Centenaire Brassens : L’hommage en treize bonnes nouvelles…

Georges Brassens est enterré à Sète mais il n'est pas mort. Photo Eric Cabanis

Pour clore cette année de commémorations, disons-le : Brassens n’est pas mort. Son esprit taquin est ressuscité : avec treize nouvelles imaginées par autant d’auteurs régionaux, l’ouvrage est une belle célébration à la liberté de penser.

La Mauvaise Réputation, Nouvelles noires pour le centenaire Brassens : c’est un livre que l’on est content d’avoir attendu sans le savoir. De le feuilleter. De se laisser surprendre. Parmi la foultitude d’événements officiels de cette année sur le centenaire Brassens, il en est un, authentique, qui mérite aussi la lecture, à sa mesure. Un peu décalé. Un peu marginal. Avec un oeil parfois “corrosif” sur la société. Et qui a commencé à construire, récemment, sa popularité dans des cafés (1) où il se présente en prose et en chansons dont, récemment au pub Chez Lulu, à Sète, dans le Vieux-Port, au plus près de l’âme de l’homme à la pipe. Pas sur le fameux bateau-mémoire, le Roquerol.

Une nouvelle à partir d’une chanson de Brassens

Le principe : les treize auteurs (2), qui ont tous un pied en Occitanie, ont chacun pris une chanson, a priori celle qu’ils préfèrent et/ou qui leur inspirent quelque chose et, à partir de là, ils ont écrit une nouvelle. Cela a pu être un commentaire de la chanson ; l’évocation d’un souvenir heureux ; voire une fiction qui n’a rien à voir. On a ainsi une oeuvre collective étonnante avec un court récit sur le chat de Marine Le Pen ! “Il y a aussi des nouvelles beaucoup plus en prise avec la chanson-même comme l’Orage…” 

Texte désopilant sur le chat de Marine Le Pen

Il y a aussi la nouvelle chevillée aux Les Copains d’abord ; une autre de Diego Arrabal à Gare au Gorille ; et encore une Supplique pour ne pas être enterré près d’une station d’épuration… Sans oublier Le Testament, écrit par Tomas Jimenez. Sans oublier un texte désopilant sur le chat de Marine Le Pen… Avec un grand final qu’il est impossible de spoiler ! Extrait : “Jean-Marine, même si tout paraît compromis, j’ai une idée pour reconquérir les faveurs du net. J’ai étudié la question, commandé des études à des agences de com. Une conclusion s’impose. Sur la Toile, ce qui cartonne c’est les chats. Tu en as justement toute une smala, tu en parles en interview. C’est un très bon point pour nous. On va mettre l’accent sur cette facette de ta personnalité et inonder les réseaux de photos de toi avec tes matous.”

La personnalité de Brassens s’accommode plutôt des petits sentiers…”

Marie-Pierre Vieu
Rosemonde Cathala et Moni Grégo. DR.

Et Marie-Pierre Vieu de décrypter les raisons d’un tel ouvrage collectif : “On a choisi une voie alternative… On était plus dans le ton et les couleurs d’Arcane 17, notre maison d’édition. On n’a rien contre les cérémonies officielles. Le programme officiel de cette année y a-t-il été audible ? Il y a eu des choses de qualité à l’intérieur du Roquerol mais la personnalité de Brassens s’accommode plutôt des petits sentiers” davantage que de vastes autoroutes de congratulations. “Difficile de faire entrer un homme comme ça dans des célébrations dites officielles. Le propre de Brassens est d’être à la marge.

La liberté comme fil rouge

À la tête des Editions Arcanes 17, sises à Tarbes (Hautes-Pyrénées), Marie-Pierre Vieu, ancienne députée européenne PCF, a convoqué le sens littéraire de treize personnalités pour concocter un ouvrage collectif réussi. Pleines de sensibilité, les nouvelles s’y succèdent, très différentes, comme autant de saynètes aux tons et aux couleurs multiples. Des fenêtres sur la fraternité. La liberté en est le fil rouge. C’est un ouvrage atypique, “décalé“, humoristique, parfois noir, toujours essentiel. On y reconnaît un ADN de gauche, pas de la gauche triomphante mais de cette gauche littéraire, engagée et engageante.

Georges Bartoli, Caroline Constant…

Chez Lulu…

La prose d’un autre auteur de cet ouvrage collectif, Georges Bartoli, explore l’intimité humaine. Extrait, itou : “La crue avait drossé sur la rive de beaux galets dont il emplit son sac désormais vide. Quand il pénétra dans l’eau encore boueuse, il fut surpris de la trouver moins froide que prévu. Une femme hurlait sur le pont dans un spasme désordonné, demandant de l’aide pour sauver l’homme tombé dans le fleuve. Déjà le fond vaseux du fleuve se dérobait sous les pieds de Pascal Delattre qui souriait légèrement en sentant ce corps tenter malgré lui de trouver l’air dont on le privait. Déjà l’eau fade emplissait ses yeux et ses poumons. Les trois femmes de sa vie étaient mortes ce matin, Monsieur Georges aussi, il n’avait décidément plus rien à foutre ici !” Et avec l‘Orage de Caroline Constant, on n’attend pas qu’averse se passe ! A lire d’urgence !

(…) Je comprenais à peine ce que ça voulait dire, ces idées qui traversaient ma tête, mais mon corps, lui, sentait ces choses-là avec une acuité vibrante…”

Autre nouvelle, autre style. Dans l’Amour est passé près de chez vous, Marie Gutierrez impose, elle, un style un tantinet envoûtant : “Je suis restée là à le regarder, hypnotisée. Il avait de longs doigts et un torse qu’on devinait poilu. Il ne ressemblait à personne d’autre qu’à lui-même. Cet homme-là écrivait sa légende personnelle en conscience ; il était rempli d’une joie qui se cultive chaque jour. Je savais tout ça rien qu’en le regardant ; je comprenais à peine ce que ça voulait dire, ces idées qui traversaient ma tête, mais mon corps, lui, sentait ces choses-là avec une acuité vibrante.” 

“Je le vois notre Georges, superbe dans son grand âge…”

Brassens à Paris… Photo ©Robert CANAULT

Il faut aussi lire la plume enjouée de la Sétoise Moni Grego. Dans sa nouvelle, Supplique pour être enterrée sur la plage de Sète, elle écrit à propos d’un poète anarchiste que l’on aimerait tous voir revenir : “Tandis que je m’inquiète pour la petite dame, que je la rassure comme je peux, je sens une odeur piquante d’allumettes qu’on craque. Des larmes me viennent dans les yeux. Et je vois, moi aussi, je suis sûr que je vois !… Je le vois notre Georges, superbe dans son grand âge. Il marche tranquille, un peu comme un cos- monaute qui serait tombé sur la lune, un danseur puissant et léger qui approche au ralenti, mais très droit et toujours aussi baraqué…”

Un serial killer des candidats de gauche !

Anciennement rue de l’Hospice, devenue rue Georges-Brassens, à Sète. Photo : Eric Cabanis.

L’ouvrage rassemblée par Marie-Pierre Vieu est une réussite. Elle en explique le cheminement : “Nous avons pris l’habitude de publier des nouvelles, c’est important parce que c’est un genre littéraire qui n’est pas obligatoirement prisé dans toutes les maisons d’édition. D’autre part, depuis 2015, chaque année, on publie un livre de nouvelles collectives autour d’un sujet auquel on tient, cela peut être de l’actualité. C’est toujours décalé, humoristique, noir. On avait écrit avant la dernière présidentielle en inventant un serial killer qui assassinait tous les candidats de gauche ; on avait appelé ça Mortelle primaire…” En 2020, l’idée d’un hommage Brassens s’est imposé. Comme on a un double lien : dans la littérature mais aussi avec un réseau de gens qui font de la musique, qui dirigent des salles, etc. et qui ont une âme de poète. Brassens n’est pas mort.

Olivier SCHLAMA

(1) La mauvaise réputation sera évoquée le 27 janvier à Bordeaux, le 20 ou 21 janvier Toulouse ( à confirmer) et inversé sur Montpellier.
Les auteurs. René Mazzarino, alias Papet J, est l’un des chanteurs de Massilia sound System, un collectif qu’il rejoint en 1985, un an après sa formation. Marie Gutierrez, comédienne, metteur en scène. Entre autres : collaboratrice artistique au conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris ; elle est restée quatre ans à la ComédieFrançaise. Georges Bartoli, journaliste, auteur d’un livre sur la Retirada, l’exil des Républicains espagnols, et de plusieurs monographies photographiques. Caroline Constant, journaliste à l’Humanité. Gildas Girodeau : né le 29 avril 1953 à Collioure, passionné de mer et de voile, breveté de la Marine Marchande, il est aujourd’hui agriculteur bio, producteur d’huiles d’olive. Découvert à l’occasion d’un prix littéraire à Saint-André en 1999, cet auteur engagé délivre un message universel, sur le nucléaire ou la françafrique. Entre polar à l’héroïc fantasy, voire au roman. Dernière parution : Xango, 2020 aux Editions Horsain. 
Universitaire, vivant à Tarbes, Diego Arrabal est aujourd’hui à la retraite. Militant syndical et associatif, animateur radiophonique passionné par le théâtre, la musique et le roman, il voue une tendresse toute particulière au genre policier. Tomas Jimenez est auteur, compositeur, interprète. Chanteur et multiinstrumentiste  il officie au sein du groupe El Comunero constitué en 2008 en hommage à son grand-père combattant républicain espagnol. Rosemonde Cathala s’engage très jeune pour la promotion du théâtre en campagne. Elle dirige artistiquement le Théâtre les 7 Chandelles à Maubourguet ainsi que la Cie de la Rose à Marciac à la frontière des Hautes-Pyrénées et du Gers. En parallèle, elle publie de nombreux articles dans diverses revues. 
Tomas Jimenez et Marie-Pierre Vieu, à Tarbes DR.
Laurent Kebous est chanteur, auteur compositeur des Hurlements d’Léo. son compère pour cette nouvelle, Frédéric Coiffé a été intronisé Maître Cuisinier de France en 2008 et termine à la 3e place du podium du Bocuse d’Or France. Rédacteur dans divers journaux, professeur de lettres et à l’institut de journalisme de Toulouse, chroniqueur de radio, auteur de podcasts, Brice Torrecillas a publié notamment quatre romans. Claude Sicre, ingénieur en folklore, musicien et chanteur (Fabulous Trobadors, Aborigénious), auteur et compositeur pour plusieurs groupes. Pierre Domengès, né il y a 58 ans, mais il aime dire qu’il est né une seconde fois en 1977 lors de la révolution punk. Tour à tour chanteur du groupe les Thénardiers, directeur artistique de la Gespe, scène des musiques actuelles de Tarbes et cogérant d’un restaurant Les Tontons Flingueurs, il est un touche à tout. La Sétoise Moni Grégo a écrit plus de 50 textes de théâtre. Elle est l’une des rares femmes de sa génération en France, à être à la fois : actrice, auteure, metteur en scène, et directrice d’une Cie Théâtrale conventionnée par le Ministère de la Culture. Ses spectacles ont voyagé en France, Europe, Afrique, au Japon, au Québec, aux USA.

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