Histoire : De la peste antonine au covid-19, les pandémies défient l’humanité

Dans sa chronique, l’historien Samuel Touron fait le récit de ces pandémies qui jalonnent l’Histoire. Avec toujours les mêmes recettes et les mêmes conséquences dramatiques…

Au XVIe siècle, la langue française empruntait à l’italien le mot “quaranta” pour désigner une mesure sanitaire de mise en isolement. Plusieurs siècles plus tard, le 10 mars 2020, l’Italie plaçait l’ensemble de sa population en confinement, une mesure historique. Le 17 mars 2020, la France suivait l’initiative italienne.
Les pandémies sont fréquentes dans l’histoire humaine et malgré les progrès de la médecine, les moyens de lutte contre celles-ci sont sensiblement les mêmes que par le passé.

Souvent, elles ont marqué des moments charnière dans l’Histoire, des temps de transition entre des époques, des systèmes économiques et sociaux ou encore des pratiques culturelles. Ainsi, bien des pandémies ont eu l’effet d’un bouton “reset” au cours de l’histoire, de la chute de Rome à la pandémie de Covid-19, retour sur ces moments-charnières où les pandémies ont fait basculer l’histoire.

La première grande pandémie déstabilise profondément l’Empire Romain d’Occident

Tout d’abord, les premières pandémies désignant une épidémie généralisée sur une grande zone géographique et touchant plusieurs États ne furent possible qu’à compter du moment où les contacts entre des sociétés humaines sédentaires furent nombreux et réguliers permettant à des virus de se propager. La première grande pandémie fut celle de la peste Antonine (165-180) bien qu’il s’agisse en réalité d’une épidémie de variole. Surnommée la peste galénique, elle fit plusieurs millions de morts sans que les historiens ne parviennent à s’accorder sur le nombre exact de victimes proposant un taux de mortalité allant de 10 % à 33 %.

Les répercussions politiques et économiques furent cependant énormes, beaucoup d’historiens prennent cette pandémie comme point de départ de la lente agonie de l’Empire Romain d’Occident. Elle se serait déclarée au sein de régiments de l’armée romaine déployés sur le territoire de l’actuelle Irak à Séleucie du Tigre. L’armée romaine aurait ensuite diffusé l’épidémie vers le Levant, la Grèce, l’Égypte puis la péninsule italiennne et l’ensemble de la Méditérranée. La pandémie déstabilise profondément l’Empire Romain d’Occident notamment l’armée décimée qui se retrouve dès lors en difficulté face aux barbares sur les frontières de l’Empire.Quelques siècles plus tard, la peste de Justinien frappa encore plus durement le monde.

Partie d’Asie centrale en 541 elle frappa durement Constantinople, capitale de l’Empire Romain d’Orient, faisant jusqu’à 10 000 morts par jour au plus fort de l’épidémie durant l’année 542. L’Empereur Justinien, lui-même, tomba malade réchappant miraculeusement à la maladie. Rapidement, l’épidémie se diffuse touchant l’ensemble du bassin Méditerranéen pour s’arrêter sur les bords de la Loire.

Depuis la Chine actuelle, sans doute la province de Hubei (la coïncidence avec l’épidémie de coronavirus actuelle est frappante) une nouvelle pandémie frappe à nouveau l’Europe cette fois-ci sous le nom de Peste Noire (1346-1352)”

Jusqu’en 767, soit durant plus de deux siècles, la maladie resurgit environ tous les 10 ans, emportant des millions de personnes à chacune de ses résurgences. Cette longue peste fit entre 25 et 50 millions de victimes, surtout, elle eut des conséquences politiques considérables. Tout d’abord, elle frappe l’Empire Romain d’Orient à son apogée, sous le règne de Justinien, au moment où celui- ci envisageait la réunification de l’Empire Romain par la reconquête des terres perdues sur les barbares. La violence de l’épidémie eut pour effet d’affaiblir considérablement les troupes militaires rendant impossible toute conqûete. De plus, en freinant les puissances orientales (Empire Romain d’Orient, Empire Sassanide) et l’avancée des barbares également touchés par l’épidémie, la peste justinienne favorisa l’expansion de l’Islam qui débute au milieu du VIIe siècle.

La disparition de la peste justinienne reste un mystère mais elle a considérablement affaibli l’Europe du Sud, principale victime de cette épidémie, favorisant de fait le développement de l’Europe du Nord. Six siècles plus tard, cependant, depuis la Chine actuelle, sans doute la province de Hubei (la coïncidence avec l’épidémie de coronavirus actuelle est frappante) une nouvelle pandémie frappe à nouveau l’Europe cette fois-ci sous le nom de Peste Noire (1346-1352). Les hordes Mongols en assiégeant Caffa, comptoir Gênois sur la Mer Noire, auraient catapulté des cadavres de pestiférés sur les assiégés, les Gênois en s’enfuyant ont alors transporté la maladie avec eux, d’abord dans l’ensemble des ports de la Méditerranée puis partout en Europe.

Marseille, Avignon, Montpellier, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Perpignan…

En France, elle touche d’abord Marseille, puis Avignon, terre papale, où se rendent des milliers de pélerins qui contractent la maladie et la répandent aux quatre coins de l’Europe. Elle gagne ensuite Montpellier et Béziers, puis un mois plus tard Narbonne, Carcassonne et Perpignan. Quelques mois plus tard elle est observée à Rouen, Pontoise et Paris, en une année elle touche l’ensemble de l’Europe frappant très durement le pourtour méditérranéen.Certaines villes et régions comme Bruges, Milan une partie de l’Europe Centrale ou encore le Béarn parviennent grâce à la distanciation sociale, au confinement et à des mesures drastiques d’élimination immédiate des malades à éviter la contagion.

Les conséquences sont tragiques, en cinq ans, l’Europe a perdu environ 50% de sa population avec un nombre de victimes compris entre 25 et 45 millions de personnes. La France est passée de 17 à 10 millions d’habitants et ne retrouvera sa population d’avant la peste noire qu’à la fin du XVIIe siècle. La violence de la peste noire est aussi liée au fait que personne ne sait comment agir pour la contenir. Aucune mesure de distanciation sociale ou de quarantaine n’est prise durant l’épidémie, les quelques “médecins de peste” et les personnels engagés pour effectuer des soins désertent souvent leur poste face à l’importance des risques. L’usage d’une médecine rudimentaire et souvent inefficace ainsi que de folklore et de magie ajoutent à l’impuissance des populations.

Regain de foi chrétienne

De même, l’impossibilité d’incinérer les victimes dans le monde chrétien et la difficulté d’enterrer les morts face au nombre participa à la diffusion de la pandémie. La peste noire fut marquée par un regain fort de la foi chrétienne : massacre des Juifs accusés d’être à l’origine de l’épidémie, réprésentation de la Mort dans les arts et les monuments religieux, construction de chapelles, d’édifices mineurs mais nombreux pour le culte des Saints etc. La mort de nombreux artistes, d’ouvriers qualifiés, de mécènes et d’architectes mit un terme à la construction d’immenses édifices religieux dont sans doute, la cathédrale de Narbonne, qui devait être un des plus grands monuments religieux du monde chrétien. Les conséquences économiques furent bien sûr dramatiques avec une récession brutale de l’économie et un mise en friches de nombreuses terres agricoles.

De nombreuses pestes touchèrent l’Europe et le monde à partir de la peste noire, toutes liées à cette épidémie du fait de la survivance de cette dernière qui n’a jamais disparu même si les cas de contamination sont désormais rares du fait d’une bonne connaissance de la maladie. Au cours du XXe siècle d’autres pandémies se sont abattues dont la grippe espagnole qui toucha une population européenne fragilisée par quatre années d’une guerre atroce et fit entre 40 et 80 millions de morts dans le monde entre 1918 et 1921.

Animaux sauvages…

Le développement d’une immunité collective mit un terme à la pandémie. Les conséquences politiques furent moins importantes que les précédentes pandémies du fait de la Première Guerre mondiale. Elle nous a cependant légué la grippe saisonnière que nous connaissons et également les épidémies plus meurtrières de grippe aviare (H1N1, H2N2, H3N2). La pandémie que nous connaissons actuellement, liée au virus SARS-CoV-2 provient non pas de grippes mais d’animaux sauvages. Si les conséquences historiques de la pandémie ne sont pas encore certaines, l’effondrement de secteurs économiques entiers liés aux politiques sanitaires des États pourrait par exemple remettre en question la mondialisation financière et libérale ainsi que notre comportement à l’égard de l’environnement et ainsi avoir des conséquences historiques fortes.

Samuel TOURON