Chronique : Quand le Languedoc faisait partie du monde musulman

A l’heure où la Catalogne déclare son indépendance, Samuel Touron du site Aqu’istoria en profite pour, dans sa chronique, revenir sur un pan de l’histoire de notre région. A l’image de récentes fouilles archéologiques dans la région de Nîmes (Gard) qui ont mis au jour plusieurs tombes musulmanes, témoignage éclatant de l’occupation et de l’installation de nombreux Maures en Languedoc entre le VIIIe et le Xe siècle.

Enseigné à l’école des générations durant, la fameuse bataille de Poitiers (732), qui vit Charles Martel repousser les hordes arabes d’un territoire français qui n’existait pas encore, a tout du roman national. Faisant fi d’une réalité historique et culturelle bien plus complexe, la présence sarrasine au Nord des Pyrénées est in fine une installation qui se fait dans la durée sur le territoire languedocien annexant celui-ci à un ensemble plus vaste : le Califat Omeyyade d’Al-Andalus.

Territoire d’Al-Andalus de 719 à 759, puis sous influence Maure jusqu’en 973, le Languedoc, appelé alors Septimanie, situé aux marges de l’ancienne Province Romaine de la Narbonnaise est l’objet de convoitises multiples de la chute de l’Empire Romain d’Occident à l’institution d’un pouvoir monarchique Franc puissant et centralisé.

Après s’être emparés du Maghreb entre 670 et 710, les troupes de Tariq Ibn Ziyad dîtes « arabo-musulmanes » (en réalité essentiellement composées de Berbères d’où l’emploi du terme « Maure ») déferlent sur la Péninsule Ibérique alors coeur du Royaume Wisigoth qui règne également sur la Septimanie. En 711, l’Andalousie tout entière tombe avec la prise de Séville. Puis c’est rapidement toute l’Ibérie qui s’effondre jusqu’à l’année 718 où les troupes Omeyyades sont sur le point de traverser les Pyrénées en direction de Narbonne, capitale de la dernière province du Royaume Wisigoth: la Septimanie.

Quand Narbonne était la capitale de ce Wâli du Califat Omeyyade d’Al-Andalus

La Septimanie est alors dans une situation délicate, la population est largement fidèle aux Wisigoths mais la province vacille, attaquée par les Francs au Nord-Ouest, elle est incapable de résister aux troupes Maures au sud qui avancent sans rencontrer la moindre opposition. En 719, c’est le début du siège de Narbonne. Prise par les Maures, la ville est saccagée mais les habitants épargnés comme l’atteste les sources médiévales. Au cours de la même année, les autres évêchés dont Béziers, Agde, Lodève et Nîmes ouvrent leurs portes et passent sous occupation Maure. En 725, Carcassonne tombe à la suite d’une féroce bataille entre les troupes du Duc d’Aquitaine Eudes et de Al-Samh ibn Malik al-Khawlani, tué au cours de la bataille. En dépit de la victoire Maure c’est un coup d’arrêt pour l’expansion arabo-musulmane vers l’ouest et le nord de la France.

Dès la prise de Narbonne et la chute consécutive de Béziers, Agde, Lodève et Nîmes, le Califat Omeyyade qui gouverne depuis Damas dans l’actuelle Syrie établit un Wâli à la place de l’ancienne province de Septimanie. Narbonne est la capitale de ce Wâli du Califat Omeyyade d’Al-Andalus. Rapidement, le Wâli devient une province à part, riche et positionné stratégiquement, ouvrant la voie aux richesses du Royaume des Francs et de la Provence, de nombreux raids sont menés sur la vallée du Rhône et l’Aquitaine. À la suite de la défaite de Poitiers en 732, les raids et expéditions en dehors du Wâli de Narbonne s’amenuisent pour se recentrer sur l’annexion et l’intégration de cette province au sein du Califat.

Narbonne est rebaptisée Arbunah, Béziers devient Bazyih, Nîmes devient Nimah, Carcassonne devient Qarqachounah et Agde se nomme désormais Ajdah.

Ainsi, Narbonne est rebaptisée Arbunah, Béziers devient Bazyih, Nîmes devient Nimah, Carcassonne devient Qarqachounah et Agde se nomme désormais Ajdah. On sait que les occupants omeyyades sans être adorés du peuple languedocien ne sont néanmoins pas détestés, la population Maure vivant principalement du commerce est plutôt bien intégrée au reste de la population. Les troupes omeyyades n’imposent pas la conversion à l’Islam et tolèrent les moeurs et la religion catholique. On peut même déduire que nombre d’habitants garderont un bien plus terrible souvenir de l’occupation par les Francs et de la croisade contre les Albigeois qui deux cents ans après le départ des Omeyyades fera du Languedoc un véritable charnier.

Épisode oublié de l’histoire de France, la présence Maure au nord des Pyrénées est pourtant une réalité historique et culturelle. En 752, les Francs s’emparent de Nîmes où ils incendient la ville et les arènes, détruisant de nombreux édifices historiques. Aux environs de 759, Béziers puis Narbonne tombent et sont prises par Pépin Le Bref. La chute du Wâli de Narbonne est largement imputable à la chute dans le même temps de la dynastie Omeyyades de Damas. Ainsi, impuissante politiquement, aucune réponse militaire d’envergure n’est entreprise par les troupes de Al-Andalus. Les dernières troupes Omeyyades quittent le Languedoc aux alentours de 810, cependant des familles Maures demeurent en Languedoc notamment pour commercer. La Méditerranée étant alors dominée par la marine musulmane dont l’avancée technologique est considérable.

Entre 890 et 973, les Maures s’installeront également en Provence et en Corse effectuant cette fois-ci razzia et pillages et ne cherchant plus à annexer politiquement ces territoires. Le massif des Maures près de Toulon tire son nom de cette période d’occupation.

De récentes fouilles archéologiques dans la région de Nîmes ont mis au jour plusieurs tombes musulmanes, témoignage éclatant de l’occupation et de l’installation de nombreux Maures en Languedoc entre le VIIIe et le Xe siècle. De plus, des pièces de monnaie comportant la mention Arbunah (Narbonne) ont été découvertes dans diverses localité du Languedoc et du Roussillon. On battait ainsi monnaie à Narbonne, symbole de l’importance du Wâli dans ce qui était alors Al-Andalus. On pensait pourtant que les hordes « arabo-musulmanes » avaient fuit la France en 732 après la Bataille de Poitiers… Sacré Charlemagne… !

Samuel TOURON (Aqu’istoria)