Chronique : Après Notre-Dame, reconstruire les monuments détruits…ou pas

L’historien Samuel Touron rappelle que les arènes de Nîmes ou l’amphithéâtre de Béziers ont connu des destins différents. Quant à la Cité de Carcassonne, elle échappé de peu à la destruction totale… Authenticité ou esthétique ? “L’émotion doit-elle nécessairement passer par le respect pour la vérité historique ?”

L’histoire est la science de l’étude et de l’analyse des évènements passés. Héritière depuis le XIXe siècle du positivisme, elle se base sur l’analyse stricte de ce qui est prouvé, du concret, limitant ainsi la part interprétative de l’historien. Le travail de l’historien se base grandement sur l’étude des monuments et des vieilles pierres avec l’aide de l’archéologue. Or, un monument aussi a une histoire.

Reconstruire un monument n’est-ce pas, dès lors, prendre le risque de nous priver de son histoire au profit d’une représentation purement esthétique ? Depuis la destruction partielle de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le débat est posé dans la société civile et politique. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un monument est détruit, nécessitant ou non sa reconstruction.

Jusqu’au XIXe siècle, la notion de Monument historique n’existe pas, on détruit des monuments anciens sans nécessairement les reconstruire, l’objectif premier du monument étant son utilité économique et sociale.”

Jusqu’au XIXe siècle, la notion de Monument historique n’existe pas, on détruit des monuments anciens sans nécessairement les reconstruire, l’objectif premier du monument étant son utilité économique et sociale. Il fallut par exemple attendre le XVIIIe siècle pour voir naître une velléité de restauration des arènes de Nîmes jusqu’alors totalement insalubres abritant près de 220 maisons, deux églises et un petit castrum en son sein. Les pierres de l’amphithéâtre servaient à la construction de bâtisses plus contemporaines. Si les arènes de Nîmes furent restaurées, certains monuments ne le furent jamais comme l’amphithéâtre de Béziers longtemps abandonné.

Felice VARINI, Cercles concentriques excentriques, Carcassonne 2018, 7e édition de IN SITU Patrimoine et art contemporain au château et remparts de la cité de Carcassonne, Porte d’Aude © André Morin

La cité de Carcassonne échappa par exemple de peu à la destruction totale. Peu à peu délaissée et abandonnée par ses habitants, elle fut jugée insalubre et vétuste. La Cité se délabre et les tours servent aux activités des entrepreneurs carcassonnais, réhabilitées en granges ou hangars. La crise du textile qui frappe durement Carcassonne dans les années 1820 menaçait alors de destruction totale la Cité dont les remparts sont vendus et servent alors de carrières à ciel ouvert.

L’acquisition du Roussillon par la France à la suite du Traité des Pyrénées en 1659 fit perdre à la Cité sa position frontalière avec l’Empire espagnol et l’annonce faite par Napoléon Ier en 1804 de rayer la cité de la liste des places fortes en activité ont en effet condamné le monument en le privant de sa vocation première.

Le débat se cristallise autour de la notion d’authenticité c’est-à-dire étymologiquement, ce qui fait la valeur d’un monument, sa sincérité, sa fidélité à l’histoire.”

Tout change durant le XIXe siècle, époque qui voit naître le terme de Monument historique, créant sous le règne du Roi des Français, Louis-Philippe Ier, le poste d’inspecteur des Monuments historiques qui vise à classer les édifices faisant partie du patrimoine historique des français qui ont besoin d’être restaurés et entretenus. Ainsi, 1 082 bâtiments deviennent des Monuments historiques dont beaucoup d’édifices religieux.

La question de la restauration de ses monuments se pose alors. Doivent-ils rester authentiques ? C’est-à-dire être purement sauvegardés en l’état, ou doivent-ils contribuer à un récit historique ? Ce qui revient à imaginer ce qu’ils ont pu être par le passé. Le débat se cristallise autour de la notion d’authenticité c’est-à-dire étymologiquement, ce qui fait la valeur d’un monument, sa sincérité, sa fidélité à l’histoire. Ainsi, reconstruire un monument détruit par le passé, c’est donner l’impression que le monument n’a jamais été détruit, c’est donc nier une part de l’histoire du monument et in fine la vérité historique dont le monument est porteur. C’est tromper la notion d’authenticité. C’est pourtant le choix qui va être fait par les autorités politiques successives au XIXe siècle.

Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné.”

Un nom est entré dans l’histoire de la grande période de restauration des monuments historiques celui d’Eugène Viollet-le-Duc connu notamment pour la restauration du Mont Saint-Michel, de Notre-Dame de Paris, de la Cité de Carcassonne et du château de Pierrefonds. Ce monument de l’histoire de l’architecture fut pourtant très controversé en son temps. En effet, l’architecte n’hésite pas à se passer de toute vérité historique afin de donner une dimension nouvelle à l’oeuvre réécrivant le passé des monuments nationaux au moment où en parallèle émerge l’instrumentalisation de l’histoire dans le roman national.

Dans son oeuvre majeure, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, il définit la restauration comme suit : “Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné.” Si l’oeuvre de Viollet-le-Duc est indéniablement belle, elle est, pour l’historien ou l’amoureux d’histoire, traumatisante et arbitraire faisant disparaître la sacro-sainte vérité historique.

Controversée, l’oeuvre de Viollet-le-Duc fut vivement critiquée, la restauration de la Cité de Carcassonne sauvée par l’obstination héroïque de l’historien et notable carcassonnais Jean-Pierre Cros-Mayrevieille, alimenta un débat farouche entre partisans et détracteurs du travail réalisé par Eugène Viollet-le-Duc. Il est vrai que l’on ne peut que s’émouvoir du choix de restauration de certaines tours coiffées d’une toiture conique recouverte d’ardoises en plein coeur du Midi où les toits des châteaux et des maisons sont généralement plats et recouverts de tuiles romanes. L’ajout d’un pont-levis qui n’avait jamais existé au niveau de la porte Narbonnaise fit également scandale. Son principal détracteur, l’historien positiviste, Hippolyte Taine, ne manqua pas de souligner l’empreinte gothique et la touche Viollet-le-Duc qui dénature la restauration d’une Cité médiévale d’inspiration romane.

La Cité de Carcassonne demeure cependant aujourd’hui la plus grande forteresse médiévale d’Europe et le quatrième monument historique le plus visité en France, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1997. Alors, qu’est-ce qui doit primer dans la restauration d’un monument ? L’authenticité ou l’esthétique ? L’émotion doit-elle nécessairement passer par le respect pour la vérité historique ? Un monument existe avant tout par le regard, par les représentations singulières de chacun créant l’universalité du monument historique. Les français furent par exemple davantage émus devant la chute de la flèche de Notre-Dame largement remaniée de son caractère authentique par le même Viollet-le-Duc que devant la destruction complète de la cité antique de Palmyre pourtant parfaitement authentique.

Samuel TOURON