perverses qui les martyrisent et de quelques-uns de ces inévitables “êtres invisibles” qui pourrissent la vie de tout un chacun quand ils ne daignent pas répondre aux sollicitations des tables tournantes les soirs de spiritisme dans les maisons hantées… On y croise aussi un ange gardien sympathique, prénommé Michaël, sorti sans doute d’un tarot divinatoire ; il a sauvé la vie de l’auteure le jour où elle a eu un accident de mobylette, et il convient de le remercier de ce miracle ; mais, dans cet inventaire, la part de l’angélisme ne fait pas le poids en face du reste démoniaque.

Le plus simple pour se libérer de la peur est d’en rire…

Ce méli-mélo de choses paranormales prêterait à plaisanter si Mélissia Lataye n’avait pas profondément souffert de ces plongées dans les abysses mystérieux du subconscient humain. L’effort qu’elle a entrepris, devenue adulte, pour passer ses états de conscience infantiles au crible de la raison et des connaissances acquises dans le champ de travail de la psychanalyse n’en est que plus méritoire. Son inventaire clinique sera utile à celles et ceux qui cherchent à comprendre les causes des troubles psychiques et des traumatismes qu’ils provoquent. Sans qu’il soit besoin d’aller se fourvoyer dans les prétendues sciences occultes pour finir par comprendre que la façon la plus simple de se libérer de la peur est d’en rire à la face des diables qui en portent les masques.

  • Hantise et couloir, Mélissia Lataye, Editions Baudelaire, 85 pages, 12€.

Un excellent remontant

L’apport le plus roboratif des réseaux sociaux tient à la manie qu’ont beaucoup d’internautes de partager leurs plaisirs culinaires. Vive cette gastronomie virtuelle qui permet à n’importe quelle recette de répandre les effets de la gourmandise à la vitesse de la lumière !

En la matière, néanmoins, rien n’égale un recueil imprimé de recettes inédites agrémentées d’illustrations appropriées. Il y a donc fort à papier qu’on partagera vite, sur les réseaux sociaux, quelques-unes des quarante recettes familiales que l’illustratrice toulousaine Caroline Suarez vient de publier aux Editions de La Martinière en accompagnant chacune d’elles non seulement d’illustrations alléchantes mais aussi, en prime – ce qui fait l’originalité de l’ouvrage – d’une belle brochette de recettes du bonheur convivial.

Sauté de veau de Malou, le Chou farci de Françoise…

Les esthètes de la fourchette “likeront” sûrement le Sauté de veau de Malou, le Chou farci de Françoise, le Poulet à la bière de Poupie, le Couscous de Denise, le Merlu de Zette et le Gâteau au tapioca de Yaya. Mais ils auraient tort de bouder l’éloge inattendu du sandwich triangle de l’aire d’autoroute, sans lequel il ne saurait y avoir de départ en vacances digne de ce nom.

Notre préférence personnelle va toutefois à l’apologie du Poulet du dimanche – forcément bio et fermier de nos jours – qu’on partage en famille de génération en génération et sans lequel la table à la française ne serait plus l’institution qu’elle est encore dans les familles qui savent, comme celle de Caroline Suarez, conjuguer l’art de la cuisine avec celui des petits bonheurs de la vraie vie, ceux qu’on partage mieux autour des grandes tables que sur les petits écrans.

  • Moi qui l’ai fait pour toi, Caroline Suarez, Editions la Martinière, 128 p. 19,90 €.

Alain ROLLAT
alain.rollat@orange.fr

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