Cancer du sein : Pourquoi le dépistage de masse est “une erreur”

Radiologue originaire d’Alès, la présidente de Cancer Rose, s’appuyant sur les conclusions d’une grande consultation gouvernementale laissée aux oubliettes il y a cinq ans, Cécile Bour sort un livre didactique très étayé contre la mammographie à tout-va. Loin du cliché complotiste, elle y résume les bonnes pratiques en tordant le cou aux idées reçues.

Cinq ans après, les conclusions de la grande consultation citoyenne lancée par la ministre de l’époque, Marisol Touraine, sont vite passées pour pertes et profits (ICI). Pourtant, l’arrêt du dépistage massif du cancer du sein c’était l’aboutissement quasi-unanime d’une polémique qui durait déjà depuis plus de vingt ans. Las, depuis, le dépistage systématique du cancer du sein est devenu une religion scientifique rarement remise en cause. Radiologue originaire d’Alès (Gard) et installée à Metz, Cécile Bour, préside le collectif Cancer Rose en opposition à Octobre Rose la campagne nationale qui, chaque automne, fait la promotion du dépistage du cancer du sein tous azimuts.

Hygiène de vie, peu d’alcool, pas de tabac, palpation…

Cécile Bour. Photo : DR.

La plage en été, en maillot, les conditions sont propices pour aborder le sujet. Que dit Cécile Bour ? Pas de dépistage à tout crin auquel elle substitue une hygiène de vie saine : peu d’alcool, pas de tabac, moins de mal-bouffe et surtout apprendre à bien se connaître et aller au bon moment pour consulter. La radiologue monte au créneau contre cette habitude de consommer de la palpation médicale ; de l’IRM à tout-va, sans discernement ; elle plaide pour une prise en charge individuelle, singulière. La raison principale ? “Le résultat n’est pas là !”

“La baisse récente de la mortalité par cancer a été précédée d’au moins 60 ans d’augmentation…”

Des preuves ? “Oui, on en meurt moins de nos jours. C’est un argument brandi par les promoteurs du dépistage : selon eux, cette tendance favorable montrerait que les investissements réalisés dans la recherche, le dépistage et les traitements ont porté leurs fruits. Ce qu’ils omettent souvent de mentionner c’est que la baisse récente de la mortalité par cancer a été précédée d’au moins 60 ans d’augmentation”

Alors comment cette baisse s’explique-t-elle ? “On suppose que ce sont les avancées thérapeutiques des années 1990 qui y ont contribué (hormonothérapie, traitements ciblés adaptés au profil moléculaire de la tumeur) mais peut-être aussi que les campagnes de prévention sur l’activité physique, la prévention de l’obésité, du tabagisme, de l’alcoolisme, etc. ont également porté leurs fruits.”

Une baisse de la mortalité “bien mince”

Cécile Bour poursuit sa démonstration  : “Qu’a-t-on observé dans le détail depuis 2004, date de l’extension du dispositif de dépistage à toute la population ? “Alors qu’on aurait pu s’attendre à une accélération du déclin de la mortalité, il n’en a rien été. Selon le rapport épidémiologique nationale (…) la baisse de la mortalité (en taux standardisés) entre 1990 et 2018 serait de 1,3 % par an, chiffre constant sur la période malgré l’intensification du dépistage.” Un chiffre bien “mince au regard des promesses…”

Les femmes en sont généralement tenues à l’écart, ne recevant une fois par an que les messages rassurants et “glamourisés” des campagnes commerciales d’Octobre Rose”

Cécile Bour, radiologue

“Bien peu de sujets médicaux ont occasionné des controverses aussi vives, aussi longues et aussi passionnées que le dépistage du cancer du sein. C’est un énorme débat donnant lieu à de nombreux affrontements, pour la plupart au coeur de la communauté scientifique. Premières concernées, les femmes en sont généralement tenues à l’écart, ne recevant une fois par an que les messages rassurants et “glamourisés” des campagnes commerciales d’Octobre Rose”, signale-t-elle en exergue de son dernier livre qui sort le 28 août, Mamo ou Pas Mamo ? Dois-je me faire dépister ? (1) En posant la question, Cécile Bour y répond dans son ouvrage très simple, pratique et clair. Didactique. Avec des à-plats concluant chaque chapitre.

“Me voilà tranquille pour deux ans…”

Ce livre est très pratique fait le résumé des bonnes pratiques, des “signes qui doivent vous alerter”. Les têtes de chapitres sont abordés avec des clichés que Cécile Bour démontent un à un : “Le radiologue m’a trouvé un tout petit cancer. Plus on détecte tôt mieux c’est, non ?” ou : “Me voilà tranquille pour deux ans.” Ou encore : “On dit qu’on meurt bien moins du cancer aujourd’hui que dans les années 1960 ou 1970. C’est vrai ?” Autres poncifs : “Comme nous avons un antécédent de cancer chez ma grande-mère, on nous a dit, à ma soeur et moi de commencer le dépistage plus tôt, à 40 ans…” 

Une “erreur” monumentale

Pour Cécile Bour, et des médecins de plus en plus nombreux, qui se définit comme une “lanceuse d’alerte”, le dépistage systématique offre plus de risques que de bénéfices. le dépistage de masse du cancer du sein serait une “erreur” monumentale. Contre-productif, il reposerait sur l’idée, fausse selon les auteurs, qu’un petit cancer dépisté tôt n’évoluerait pas vers forcément une maladie qui tue, comme Dis-Leur vous l’expliquait. La radiologue était déjà montée au créneau, avec succès, contre une association qui, dans l’Hérault, promouvait historiquement un dépistage du cancer du sein avant 50 ans. Ce qui, aux dires mêmes de l’Institut national du cancer, peut s’avérer dangereux.

Sur-diagnostics, faux positifs, faux négatifs…

Le dépistage à tous crins, à tous les âges de façon indifférenciée est une aberration selon elle, à cause de causes multiples : les sur-diagnostics, notamment, faux positifs, faux négatifs, cancers dits d’intervalle… selon la radiologue qui ne veut pas être confondue avec la mouvance anti-vax et complotiste. Alors, pourquoi en est-on arrivé là ? “Ça n’a rien à voir mais on est dans un mouvement anti-tout. En ce sens, mon livre ne tombe pas bien… Je suis pour le vaccin qui est une évidence, bien entendu. En tant que professionnel de santé, j’ai fait partie des premiers vaccinés. Il faut protéger les autres. On a fait médecine dans cette optique-là. Aux USA, cela fait trente ans que des chercheurs indépendants, lancers d’alerte”, ont entamé une désescalade dans ce domaine.”

Aller chercher un petit cancer pour éviter qu’il ne vous tue, c’est une idée naturellement intuitive mais elle est fausse”

Elle poursuit : “Le problème c’est que, en France, on a lancé ce dépistage massif avec beaucoup d’engouement. Avec une idéologie derrière : tordre le cou au cancer. On s’est tous engouffrés dans cette idée, moi la première. Aller chercher un petit cancer pour éviter qu’il ne vous tue, c’est une idée naturellement intuitive mais elle est fausse. Les pouvoirs publics devraient reconnaitre qu’ils se sont trompés. Si on ne fait pas cette démarche là, on est des charlatans.”

Pourquoi les pouvoirs publics incitent malgré tout au dépistage massif ? “Dès le départ, on a bourré le mou aux femmes en les incitant avec un objectif de de participation 80 % que l’on n’a jamais atteint. Le dépistage est un cas d’école. Quand on lance comme cela une campagne de santé publique pas aboutie et immature ; que l’on n’a pas suffisamment d’études et qu’il fallait en faire de plus approfondies…”

Il y a un vrai business en “Rose”

Cécile Bour va plus loin : “Une fois entrés dans le mur, on n’arrive plus à faire machine arrière. Et si les pouvoirs publics font marche arrière, ils perdent la face. Et puis, il faut le dire : il y a un vrai business “rose” autour de ce dépistage, sans être complotiste du tout ; un sponsoring : c’est une vraie campagne marketing qui va de la baguette de pain “rose” au Tupperware peint en “rose” ; cela fait marcher le business des grands groupes pharmaceutiques et les fabricants d’appareils… L’essentiel c’est que tout le monde communie en “rose”…” Comme les parapluies suspendus dans certaines rues, comme à Montpellier.

Cela promet quelques discussions houleuses entre patientes et médecins… “C’est déjà en partie le cas ; les femmes posent beaucoup de questions”. Les attitudes paternalistes des médecins n’en veulent plus, certifie Cécile Bour.

Olivier SCHLAMA

(1) Editions Thierry Souccar, Vergèze (Gard).

À votre santé, sur Dis-Leur !