Centenaire Brassens : “Sa musique ne doit rien à la culture italienne…”

Georges Brassens et sa mère à l'ancienne plage dite du "Kursaal". Tiré de la collection les Années sétoises 1921-1941. Photo : dR.

Professeure à l’université Paul-Valéry de Montpellier, Isabelle Felici, qui participe à une conférence et une journée d’étude, à Sète, revient sur des aspects peu connus du poète, sur son ascendance italienne, notamment, pour en connaître la véritable influence sur sa vie et ses chansons. Pas si évident. Elle dit : “L’influence italienne était dans la société de l’époque…” Et :“Brassens était de culture 100 % française.” 

Sète, premier port de pêche de la Méditerranée française, née en 1666 par la volonté de Louis XIV, compterait un bon tiers d’habitants d’origine italienne. Immigrés par vagues successives, du Sud, de nombreux migrants ont bâti la ville, y ont fait du commerce, y ont pratiqué la pêche, et mêlé de façon joyeuse leur culture transalpine à l’ambiance occitane locale.

Époque baigné d’italianité

Fin 19e siècle, de nombreuses familles de pêcheurs ont ainsi débarqué de Cetara (Campanie) et Gaeta (Latium). D’abord au fameux Quartier-Haut, sous la protection de la vierge de la Décanale Saint-Louis, ils ont notamment apporté de nombreuses spécialités, dont la macaronade et la tielle. Et poussé la chansonnette. C’est dans cet héritage culturel-là ; dans cette époque-là, baignée d’italianité à la sétoise que se place Georges Brassens, dont on fête cette année le centenaire de la naissance, davantage que par une hérédité familiale.

Il n’est guère “d’enfant” d’Italiens plus “authentiquement” français que Georges Brassens…”

Isabelle Felici

C’est le propos d’Isabelle Felici, chercheuse et professeure à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, spécialisée dans la mémoire italienne, qui participera à une conférence et une journée d’étude cette semaine à Sète (1), débutant ainsi un texte publié en 2017 : Brassens, le fils de l’Italienne (2). “Il n’est guère “d’enfant” d’Italiens plus “authentiquement” français que Georges Brassens, un monument de la chanson qui a passé les derniers jours de sa vie avec, à son chevet, les Fables de La Fontaine et une grammaire française. Parce que son ascendance italienne s’est transmise par la branche maternelle, Georges Brassens est longtemps resté inaperçu en tant “qu’enfant” d’Italiens.” Brassens appelait ainsi sa mère “L’Italienne”, une espèce de contre-pied à la xénophobie de l’époque qui de tout jeune aux cheveux noirs on faisait un “macaroni” ou un “rital”…

“J’ai reconstruit l’histoire culturelle de Brassens…”

Beaucoup d’intox ont été colportées, y compris par Brassens lui-même, et ses amis proches, sans doute à cause de l’“affection aveugle” qu’ils avaient placée dans cette ascendance. L’influence d’une origine napolitaine ? Pas si simple… Déjà, ses parents sont tous deux nés… à Sète. Et ses grands-parents maternels – Michele Dagrosa et Maria Augusta dolce – sont originaires de Marsico Nuovo en Basilicate, tout au sud de la péninsule, “entre le talon (les Pouilles) et la pointe de la botte (la Calabre)”, nous explique avec érudition Isabelle Felici qui participe aussi cette semaine à Sète à une conférence sur Brassens, l’anarchiste (2).

Isabelle Felici souligne : “Dans ce texte sur Brassens, j’ai mis ensemble tout ce que Brassens a pu dire ; tout ce que j’ai pu retrouver des personnes qu’il a connues en rapport avec ce lien avec l’Italie en citant mes sources. J’ai reconstruit son histoire culturelle de ce qui pouvait avoir un lien avec l’Italie en France. Ce qui est intéressant c’est que lui-même n’avait pas tous ces détails.” On lui prête cette passion pour la chanson parce que chez lui, ça chantait du matin au soir et du soir au matin… Qu’en est-il ?

Ça chantait en italien, oui ; mais tout le monde, toute la France chantait en italien à l’époque !”

Isabelle Felici précise : “Ça chantait en italien, oui ; mais tout le monde, toute la France chantait en italien à l’époque ! Tino Rossi, en 1937, chantait en italien dans le film, Naples aux Baisers de Feu… Pour résumer, personne n’a jamais demandé à Brassens quelles chansons sa mère lui chantait ; lui-même en cite deux Santa Lucia et O Sole Mio que n’importe qui de cette époque connaissait. Elles sont arrivées dans le bagage culturel de tous. Ses traces d’italianité sont d’ordre intime comme dans toute famille d’origine italienne. Ces traces sont finalement assez maigres venant de ce qu’il pouvait rester de ses grands-parents maternels italiens.”

Sa musique a été très marquée par le jazz et je ne pense pas qu’elle doive quoi que ce soit à la culture italienne, sauf toute celle qui est passée par la France”

La professeure ajoute à propos de l’héritage du poète : “Brassens n’a pas connu son grand-père ; sa grand-mère est décédée quand il avait cinq ans. Finalement, il lui reste beaucoup d’affection ; des recettes de cuisine ; sûrement un goût prononcé pour les pâtes (rires) que l’on se transmet de génération en génération… Quant à la grosse histoire sur la musique, je ne pense pas qu’il ait été très influencé… Sa musique a été très marquée par le jazz et je ne pense pas qu’elle doive quoi que ce soit à la culture italienne, sauf toute celle qui est passée par la France. Dans les années 1930, quand il se forme, il y a énormément de chansons qui parlent de l’Italie, Rina Ketty était une star à l’époque ; Tino Rossi, qui était Corse et pour lequel Brassens avait beaucoup d’admiration, a chanté en italien ; et ça m’étonnerait que Brassens ne soit pas allé voir Naples aux Baisers de feu au cinéma, peut-être même en famille.”

“Brassens était de culture 100 % française ; il a lu les poètes français ; il avait une admiration pour la langue française”

Brassens à Paris… Photo ©Robert CANAULT

Selon la chercheuse, “Brassens était de culture 100 % française : il a lu les poètes français et il avait une admiration pour la langue française ; comme il le dit lui-même : je suis un enfant trouvé pour la musique mais pour les textes il dit : “Je viens de la tradition française”. Ce qui l’a influencé c’est la représentation de l’Italie en France à cette époque. Brassens ne savait pas l’Italien ; même s’il devait bien le prononcer. Il n’a d’ailleurs jamais chanté en italien, à part une seule fois à la TV, Santa Lucia justement avec Tino Rossi. Il aurait pu chanter en italien. Mais peut-être, comme pour tous les petits-enfants d’immigrés italiens, une sorte de pudeur… Cette idée d’italianité devait aussi conforter “son côté marginal, y compris sur le versant politique”, analyse Isabelle Felici.

Il est toujours resté anarchiste

Anarchiste, Brassens a longtemps écrit dans le Libertaire. “Il en a même été le secrétaire de rédaction de ce journal : c’est lui qui pendant plusieurs mois a été à l’origine de tous les numéros qui ont paru. Il a vraiment été militant anarchiste, à partir de 1945, membre de la fédération anarchiste. Après, il s’en est éloigné pour mieux se consacrer à la chanson. Mais il l’est toujours resté. Ceux qui croient savoir en disant il était libertaire, pas anarchiste, ce sont de gens qui ne savent pas ce qu’est l’anarchie.”

“Si on veut bien écouter ses chansons…”

Isabelle Felici maintient que “Brassens a été anarchiste toute sa vie. Il le dit dans des entretiens à la radio. Il le dit encore très tard. Dans les années 1970, il échange avec ses copains anarchistes des années 1940. Il n’étalait pas sa vie en public mais il a toujours répondu clairement quand on lui posait la question. Et si on veut bien écouter ses chansons… Souvent on lui reproche certaines chansons comme les Deux Oncles comme si c’était une façon de se désengager. Au contraire ! C’est une façon différente de s’engager, éloignée des sentiers battus, ce qui lui a même valu parfois des critiques et de la censure…”

Olivier SCHLAMA

(1) Conférence et journée d’étude : 

  • Brassens et sa famille italienne
    Jeudi 14 octobre 2021 à 18 heures, Bateau Le Roquerols, quai du Maroc à Sète
    Animée par Isabelle Felici, la conférence revient sur les liens qui unissent le chanteur à l’Italie, par le biais de ses grands-parents maternels, originaires de Marsico Nuovo en Basilicate, et les traces italiennes dont son parcours est parsemé.

    Bateau Brassens depuis quai Samary, à Sète. DR.

    La conférence sera suivie d’un concert de chansons de Georges Brassens en italien et dans différents dialectes, ainsi que de chants populaires et d’auteurs-compositeurs, dont Alessio Lega. Le concert est dédié à la mémoire de Giovanni Ruffino, compositeur-interprète, ambassadeur de Georges Brassens en France et en Italie.
    Alessio Lega, voix et guitare – Guido Balboni, accordéon et voix – Rocco Marchi, basse et percussion.

  • Un Brassens en marge
    Vendredi 15 octobre 2021, de 10 heures à 18 heures
    Bateau Le Roquerols, quai du Maroc à Sète
    Cette journée d’étude s’intéresse aux liens que Brassens entretenait avec l’anarchisme, à travers sa participation aux activités de l’organe de la Fédération anarchiste, Le Libertaire, et son engagement anarchiste qui se poursuit sous d’autres formes quand il quitte le journal, y compris une fois le succès arrivé. La journée propose aussi de replacer le parcours politique de Brassens dans l’histoire de l’anarchisme et de ses différents courants. Une attention particulière est portée au cas des anarchistes sétois et à la question de la circulation des personnes et des idées entre la France et l’Italie.
    Intervenants : Frédéric Bories, Sylvain Boulouque, Isabelle Felici, Pippo Gurrieri, Alessio Lega, Gaetano Manfredonia, Cédric Perolini, Anne Steiner.
  • (2) Texte tiré de Sur Brassens et autres enfants italiens, éditions Pulm.
  • Vous pouvez aussi accéder à certains textes d’Isabelle Felici et de ses étudiants via la plate-forme Enfants d’italiens