Chocolat : L’avenir de la star des fêtes passe par Montpellier

Salon du chocolat, Agde, 13 novembre 2022. Photo : Olivier SCHLAMA

Le Cirad organise, du 2 au 7 décembre, un symposium avec tout ce que la planète cacao compte de chercheurs, coopératives, négociants, chocolatiers, ONG…, venus de 30 pays. Pour la confiserie la plus prisée au monde, dégustée avec gourmandise par des milliards de personnes, l’heure est grave. Alors que les consommateurs attachent de plus en plus d’importance à l’environnement et à l’exploitation des planteurs maintenus dans une pauvreté endémique.

Du haut de sa toute première dégustation, il y a 5 300 ans, dans le Sud-Est de l’Équateur, le cacao cultive une vertu universelle : le partage d’un produit d’exception. Il a aussi à surmonter une succession de défis tout aussi ancestraux : une exploitation économique sans partage des multinationales qui maintiennent depuis des décennies 90 % producteurs dans la pauvreté. Parfois extrême.

Côte d’Ivoire et Ghana, principaux pays producteurs

Cherelles de cacaoyer Trinitario dans la région de Soubre en Côte d’Ivoire.

La forte demande associée à une productivité égale depuis 40 ans génère une déforestation préjudiciable. Le cacao est aussi confronté à une pratique à bout de souffle : la monoculture. Et à des attaques de nombreux ravageurs. Sans parler du défi de tous les défis : le changement climatique. Par ailleurs, la certification, censée ajouter de la transparence et de meilleurs revenus aux producteurs, est, en réalité, difficile à contrôler. Les principaux producteurs de cacao ? La Côte d’Ivoire (43 %) et le Ghana (20 %) où il a été introduit en 1871. L’Afrique, où le cacao a été introduit avant, en 1822, sur les îles de Sao Thomé-et-Principe, tout entière produit plus de 70 % du cacao mondial. 

Vénéré par les Mayas et présent dans les grandes fêtes

Cabosses de cacaoyer en tas et gourdins d’écabossage. Ph. Cirad.

C’est, pourtant, un aliment qui relie le temps et l’espace depuis des millénaires. Transculturel. Transgénérationnel. Transmondial. Symbolique du luxe. “Son nom d’origine, Théobroma, n’est-il pas la traduction de nourriture de dieu” ?” Il a été domestiqué en Amérique du Nord, au Sud du Mexique. Il y a une question que nous n’avons pas encore résolue : comment cette plante est arrivée en Amérique du Nord. C’est un aliment qui a eu une grande importance dans la culture Maya qui le vénérait : déjà, le chocolat était à cette époque associé à de grandes fêtes”, souligne Martijn Tenhoopen, chercheur au Cirad (lire ci-dessous). Que l’on retrouve dans de nombreux pays. A Noël, à Pâques. Il ajoute que “un tiers de la production mondiale (!) de cacao, un arbuste qu’il est difficile d’améliorer génétiquement, est perdu à cause des maladies et des ravageurs, insectes en tête…”

Plus de 7 kilos consommés par Français chaque année

Salon du chocolat, Agde, 13 novembre 2022. Avec participants de l’émission TV le meilleur pâtissier sur M6, Benjamin et Adelina de la saison 11. Photo : Olivier SCHLAMA

Le principal composant du chocolat, le cacao, n’est pourtant pas à la fête lui-même. La consommation mondiale, certes, en hausse constante de plus de 3 % par an (1), avec plus de 7 kilos par an et par personne consommés en France (sous toutes ses formes) qui en fait le 6e pays consommateur au monde et 7e plus gros importateur de la planète. C’est dans ce contexte que Montpellier accueille le second Symposium du Cacao du 2 au 7 décembre prochain, organisé par le Cirad, un organisme de recherche spécialisé. Montpellier, ce n’est pas un hasard : c’est la ville français où il y a le plus d’organisme de recherche dans l’agroalimentaire. Une tradition.

“Pas de pénurie de cacao à moyen terme…”

Stéphane Saj. DR

Chercheur lui-même, correspondant adjoint de la filière au Cirad, Stéphane Saj le certifie face aux oiseaux de mauvais augures : “On n’aura pas de pénurie de cacao à moyen terme. Il est fort probable qu’il y ait des soubresauts pour cette denrée qui se vend sur un marché mondial. Mais il y a toujours dans le monde des régions qui peuvent compenser. Mais il risque d’y avoir des changements de consommation et d’usage des terres des producteurs de l’autre côté du monde.” Il sera présent au Symposium de Montpellier, bien sûr. “Le premier symposium avait eu lieu au Pérou, en 2017, qui a relancé la machine. Cela faisait bien cinq ans qu’il n’y en avait pas eu…”

Les importations de produits issus de terres déboisées bientôt interdites

Salon du chocolat, Agde, 13 novembre 2022. Stand CFA Nicolas-Albano, de Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

Pourtant, il y a bien un tassement de l’offre et une hausse de la demande… “Mais il y a beaucoup de gains d’efficacité possibles à réaliser, à la fois en terme de de production mais aussi de stockage ; de “pertes” à éviter… Évidemment, si deux pays majeurs et très peuplés comme la Chine et l’Inde se mettent à faire grossier la demande mondiale, ça peut changer la donne, même si eux-mêmes sont en capacité de produire du cacao.” Le problème, c’est que la culture du cacaoyer s’est étendue sur des surfaces boisées et pour s’étendre les producteurs ont pratiqué la déforestation. Il y a certes une révolution à venir, celle initiée par la Commission européenne qui travaille depuis 2021 à interdire les importations de produits issus de terres déboisées. Soja. Café. Et donc le cacao.

La solution préconisée : l’agroforesterie

La communauté internationale mise beaucoup sur la recherche pour améliorer le contexte économico-social de la filière. Parfois avec des idées et des pistes simples. “Nous, scientifiques, nous avons la capacité à proposer des solutions concrètes au niveau de l’exploitation”, en dehors de la main-mise des multinationales. Ce discours-là c’est celui des ONG. “Cela dépend des conditions locales sur lesquelles nous n’avons pas la main…” Et des multinationales… Car l’association de cultures arboricoles est l’une des solutions et porte un nom : l’agroforesterie.

Changer de paradigme avec l’argent des multinationales…

Tas de cabosses de cacaoyer recoltees. Ph. Cirad

“Cela peut aider à conserver la biodiversité, réduire l’impact du changement climatique ; cela peut fournir un complément de revenus aux producteurs de cacao mais aussi réduire l’impact des maladies et des ravageurs et autres insectes gourmands.” Selon le Cirad, organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable, citant un rapport mondial, rien que la réhabilitation et la rénovation des plantations demanderait des moyens financiers colossaux, de l’ordre de 50 milliards de dollars US sur 25 ans. “Car il s’agit d’équiper au moins cinq millions d’hectares, de rénover et de compenser le manque de fertilité de certains sols ; des arbres âgés…”, précise Martijn Tenhoopen, du Cirad. Ce qui ne pourrait être possible que grâce à l’argent des multinationales et des industriels qui garderaient ainsi donc la main sur ce juteux marché… D’un piège à l’autre.

Mettre en avant ce qu’il est possible de faire pour améliorer les choses pour que l’on ait une oreille des gouvernements”

Stéphane Saj, du Cirad Montpellier

Stéphane Saj poursuit sa critique : “Agroforesterie est un mot-valise. Il nous arrive un peu la même chose que Christian Duprat (scientifique et jadis vice-président de la Région, Ndlr) qui a prêché dans le désert pendant 20 ans… (Comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI).  Il se développe des programmes avec ce mot-valise où on reste avec l’idée d’un marketing vert… On peut se retrouver ainsi démunis. Un symposium, c’est un endroit qui permet de gagner en visibilité, de montrer que des solutions sont en cours de construction et qu’il y a d’autres façons de produire du cacao. L’idée est de mettre en avant ce qu’il est possible de faire pour améliorer les choses pour que l’on ait une oreille des gouvernements.”

“Des solutions qui conviennent à des échelles plus grandes”

Ouverture des cabosse de cacao un travail essentiellement féminin. Ph. Cirad

Le spécialiste du cacao au Cirad en explicite les ressorts. “L’agroforesterie, oui, mais il faut que ces solutions puissent convenir à des échelles plus grandes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Est-il préférable, par exemple, que les gens qui font de la monoculture diversifient leur parcelle en cultivant moins de cacaoyers en ajoutant des arbres fruitiers ou planter des arbres “à bois”. S’il y a un marché local pour une production fruitière, cela a du sens. Dans le second cas, on demanderait à des gens, qui ne sont pas des forestiers, de “faire” du bois utile à faire des meubles ; sur une filière locale, pourquoi pas. Mais il faut réorganiser complètement une filière efficace 15 ans à 20 ans plus tard. On a bien des ONG et des grandes boîtes qui distribuent ainsi des semences à associer au cacao mais, derrière, il n’y a pas forcément d’adoption de la proposition…”

Ce que l’on souhaite c’est que tout le monde puisse s’améliorer. On essaie de ne pas opposer de grands industriels aux petits producteurs…”

“L’idée, c’est de savoir ce que l’on met derrière ce mot-valise… Et là, très vite, on voit l’incompétence d’un certain nombre d’acteurs sur le sujet. C’est aux instituts comme le nôtre, à des coopératives, etc., de dire ces modèles-là sont applicables ; c’est une affaire de volonté.” Cela se heurte quand même toujours à l’extrême pauvreté des producteurs. “Améliorer leurs revenus n’est pas évident. On a bien cet objectif d’accompagner les locaux vers une meilleure production. Pour essayer d’y apporter une solution adaptée localement”, ajoute-t-il.

“Ce que l’on souhaite c’est que tout le monde puisse s’améliorer. On essaie de ne pas opposer de grands industriels aux petits producteurs. Dans ce symposium, il y a un certain nombre de résultats scientifiques qui vont être donnés et la mise en avant de soucis pour lesquels on n’a pas de solutions et dans lesquels il va falloir investir. Par exemple vis-à-vis du changement climatique.” Ce n’est pas une question simple, hors monoculture.

Notre but c’est d’outiller ces exploités, justement ; apprendre aux gens à se réapproprier des connaissances locales ; que la diversité des arbres présents localement peut être utile”

Parfois c’est plus compliqué avec l’agroforesterie : “Cela peut être une solution, tout à fait. Planter des grands à côté de petits arbres comme les cacaoyers, oui, cela peut marcher. On sait tous que quand il fait très chaud, on n’a pas le même climat sous ce grand arbre. Dont acte. Le problème, c’est que ce grand arbre-là, lui aussi a besoin d’eau ! Et on ne sait pas à quel point on va avoir une compétition délétère ou pas pour le cacaoyer ; si dans 20 ans ce que l’on recommande comme “copain” de plantation vont pouvoir résister au changement climatique…”

Fèves de cacao épluchées (sans testa mais ni fermentées ni torréfiées) et tablette de chocolat artisanale (réalisée par Isabelle Lachenaud). Ph. DR

Il ajoute : “L’agroforesterie n’est qu’un outil. Les gens le prennent, à tort, comme une fin. Elle a plusieurs cordes à son arc qui peuvent être très largement mobilisées dans l’adaptation au changement du climat. Ceci dit, l’agroforesterie ne répond pas à toutes les problématiques. En Colombie ou en Équateur, par exemple, dans des zones où il pleut énormément, il ne faut pas mettre d’ombre sur les cacaoyers.” Et tant que l’on ne changera pas la météo économique, le rapport exploitant-exploités…

“Notre but c’est d’outiller ces exploités, justement. On ne va pas faire à leur place. Apprendre aux gens à se réapproprier des connaissances locales ; que la diversité des arbres présents localement peut être utile. C’est aussi leur apprendre à construire leur propre système de culture.” Pas question d’arriver devant les producteurs en leur disant la messe : avec un package déjà calculé de tant d’arbres à l’hectare. “Après, nous avons, évidemment, les connaissances techniques, scientifiques, d’animation que l’on peut transmettre.” De quoi alimenter la résistance avec un prochain symposium en Afrique…

Olivier SCHLAMA

(1) En chiffres : pas moins de cinq millions de producteurs au Sud produisent 4,5 millions de tonnes de cacao. Les cacaoyères couvrent plus de huit millions d’hectares. Les rendements varient de 150 à 2 500 kg/ha/an. La consommation aura augmenté de 20 % en 2020-2025. La Côte d’Ivoire produit 43 % du cacao mondial. Quatre pays africains en fournissent plus de 70 %.

“Sur une barre de chocolat à 2 €, à peine 5 % reviennent au producteur de cacao…”

Correspondant de la filière cacao au Cirad, Martijn Tenhoopen est lui aussi chercheur, spécialisé dans le cacao et directeur recherche sur la santé des plantes et les maladies des ravageurs. Symbole d’une dérive de la mondialisation, les salons du chocolat se multiplient avec des chocolats qui s’apparentent souvent à des confiseries saturées de sucres transformés, au plus grand profit des vendeurs de taux de glycémie… De malbouffe.

“Un manque de volonté des distributeurs à payer le prix correct aux planteurs…”

Martijn Ten Hoopen. DR

Il y a une vraie dichotomie entre l’image de luxe et de volupté du chocolat et son extraction par des agriculteurs miséreux. Une accaparation du profit…“Ce n’est pas réservé au cacao mais aussi au café, par exemple. On estime que si une barre de chocolat coûte 2 €, à peine 5 % reviennent au producteur qui a cultivé le cacao. C’est un marché libre international… Il y a un manque de volonté des distributeurs à payer le prix correct aux planteurs...”

Changement climatique

Il ajoute : “Originaire d’Amazonie, le cacaoyer est un arbre des sous-bois. En Équateur, c’est là que l’on trouve les premières traces d’utilisation du cacao. Il a besoin de pluie, 1 500 millimètres par an, au minimum ; d’ombrage pour au moins ses trois premières années de croissance. Mais certaines variétés peuvent s’en passer.” Lui aussi, s’interroge sur les conséquences du changement climatique sur l’avenir du cacao et donc du chocolat.

“Des pays du Sud peuvent défendre l’idée de produire davantage de produits d’alimentation courante, au détriment du cacao…”

“Cela risque, dit-il, de réduire les zones aptes à cette culture. Donc moins de surfaces signifie une réduction mécanique de la production. Cela pose aussi la question de zones encore inexploitées, comme le bassin du Congo, en Afrique. C’est ce que l’on veut essayer d’éviter : d’exploiter des zones forestières. Un second défi, c’est l’augmentation de la population mondiale (…) notamment dans les pays du Sud. Qui doivent assurer leur propre sécurité alimentaire ; on l’a vu avec la guerre en Ukraine la difficulté de s’approvisionner. Et je pense que comme c’est un produit de luxe, ces pays peuvent défendre l’idée de produire davantage de produits d’alimentation courante, au détriment du cacao… On aura bien du cacao en 2050 mais en quelles quantités…”

Martijn Tenhoopen partage l’idée selon laquelle “les consommateurs sont prêts à payer un peu plus cher pour le chocolat. Il y a une prise de conscience face aux difficultés de la filière du cacao. après, est-ce que ce surplus ira aux producteurs…?”

O.SC.

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